Muse
Will Of The People
Produit par Muse, Aleks Von Korff
1- Will Of The People / 2- Compliance / 3- Liberation / 4- Won't Stand Down / 5- Ghosts (How Can I Move On) / 6- You Make Me Feel Like It's Halloween / 7- Kill Or Be Killed / 8- Verona / 9- Euphoria / 10- We Are Fucking Fucked
Difficile de défendre un disque qui, en toute objectivité, tend absolument tous les bâtons pour se faire battre. Ainsi en va-t-il de Muse que je qualifiais dans ma précédente critique de “troll vivant du rock n’ roll”, et je ne saurais me donner tort tant on a rarement vu un groupe jouer de son image et de son style musical pour exacerber les élégies comme les crispations. Si le verbe se fait volontiers poétique ou taquin dès lors qu’il s’agit soit de flatter, soit de dézinguer, il est autrement plus difficile de briller dans le style quand il s’agit de défendre un album correct, quand bien même cela revient à monter au front seul contre tous. Car n’en faisons aucun mystère, cela fait belle lurette que la bande à Bellamy ne trouve plus aucun écho favorable chez Albumrock (hormis chez votre humble serviteur), en tout cas dans ses plus récentes productions studio certes pas au niveau d’un trio qui, fut un temps, a tutoyé les sommets. De là à considérer Will Of The People comme la daube que l’on a absolument envie d’entendre, il n’y a qu’un pas qu’il serait malavisé de franchir sans prendre garde de se mouiller les pieds.
Abordons d’emblée le sujet qui fâche, car Will Of The People brille avec un peu trop d’ardeur, au premier coup d’oreille comme au deuxième et aux suivants, par ses innombrables et odieuses facilités. Plagiat (Freddie Mercury, si tu nous lis), autoplagiat (Matt Bellamy, si tu nous lis), éclatement stylistique ahurissant, autosatisfaction confinant au grand-guignol, il est certain que Muse n’a vraiment plus aucune envie de sortir de sa zone de confort ni de chercher à se confronter à sa propre légende, préférant regarder le passé d’un œil amusé, détaché et vaguement hagard, préférant rire de soi et de ses travers plutôt que d’essayer d’en tirer le meilleur parti. Il est autrement plus simple et confortable de se parodier que de se lancer dans une entreprise autrement plus ambitieuse sur le plan artistique. Indépendamment de la communication invariablement merdique des trois anglais - et qui, pour le coup, ne change plus vraiment d’un album à l’autre -, on a vraiment l’impression que, sur ce disque-ci comme sur le précédent (Simulation Theory), Muse semble avoir cessé de se prendre au sérieux, en tout cas dans les faits - pour le discours, on repassera.
Notons que cela n’est pas forcément une critique. On ne va pas encore une fois s’appesantir sur les groupes de rock qui n’ont plus rien à dire, et Dieu sait qu’il y en a, de U2 à Red Hot Chili Peppers en passant visiblement par les Arctic Monkeys dont on frémit déjà d’entendre le prochain album. Muse, à l’évidence, fait partie de cette catégorie. C’est un fait, il n’y a pas à transiger, que l’on adule cette formation, qu’on la conchie ou qu’on la traite par le mépris indifférent : Muse n’a plus rien à dire. À partir de là, plusieurs options sont possibles : soit se taire une bonne fois pour toute et livrer au peuple un best-of en bonne et due forme - qui, dans le cas de Muse et soit dit en passant, se fait toujours attendre -, soit splitter pour mieux ressusciter, vivre de juteuses tournées de reformation et continuer de faire vivre sa propre légende en glorifiant son propre passé, soit persister envers et contre tout à vouloir survivre, même si cela implique de se voir sans cesse condamné à décevoir et à cristalliser les récriminations plus ou moins violentes au fil du temps. Or si Muse semble s’acharner à garder la tête hors de l’eau, on peut au moins leur reconnaître un certain recul vis-à-vis de leurs propres créations. Car depuis Simulation Theory, on ne décèle plus chez eux de volonté mégalomaniaque de se surpasser ou de révolutionner la musique, aboutissant à des chefs-d’œuvre de médiocrité comme de suffisance (The Resistance, The 2nd Law). Au contraire même, on repère encore une certaine fraîcheur qui les conduit parfois - souvent - à s’amuser, comme sur le truculent “Pressure” ou les essais un tant soit peu rigolos que sont “Break It To Me” et “Get Up And Fight”. Quand en plus on les sent encore capables de créer d’authentiques vrais bons morceaux, “Animals”, “Reapers” ou “Blockades” pour ne pas les citer, et ce alors même que les mastodontes moribonds précités se contentent de cachetonner dans leurs studios pour mieux engranger leurs royalties sur scène, on se dit que non, décidément, on aurait tort de faire à Muse un procès en gâtisme précoce, quand bien même le trio fait à peu près tout pour exaspérer son monde.
