Muse
Drones
Produit par Mutt Lange, Muse
1- Dead Inside / 2- [Drill Sergeant] / 3- Psycho / 4- Mercy / 5- Reapers / 6- The Handler / 7- [JFK] / 8- Defector / 9- Revolt / 10- Aftermath / 11- The Globalist / 12- Drones
Essayons un tant soit peu de ramener le discours tournant autour de Muse à quelque chose de moins passionné : si certains ont pu croire, à la lumière de la disco rétrospective spécialement concoctée par Albumrock pour la sortie de Drones, que la rédaction accordait une sorte de traitement de faveur au trio de Teignmouth, ou en tout cas qu’elle le gratifiait d’une attention indue en regard de son statut réel ou supposé au sein de la scène rock actuelle, il n’en est rien ou si peu. Nous avons simplement voulu revenir sur une poignée de disques intéressants qui, fut un temps, ont tout de même largement retenu l’attention d’une frange du public. D’autant que ce septième album, bien que moins catastrophique que les deux précédents, vient doucher, a priori définitivement, tous les espoirs que l’on pouvait placer en ce groupe qui, jadis, brillait véritablement dans la rockosphère.
Drones partait pourtant sous de bons auspices. Passons sur le concept album et la com’ foireuse de Matthew Bellamy qui, encore une fois, a été crier sur tous les toits que son petit dernier était son tout meilleur album. Soyons clairs : tous les albums de Muse, depuis Absolution, sont des concepts albums destinés à dénoncer le mensonge, la manipulation, l’oppression de l’être humain, la guerre et l’aliénation, mais aussi à inciter les masses à entrer en résistance, à se soulever et à se battre pour faire triompher la justice et la liberté. La seule chose qui change ici, c’est qu’il y a des drones. Point barre. Si ça, c’est un concept album, moi je suis télévangéliste. En revanche, on espérait un temps que le soucis affiché par les trois hommes de revenir à un rock plus direct, plus couillu, allait porter ses fruits. Et c’est en grande partie raté.
Partons d’abord sur les points positifs, car cette fois-ci, il y en a. Oui, Drones contient de bons morceaux. Des titres pêchus, lourds, trépidants, des morceaux qui pourraient presque nous faire croire à ce fameux retour aux sources tant voulu par les trois hommes. En basant à nouveau son rock sur la guitare et sur les riffs, Bellamy and co retrouvent une certaine vitalité. En témoigne un “Psycho” balancé, heavy, presque stoner (mais laissons ce détail pour plus tard), et dont les paroles, pour une fois, laissent place à un peu d’excès voire de second degré. Cette parodie de Full Metal Jacket se laisse goûter avec un certain plaisir au regard de la soupe qui nous a été servie sur The 2nd Law et The Resistance. C’est encore mieux avec “Reapers”, violent, épique, presque metal par moments, mais réservant pourtant des passages électroniques parfaitement bien menés. Allez, on peut même dire que “Dead Inside”, malgré ses oripeaux de “Starlight” du pauvre, est assez sympatoche pour peu qu’on ne soit pas allergique aux gros synthés qui bavent dans les graves. Et on peut même oser avancer que le couplet de “Mercy” (seulement le couplet, hein) affiche un certain charme de par son jeu de rythme dans les parties vocales. Le refrain, en revanche, est effarant de niaiserie et de guimauve, mais soyons beaux joueurs et pardonnons cette dommageable faute de goût. D’ailleurs, “The Handler” garde encore un bon riff en réserve, et on notera que Matthew Bellamy se garde de s’abandonner à des excès vocaux par trop grandiloquents tout au long de l’album. Donc par certains aspects, Drones vise plutôt juste.
Sauf que les travers du disque apparaissent bien vite. Premier d’entre eux, la dissolution désormais quasi-irréversible du style de Muse. On peut évidemment se réjouir que, cette fois-ci, cette tendance à aller grignoter à tous les râteliers se fasse plus volontiers du côté du rock lourd, mais soyons honnêtes deux minutes : Muse n’a rien d’un groupe heavy, hard ou metal, pas plus qu’il n’est un groupe de funk ou de dubstep. Tous ces récents emprunts, au demeurant assez maladroits, à un groupe comme Royal Blood, ce dernier recyclant déjà à sa sauce la matrice sonore du stoner rock sans en reprendre la culture, ne sont pas plus pertinents que les voyants pompages de Queen même s’ils flattent plus l’oreille. À ce titre, un morceau comme “Defector” s’avère assommant d’impersonnalité avec ses riffs entêtés et ses gingles mercuryques aussi grossiers que grotesques. Deuxième soucis, déjà présent sur The Resistance et The 2nd Law : une ridicule tendance à se complaire dans le grand n’importe quoi. Si la première moitié de Drones tient à peu près la route, les choses se gâtent dès que “JFK” pointe le bout de son nez. La tonalité heavy se délite progressivement jusqu’à ne laisser place qu’à un ramassis de remplissage sirupeux, abscons et/ou pathétique, au choix ou les trois à la fois. “Revolt” donne dans le rock de stade lénifiant, “The Globalist” se la joue progressif mais ne fait qu’empiler malhabilement trois parties incompatibles et insignifiantes (mention spéciale au pont psychotique décérébré), et on n’ose vous parler de “Drones”, cantique renaissance à plusieurs voix qui, bien que fort joli, n’a rien à ficher ici tellement il s’avère à côté de la plaque. En résulte un album complètement déséquilibré, mi-bodybuildé, mi-rachitique, et si le cas “Aftermath” se voit d’emblée sujet à récriminations du fait d’une pompe inimaginable du Pink Floyd des 80’s, cette balade aurait pu encore passer si elle était arrivée beaucoup plus tôt qu’en dixième position. Il n’y a vraiment que Muse pour aligner sept titres énergiques d’entrée de jeu et trois longs morceaux mollassons pour conclure le disque. Face à tant d’obstination ubuesque, on se demande presque à quoi Robert Lange, le producteur, a pu servir à part aider un groupe qui ne savait plus ce qu’était le rock à se refaire un peu de muscle.
Mais le pire dans cette histoire, c’est que cette fois-ci, Muse a vraiment essayé. De renouer avec le rock, de faire du bruit, de se réconcilier avec le trio guitare-basse-batterie, de mettre la bride à ses expérimentations. De retrouver son lustre d’antan, de revenir dans le droit chemin, et accessoirement de rassurer sa fanbase. Muse a essayé, s’est donné les moyens de ses ambitions, mais a échoué. Dès lors, le fantasme d’un “retour aux sources” n’a plus et n’aura plus jamais lieu d’être. S’il y a bien un message à retenir de Drones, c’est celui-là : Muse n’est plus. Pour ceux qui en doutaient encore, il est temps de tourner la page.