Muse
Simulation Theory
Produit par Rich Costey, Mike Elizondo, Muse, Shellback, Timbaland
1- Algorithm / 2- The Dark Side / 3- Pressure / 4- Propaganda / 5- Break it to Me / 6- Something Human / 7- Thought Contagion / 8- Get Up and Fight / 9- Blockades / 10- Dig Down / 11- The Void
Au fil des années, Muse s’est progressivement métamorphosé en troll musical vivant, la faute à quelques albums foireux où les pires calamités se sont mêlées, il faut bien le reconnaître, à quelques coups d’éclats, hélas trop fugaces pour marquer durablement les esprits. En cela, ce n’est peut-être pas un hasard si Simulation Theory a déboulé en pleine célébration de Queen via le biopic Bohemian Rhapsody qui, tout bardé de défauts soit-il, a au moins eu le mérite de remettre sous les spotlights l’un des groupes anglais les plus brillants qui fût. De là à affirmer que Muse est atteint de ce que l’on pourrait appeler le syndrome de Queen, indépendamment des similitudes existants entre les deux formations officiant au pays de sa Majesté, il n’y a qu’un pas que nous allons allègrement franchir.
Par syndrome de Queen, on entend un groupe qui n’a jamais réussi à briller sur un album entier - A Night At The Opera excepté pour l’un, et à la rigueur Origin Of Symmetry pour l’autre - mais qui, bon gré mal gré et au fil de productions plus ou moins indigentes, est toujours parvenu à pondre au moins un ou deux titres intéressants à chaque galette, permettant d’entretenir une fanbase toute entière acquise à sa cause et de remplir des stades dans le monde entier. U2 pourrait d’ailleurs entrer dans cette même catégorie. Pour Muse, c’est pareil : qu’est-ce qu’on en a à carrer, finalement, que The Resistance, The 2nd Law et Drones refoulent du goulot à partir du moment où on peut s’enquiller “Uprising”, “Animals” et “Reapers” en live, hein ? À partir de là, sachant que le trio britannique ne retrouvera plus jamais son lustre d’antan - notre deuil est irrémédiablement fait depuis la précédente livraison - et qu’il ne faut absolument rien attendre de chaque petit dernier, pourquoi bouder son plaisir ? D’autant que dans le cas de Simulation Theory, bien qu’il soit assez difficile de l’admettre pour l’auteur de ces lignes, il y a de très bonnes choses à relever.
Pourtant, ça ne partait pas très fort, avec un “Dig Down” arrivé en éclaireur un an et demi avant la sortie du disque et qui, franchement, nous en a touché une sans remuer l’autre avec sa rythmique balourde, sa grosse électro baveuse et son refrain de stade crétin à souhait. Mais après tout, notre deuil était déjà fait, notre attente au ras des pâquerettes, donc bon, ça nous a un peu peinés mais finalement on a fini par oublier cet étron pour passer à autre chose. Neuf mois plus tard a débarqué le nouveau bébé de Muse, “Thought Contagion”. Soit dit en passant, c’est la première fois que les britanniques se livrent au jeu des singles anticipés, et franchement ils auraient pu s’en passer. “Thought Contagion”, donc, ne cassait pas non plus trois pattes à un canard. On reste dans de l’arena rock assez crasse, avec cette fois-ci une certaine exaltation lyrique et une ritournelle qui parvient à titiller l’encéphale. Bref, le deuil, la peine, l’indifférence, hop, on a zappé, mais on notera tout de même que ce second essai est parvenu à accrocher durablement les ondes FM en France, fait assez rare en cette période de vaches maigres pour le rock, tandis que la vie de “Psycho” s’est avérée bien courte, sans même parler de celles des médiocres “Madness” et autres “Panic Station”. Puis l’album a été annoncé, on a rigolé en voyant l’artwork fluo inspiré de Stranger Things - c’est vachement bien, Stranger Things, attention hein -, on s’est dit qu’on allait plonger en plein trip pop 80’s, que c’était dans l’air du temps… finalement tout ça avait un côté assez amusant. Mais on s’attendait surtout à devoir s’enquiller une daube intersidérale lorsqu’est enfin arrivé enfin Simulation Theory dans les bacs.
Et là, surprise, l’album n’est franchement pas si mal que ça.