La critique se révèle unanime de la part des fans de Muse, que ce soit ceux qui lisent encore Albumrock - merci à eux ! - ou en tout cas ceux qui s’accrochent encore à leurs héros / hérauts : Will Of The People est le meilleur disque des anglais depuis Black Holes And Revelations. A partir de là, pourquoi le vouer aux gémonies dans nos pages - et en particulier à une note aussi ridicule que 1,5 sur 5 ? Indépendamment des réactions souvent épidermiques et indignées que suscite le trio de Teignmouth, la question revient à déterminer si tout ce qui a été commis depuis Black Holes relève sans discrimination de l’étron pur et simple. Or il est un fait que non. Non et non. The Resistance se montre abject, The 2nd Law, ignoble, Drones, désespérant, et Simulation Theory, exaspérant (quoique par instants). Certes, mais ce constat d’ensemble n’enlève rien à certaines saillies magnifiques, certains morceaux superbes, certaines idées proches du génie qui, néanmoins, peinent à surnager dans un océan de bassesse. Le constat n’est pas le même pour Will Of The People, car en dépit de ses défauts énoncés en préambule, le fond de l’album patauge assez nettement au-dessus de la médiocrité. Tout n’y est pas bon, loin s’en faut, et on y retrouve encore du mauvais voire du très mauvais, mais l’ensemble se tient cette fois-ci du début à la fin. Le disque se montre concis, dix titres, un peu moins de quarante minutes, on gage que la tracklist a été soigneusement - et intelligemment - épurée. Du fort, du faible, une progression, même une petite amélioration en seconde partie, pas de réel titre minable - certes pas de réel titre fabuleux non plus, mais cela suffit à ne pas jeter d’emblée le bébé avec l’eau du bain. Allez, revue de détail.
Alors non, je n’ai vraiment pas repéré le plagiat de Marilyn Manson sur “Will Of the People”, même pas a posteriori, et le fait que je méprise cordialement Brian Warner et son œuvre (dans le genre plagiat, on fait difficilement mieux) n’a finalement pas grand-chose à y faire. D’ailleurs, à tout prendre, je préfère largement cette “version” de Muse, tonique, bluesy, pas très finaude mais qui déroule crânement sa matière : voilà une entrée qui tient ses promesses. Las, “Compliance” plombe cette introduction avec sa synth-pop grossière, même si la tenue mélodique se montre peut-être un peu moins racoleuse qu’à certains moments passés. Faut-il vous rappeler les purges que sont “Mercy”, “Thought Contagion” ou “Dig Down” ? Donc en tant que single bas du front, “Compliance” fait moins pire et c’est déjà ça. Allez, on continue avec les titres pré-dévoilés, et si “Kill Or Be Killed” s’avère pour le moins réjouissant (mais on y reviendra), on ne saurait en dire autant de “Won’t Stand Down” qui voit un refrain robuste au son colossal cohabiter avec un couplet famélique à l’électro datée, et s’il n’y a là aucune daube, c’est tout de même la frustration qui prédomine, cette impression que Muse n’est pas passé loin de son sujet. Comme signalé en intro, le trio part encore dans tous les sens, et vas-y que je te mélange du métal avec de l’électro, de l’acoustique avec du synthétique, du Queen avec du Muse, en fait c’en est tellement effarant et gonflé que ça finit par en devenir drôle. C’est un peu comme ça que l’on peut considérer ce “Liberation” qui mixe assez crânement “Love of My Life” et “Good Old-Fashioned Lover Boy”, il y a là un sans-gêne qui ne peut que faire sourire, d’autant que foncièrement le morceau se tient, et n’est pas Queen qui veut bien l’être. Plutôt que de pomper Mercury and Co à la marge, Bellamy and co y sont allés franco, et quelque part, ça en impose (bon OK, je sors).
