The Smashing Pumpkins
Monuments to an Elegy
Produit par Howard Willing, Billy Corgan, Jeff Schroeder
1- Tiberius / 2- Being Beige / 3- Anaise! / 4- One and All (We Are) / 5- Run2Me / 6- Drum + Fife / 7- Monuments / 8- Dorian / 9- Anti-Hero
Teargarden by Kaleidyscope devait être un projet révolutionnaire : avec une distillation au compte-gouttes de 44 titres sur Internet, et ce gratuitement, au fur et à mesure de l’avancement de chacun, il devait proposer une nouvelle alternative au format album qui tend à devenir obsolète depuis déjà plusieurs années. Brillant. Mais Teargarden apparaissait aussi - et surtout - comme l’ultime périple que Billy Corgan entreprendrait, comme un mont Everest qui marquerait, au choix, le début d’une nouvelle ère pour les Smashing Pumpkins… ou bien la fin d’un des groupes de rock alternatif US les plus influents des nineties, comme l'a confirmé une récente interview de Corgan.
Aujourd’hui, soit presque cinq ans jour pour jour après la mise en circulation de “A Song for a Son”, et donc du lancement de cette gigantesque fresque musicale, les choses ont néanmoins beaucoup évolué : suite à la parution des deux premiers volumes qu'étaient Songs for a Sailor et The Solstice Bare et regroupant chacun cinq morceaux, Corgan avorta finalement le processus avant la complétion du troisième volume pour revenir à un mode de distribution classique et se tourner de nouveau vers le format album afin de répondre à des contraintes aussi bien artistiques que promotionnelles. Dommage. En résulta un Oceania qui, en plus d’être partie intégrante de Teargarden malgré son format, n’en demeura pas moins solide et excellent. Au 19 juin 2012, Teargarden by Kaleidyscope comptabilisait donc 25 morceaux sur les 44 initialement prévus.
Deux ans et demi et un batteur plus tard, ce-dernier s’augmente de neuf nouveaux morceaux avec Monuments to an Elegy - nouvel album enregistré par Corgan, Jeff Schroeder et le génial Tommy Lee suite à l’évincement de Mike Byrne et Nicole Fiorentino pour des raisons toujours aussi obscures - qui tout comme Oceania s’inscrit dans la continuité du canon de Teargarden. Neuf nouveaux morceaux qui témoignent du désir de Corgan de diversifier les sonorités de son projet afin d’aboutir à un résultat final éclectique brassant différents styles au sein d’une même entité qui vise la cohérence : Monuments est en effet radicalement différent de son prédécesseur - moins ambitieux, mais pas dénué d’intérêt pour autant.
Alors qu’Oceania réussissait en son sein la synthèse de dix ans de Smashing Pumpkins tout en se démarquant habilement de ses prédécesseurs - chose que Zeitgeist n’avait su accomplir - Monuments to an Elegy prend le contre-pied de cette démarche en s’inscrivant directement dans la lignée d’Adore et Machina, deux opus sur lesquels avait déjà travaillé Howard Willing que l’on retrouve cette fois-ci à la production. À grand renfort de synthétiseurs et de sonorités électroniques, Monuments délaisse les ambitions quelque peu grandiloquentes qu’Oceania pouvait avoir et se veut plus humble, plus introverti : en témoignent “Being Beige”, à la fois personnel et pétillant, ou bien “Run2Me” et le New Order-esque “Dorian”, dont les beats électroniques typiquement new wave s’alignent avec la discrétion dont Tommy Lee fait preuve ici, à des années lumières du jeu complètement allumé que celui-ci adopte lorsqu’il joue avec Mötley Crüe.
La dimension intime de l’album se voit aussi soulignée par l’absence remarquée des solos épiques auxquels Corgan nous avait habitués dans le passé. Celui-ci n’a pas totalement délaissé son instrument de prédilection pour autant : au-delà de la forte dominante des claviers sur la majorité des morceaux, à l’image des textures electro pop de “Anaise!” ou du riff principal de “Monuments”, Corgan sait encore faire rugir sa six cordes avec véhémence comme à la bonne époque. Ainsi, “Tiberius” démarre sur une touche de douceur avec quelques notes de piano avant que les guitares ne s’imposent au premier plan, mais c'est sur “Anti-Hero” et surtout sur “One and All” et son riff vrombissant que l’on retrouve avec joie la composante la plus grunge du son des Pumpkins.
Malgré de grosses carences dans les thématiques abordées dans ses textes (on est loin de la complexité et du mysticisme pourtant si caractéristiques de l’identité du groupe) Monuments to an Elegy reste indéniablement l’album le plus accessible des New Pumpkins de par sa brièveté - un peu plus d’une demie-heure, avec neuf morceaux concis dont aucun n’excède les quatre minutes à l’exception de “Run2Me” - et sa sobriété : plus maîtrisé que Zeitgeist et plus digeste qu’Oceania, il constitue un chapitre “synth pop” à la fois surprenant et authentique d'un Teargarden by Kaleidyscope qui verra son point final apposé par Day for Night, ultime opus des Smashing Pumpkins qui apposera aussi le point final à l’histoire d’un des groupes de rock les plus représentatifs et influents des deux dernières décennies.