Alors certes on y trouve de belles horreurs. Si “Dig Down” s’avérait déjà médiocre et “Thought Contagion” peu mémorable, que penser de cette abjection qu’est “Propaganda” ? Une pompe inouïe du “Kiss” de Prince agrémenté d’un sample guttural dégueulasse, voilà de quoi prétendre au titre le plus minable de Muse, et Dieu sait qu’il y a de la concurrence. En revanche, on écartera avec un peu plus de ménagement les expériences malheureuses que sont “Break It To Me” - cette sorte de mélange entre pop à la Justin Bieber, riffs déglingués et refrain élégiaque - et dans une moindre mesure “Get Up And Fight”, alternant couplets synthétiques aux voix féminines Taylor Swift like et grands pains de stade vibrant de naïveté virile. Avec un peu plus de ménagement, parce qu’il y a là une vraie prise de risque, pas spécialement payante mais assez symptomatique d’une volonté de bousculer les frontières, de marier les improbables qui, auparavant totalement à côté de la plaque (les essais symphoniques foireux de The Resistance, le dubstep miteux de The 2nd Law et les choeurs de cathédrale de Drones), restent ici en phase avec le style Muse. Et c’est sans doute la grande leçon à tirer de Simulation Theory : l’album demeure globalement cohérent, et surtout le trio ne cherche pas ici à ressembler à quelqu’un d’autre. Chaque titre se voit marqué de la patte mélodique des trois hommes, de leur ADN musical, et les emprunts relevés çà et là (“Propaganda” excepté) versent davantage dans le clin d’œil que dans le plagiat. Donc sur ce point au moins, il y a une évolution nettement positive. On passera par ailleurs rapidement sur “Something Human” si ce n’est pour affirmer qu’au-delà d’un refrain exaspérant au possible, la faute à un Matthew Bellamy qui appuie sur ses h aspiré comme un nigaud, le titre fonctionne et se montre même franchement sympathique, d’autant plus dans sa version acoustique qui, elle, frôle même la mention bien. Oui, parce que la livraison DeLuxe de Simulation Theory contient pas mal de versions alternatives qui valent leur coup d’oreille, en particulier donc “Something Human” mais aussi “Dig Down” qui, relooké à la sauce gospel, passe beaucoup mieux.
Mais revenons au positif, car il y en a. L’entame, tout d’abord, séduit. Esthétiquement très marquée synth pop à l’ancienne (Stranger Things, donc, pour vous donner une idée), “Algorithm” réalise une belle introduction, pas transcendante mais très correcte. Arrive “The Dark Side”, et là encore ça marche bien, l’alliance claviers-guitares est équilibrée, la mélodie est là, on valide. Et puis la conclusion, “The Void”, affine bien les choses et donne du liant à l’ensemble. On n’ose vous rappeler à quel point Muse n’est pas doué pour trousser des morceaux calmes, or “The Void” vient contredire cette règle. Pas de façon totalement indiscutable, mais il y a de l’idée. Tout ça c’est déjà très bien, mais il y a mieux : deux titres réellement formidables, et ce n’était pas arrivé depuis, allez, Black Holes and Revelations à tout le moins. “Pressure” est un morceau magnifique et, fait original, réellement fun : avec ses guitares arrangées comme des trompettes, son rythme chaloupé, son chanteur qui parvient à communiquer un vrai enthousiasme et, enfin, enfin, une émotion non surjouée, on entre à nouveau dans la cours des grands. S’y mêle un pré-chorus démoniaque (superbe riff basse-guitare, au passage) et un refrain sur lesquels les petits ajouts vocaux suraigus de Chris Wolstenholme font sourire dans le bon sens du terme. Retournez l’équation dans tous les sens, mais vous verrez, il n’y a pas à sourciller : “Pressure” se pose comme le morceau de Muse le plus enthousiasmant depuis “Starlight”, ce qui n’est pas rien. Enfin ça, c’était avant d’entendre “Blockades”, parce qu’alors là on peut remonter à nettement plus loin : le titre trouverait parfaitement sa place sur Origin Of Symmetry sans avoir à rougir à côté de ses voisins, c’est dire à quel point il s’avère excellent. Avec son petit arpège de synthé inversé, ses cavalcades de batterie (Dominic Howard impérial), sa mélodie ascensionnelle, son pré-chorus tout en retenue et son refrain héroïque écrasé sous de gros riffs de guitare, on se place à mi-chemin entre “Bliss” et “Knights Of Cydonia”, et c’est sidérant de réussite. Voilà, c’est dit.
Simulation Theory n’est pas parfait, loin de là, mais il se montre globalement accrocheur, il se laisse écouter sans que l’on doive abuser de la touche next track, et il réunit plus de bons morceaux que ses trois prédécesseurs réunis, ce qui le place qualitativement parlant, aussi étonnant que cela puisse paraître, juste derrière les quatre premiers disques du trio de Teignmouth. On ne criera ni au génie, ni au loup, et on n’en attendra pas davantage de Muse à l’avenir. Et puis, un petit plaisir coupable de temps à autres, ça n’a pas de prix, n’est-ce pas ? Et rendez-vous en live pour vibrer avec Bellamy, Wolstenholme et Howard, parce que sur ce plan là, il n’y a toujours absolument rien à leur reprocher. On nous murmure même qu’un “medley metal” de 15 minutes serait au programme de la prochaine tournée… comme quoi, il n’y a pas que la pop dans la vie.