Plus surprenant, Muse parvient ici à émouvoir. Le discours du disque s’éloigne - pas totalement, mais sensiblement - des habituelles divagations paranoïaco-mégalomaniaques de Matt Bellamy pour retrouver des thématiques plus privées, comme ce “Ghosts” qui, en piano-voix, convainc. Il y a de la nuance (un peu), une certaine pudeur (un peu moins), et on peut faire tourner la chose dans tous les sens, ça fonctionne, vraiment. C’est nettement moins vrai sur “Verona” qui, dans un registre là encore dépouillé, pêche justement par une emphase trop surjouée, sans parler d’un gimmick réverbérisé qui a vraiment tendance à taper sur le système. Mais là encore, oh comme c’est étrange, on ne retrouve pas de titre qui nous pousse épidermiquement à tâtonner dans le noir à la recherche de la zappette. Ça ne vole pas bien haut, mais ça ne hérisse pas le poil d’indignation. Idem avec ce truc volontairement parodique (cet orgue de château hanté, non mais franchement) qu’est “You Make Me Feel Like It’s Halloween” qui a plus tendance à coller la banane qu’à nous faire appuyer sur la gâchette de la mitraillette. On sent que Bellamy s’amuse à chanter les dents serrées ou à se faire des solis à la Brian May. Plagiat là encore, mais bon sang, encore faut-il réussir à exécuter le machin, pas vrai ?
Finalement, ce Will Of The People brille moins par ses titres indubitablement réussis (même s’il y en a, cf plus loin) que par son absence de déchets. Qui plus est, on passe vraiment de très bons moments en compagnie de “Kill Or Be Killed”, de son refrain à la Radiohead d’antan, de ses riffs heavy metal, de ses envolées quintessentielles et de ses tonalités orientales. Bon, OK, pour les arpèges de synthés ascensionnels pompés sur “Bliss”, vous abusez, les gars. Pareil pour le riff de “Knights Of Cydonia” qui se retrouve consciencieusement décalqué sur “Euphoria”, non mais eh oh, ça va bien, oui ? Nonobstant un morceau là encore plutôt emballant, pêchu, entraînant, enflammé, musesque en diable. Que peut-on reprocher à ça, bon sang ? Ça déboîte, fichtre, et on gage qu’en live ça risque d’envoyer du pâté. Et le plus étonnant arrive en toute fin avec ce “We Are Fucking F*****d”” qui, d’une tranquille virée en cabriolet, nous propulse à l’arrière d’une 500cc qui enchaîne les lacets punk-rock à toute berzingue, le tout sur un refrain qui, pour le coup, prend le contrepied complet du style Muse avec une voix qui demeure invariablement accrochée aux graves.
Vous voyez bien que nous ne sommes pas tous des Musophobes invétérés chez Albumrock ! De fait, je ne peux que me joindre à la voix du peuple : Will Of The People est le meilleur album de Muse depuis Black Holes And Revelations. Ou le moins mauvais, c’est selon. Malgré ses nombreux travers et fautes de goût, on ne peut nier un certain plaisir (forcément coupable) en écoutant ces nouvelles compositions estampillées Matthew Bellamy, Chris Wolstenholme et Dominic Howard, sans pour autant caresser l’espoir d’obtenir un jour un successeur réellement digne de ce nom à Origin Of Symmetry. Quoique, quand on y regarde de plus près, cela fait cinq albums successifs qui se révèlent de moins en moins mauvais, jusqu’à même tutoyer le bon cette fois-ci. Alors qui sait ? (Bon Ok, je (re)sors).
Ils sont décidemment incorrigibles. La sortie d'un nouvel album de Muse s'accompagne inévitablement d'une déclaration anticipée, du chanteur Matthew Bellamy, affirmant que "ce nouvel album est le meilleur que Muse ait produit". Vous pourrez vérifier : Resistance, The 2nd Law, Drones puis Simulation Theory et donc Will Of The People, tous ont, l'un après l'autre, eu droit aux louanges voulues prémonitoires du chanteur britannique. Pourtant cette assurance est inversement proportionnelle à la qualité réelle de ces différentes productions. On ne va pas refaire l'historique musical bancal du trio post Black Holes and Revelations en tirant en rafales sur l'ambulance anglaise. Malgré tout cette redondance dans le propos de Bellamy interroge : cette répétition ne s'apparenterait elle pas, en réalité, à un aveu de faiblesse de ses auteurs qui, pour mieux se mentir à eux-mêmes, masqueraient leurs lacunes derrière un propos racoleur ?
Le trio de Teignmouth est devenu cet ogre gigantesque qui déambule sur les terres du rock avalant sans fin les assemblées des stades du monde entier, il lui suffirait donc simplement d'étayer et d'assumer l'orientation sonore choisie pour son nouveau disque. L'évènement d'un nouveau Muse se suffit à lui-même pour rassembler les foules. Mais non, la retenue ne fait pas partie du vocabulaire de Bellamy.
Il faut plaire, plaire à tous et ne surtout, surtout, pas laisser une belle âme fidèle sur le bord de la route que cette dernière ait été séduite par les émulations à la distorsion ravageuse de "Time is Running Out" ou des ambiances plus conventionnellement pop de "Madness".
La blemmophobie du trio les empêche ainsi, depuis 7 ans, d’avancer autrement que le cul entre deux chaises : coincé par la volonté de rassembler à tout prix. Drones, était fait pour séduire la fan base "d'avant" au son des riffs épicuriens de la guitare. Le bémol ici vient des ventes de cet album dit "retour aux sources" qui ne sont pas au niveau attendu. Pas de problème, quatre ans plus tard, Muse prend le parfait contrepied en sortant de sa besace sa science de l'adaptabilité aux modes du moment. L'année 2019 surfe sur une vague rétro-cool des "eighities" ? Les Anglais jouent la carte à fond sur Simulation Theory et commercialement ça cartonne par contre les vieux de la vieille, continuent de râler… Encore.
Vous l'aurez compris, il n'est pas question pour nos protagonistes d'assumer, musicalement, un penchant d'un côté ou de l'autre. L'idée d'un Best Of fait alors son chemin mais Muse s'y refuse aussi. (D'ailleurs, saluons en aparté la volonté du groupe de ne pas s'adonner à la compilation, pourtant très lucrative, de leurs hits pour lui préférer l'innovation). Le trio va par contre garder cette idée en tête pour arroser la presse de ses idiotismes. Ainsi Will Of The People n'est pas seulement, pour ses auteurs, "le meilleur album de Muse", c'est aussi un "best of de chansons originales" dans lequel on retrouve "la meilleure chanson pop" mais aussi "le meilleur titre de métal".
Si tout est mieux alors…Qu’ont-ils fait au cours des vingt-trois années précédentes ?
Pourtant le single éclaireur "Won't Stand Down" semble donner raison à ces déclarations. Quelle bombe ! Muse mêle intelligemment des sons électroniques à un riff d'une violence infinie et délicieuse menée dans toute sa furia dans un solo dantesque et dans un final à la lourdeur jouissive. On retrouve également dans son refrain une interprétation à la signature musienne imparable. La claque est réelle et on reste prostré devant la puissance distillée ici. K.O. d'entrée : Muse rabaisse le caquet des rageux. Un fait d'arme immédiatement effacé quelques semaines plus tard au son des claviers balourds de "Compliance" et le retour à la pop-disco-exaspérante de Simulation Theory. Un titre qui a le mérite de ne pas se prendre trop au sérieux en rajoutant une touche "fun" avec son solo emprunté au thème de la série K-2000.
Pour ce qui est des clins d'œil, Will Of The People les adresse de manière tellement ostentatoire qu’ils confinent à la vulgarité : ainsi le titre éponyme, chargé d'ouvrir le disque, pompe allègrement les gimmicks de Marilyn Manson et de son morceau "The Beautiful People". Difficile de passer outre même si l'outro du morceau, convaincante dans ses intentions lourdes, aurait suffi à rattraper les défaillances des effets disgracieux cousues à l'irritabilité des poussées vocales dans les octaves sur le refrain. Que dire en revanche de "Liberation" ? En dessous de tout côté originalité, dans un hommage plus qu'assumé à Queen. Même "United States Of Eurasia" s'en sortait mieux. Muse crée ici un nouveau concept qui fait peine à entendre : celui de la reprise inventée. A ce compte-là pourquoi ne pas assumer et s'éclater en proposant une "vraie" reprise de "La Reine" surtout quand on a le talent pour le faire de façon juste et adéquate. Le témoignage aurait au moins le mérite d'être honnête. Une affiliation toujours aussi marquée via l'utilisation des chœurs que l'on retrouve de manière un peu plus contenue dans la piste de clôture "We Are Fucking Fucked". Un morceau où cette fois la mélodie est à peu près au rendez-vous contrairement à la majorité des autres titres de l'album.
Le touché délicat des touches de piano interpelle par sa délicatesse sur "Ghosts (How Can I Move On)". En piano-voix, Bellamy donne vocalement ce qu'il peut pour tenter d'insuffler l'émotion de son texte empli de peines romantiques mais l’ensemble ne fonctionne pas en raison d’une mélodie bien fade mêlée à des accents vocaux surfaits pour un résultat global qui verse intégralement dans le pathos. Après de sympathiques appétences caricaturales venues d'un manoir hanté "You Make Feel Like It's Halloween" se voit, là aussi, aseptisé par une mélodie ratée , d'une effroyable pauvreté jusqu’à devenir risible dans les derniers instants du refrain. Muse finit de ratisser les recoins de la médiocrité avec "Euphoria" et surtout "Verona", deux morceaux indignes du talent du groupe. Le premier achève de travestir la suprématie vocale de Bellamy en la réduisant à un état primaire du fait de son débit excessif. Le second titre propose lui une longue litanie bâtie dans un pseudo électro conceptuel morne : aussi avant-gardiste qu'inexpressif.
Reste enfin "Kill Or Be Killed" dont il est impossible de ne pas apprécier la virilité imposante de ses riffs et se laisser happer dans sa déflagration massive. Mais ce physique, aux formes agréables d'apparence referme une nouvelle fois un caractère impersonnel ressenti à l'écoute d'un assemblage sonore gargantuesque et, au final, étouffant. Une pièce unique au contenu bien en-dessous de ce que le paquet cadeau pouvait laisser supposer.
Finalement ce nouveau Muse, c'est un peu comme ces déjeuners chez la belle famille. On tire la gueule en y allant. Une fois sur-place, un verre d'apéro fait agréablement flotter notre cerveau au rythme délicat des bulles et l'on sourit alors à ces vieilles anecdotes qu'on a déjà entendues 100 fois ("Won't Stand Down"). L'enchantement retombe bien vite une fois à table quand nous sert une entrée ratée tirée d'un de ces nouveaux livres de recettes "garanties moins de 80 calories" ("Verona"). Avant le plat de résistance des gamins insupportables tournent en rond en braillant autour de la table avec leurs maquillages de kermesse ridicules ("You Make Feel Like It's Halloween"). Comme d'habitude le poulet est fade mais bon, ça passe, vue l'entrée qu'on nous a servie ("Will Of The People"). Pendant que le fils d'un ami de la famille se fait reprendre pour la cinquième fois à cause de son langage jugé grossier ("We Are Fucking Fucked"), on nous ressert discrètement un verre du magnum de Bourgogne à 15% que le beau-père exhibe fièrement ("Kill or Be Killed"). La bouteille finie, un tonton qui en a un peu trop abusé, se lance dans une imitation foireuse de Mercury ("Liberation") avant qu'il ne se rende compte qu'il a oublié de ramener le dessert, alors on ressort du congélateur le gâteau au chocolat de la dernière fois ("Compliance").
On repart, l'estomac plein, en se disant qu'on ne nous y reprendra plus. Encore une promesse non tenue car, dans le fond, on tient beaucoup trop à ces moments-là pour s'en exclure volontairement parce que mauvais ou pas le poulet du dimanche reste un instant à sacraliser.