19 mai 2010 : Scorpions investit L’Olympia pour présenter son dernier album
Sting in the Tail. C’est parti pour un set de classic hard que le public savoure et dont il se délecte. De "Rock You Like a Hurricane" à "Still Loving You", tous les titres emblématiques du répertoire des teutons y passent. Mais à mes yeux, tout ceci reste anecdotique à côté d’un instant de communion universel instigué par Klaus Meine : ce-dernier souhaite prendre le temps de rendre hommage à un homme qui, en plus d’être considéré comme le père spirituel de la metal music, était pour lui un véritable ami. Décédé trois jours plus tôt, Ronnie James Dio voit son nom scandé par 2000 spectateurs désireux de célébrer son héritage. S’en suivent une acclamation unanime pour l’homme, ainsi qu’un "Send Me an Angel" lui étant dédié. Ainsi, du haut de mes dix-huit printemps, je prends conscience de l’impact qu’a pu avoir le regretté Dio sur la sphère metal, tant sur sa musique que sur sa culture (on parle quand même de celui qui a intronisé les cornes du diable comme symbole de ralliement universel chez tous les metalheads). Je réalise à quel point ce-dernier avait pu être influent, mais surtout à quel point il était respecté. Toujours décrit comme un homme généreux et charitable, Dio perd malheureusement son combat contre un cancer de l’estomac et laisse derrière lui un héritage considérable qui a inspiré toute une génération de musiciens.
Ses apôtres n’ont cependant pas attendu sa mort pour le sacraliser : les tributes lui étant consacrés se comptent par dizaines, sans pour autant jamais atteindre un niveau d’exigence digne de son statut. Il était donc temps de faire les choses convenablement, et d’offrir au Saint-Père un requiem de circonstance. C’est donc Wendy Gaxiola, veuve Dio, qui s’installe aux commandes du projet qui deviendra This Is Your Life, dont l’intégralité des fonds récoltés iront à la fondation Stand Up and Shout et aideront à la recherche contre le cancer. Entreprise doublement louable donc, et qui requerrait un effectif à la hauteur de cette dernière. Il suffit de jeter un oeil à la pochette pour voir que les plus grands noms se sont mobilisés et ont tenu a apporter leur pierre à l’édifice : James Hetfield, Lemmy, Corey Taylor, Rob Halford, Scott Ian… Sur le papier, tous ces noms laissent supposer qu’on aura enfin droit à un tribute à la hauteur de ses exigences.
Et c’est effectivement avec brio que celui-ci débute avec un "Neon Knights" repris par
Anthrax, enregistré lors des sessions de leur excellent EP
Anthems. Scott Ian et sa bande jouent la carte du mimétisme, délivrant une performance percutante et maîtrisée de ce titre de
Black Sabbath, soutenus par un Joey Belladonna en état de grâce. De la même manière,
Adrenaline Mob joue la sécurité avec un "Mob Rules" carré et très proche de l’original, la différence majeure résidant dans le jeu quelque peu pesant de Mike Portnoy, qui ne nuit malgré tout pas à l’ensemble. Entre ces deux titres, on retrouve les clowns burlesques de Tenacious D, qui ont pour l’occasion mis de côté leurs bouffonneries pour reprendre "The Last in Line" avec noblesse, ne se permettant comme unique facétie qu’un solo de flûte en lieu et place du solo de guitare de Vivian Campbell, marquant le titre de l’empreinte Tenacious D sans pour autant tourner celui-ci en dérision.
Plusieurs morceaux ont ici été repris par des all-star bands assemblés spécialement pour l’occasion, parmi lesquels "Rainbow in the Dark", "Catch the Rainbow" ou encore "I". Le premier est d’ailleurs une réussite totale : emmené par un Corey Taylor ayant fait tomber le masque et épaulé par des musiciens de renom (on citera surtout Roy Mayorga de
Stone Sour et Satchel de
Steel Panther), le titre acquiert une nouvelle stature avec une production plus moderne et délaissant les claviers quelques peu vieillots de la version originale, remplacés simplement par une guitare palm-mutée et incisive. "Catch the Rainbow" voit quant à lui Glenn Hugues se glisser dans les bottes de Dio au milieu des membres de la dernière incarnation de son groupe. Moins floydienne que la version de Blackmore, cette réinterprétation hendrixienne trouve sa force dans le chant tout en délicatesse de Hugues, qui pour une fois n’en fait pas des caisses.
Au milieu de ces brochettes de testostérone, deux femmes ont néanmoins réussi à se glisser jusque dans le projet : la chanteuse allemande Doro, dont le "Egypt" figurait déjà sur un tribute datant de 1999, avec des arrangements qui, bien que datés, lui confèrent des sonorités justement égyptiennes qu’on ne retrouve pas sur l’originale, ainsi qu’une atmosphère mystique et plus féminine que sur le "Straight Though the Heart" couillu et de bonne facture de Lzzy Hale, frontwoman de Halestorm. Ce-dernier est suivi d’un "Starstruck" tout aussi burné, interprété par les vieux de la vieille de
Motörhead, accompagnés au chant par Biff Byford de Saxon. Les soucis de santé de Lemmy ne sont plus un secret pour personne, c’est pourquoi ce-dernier se retrouve relayé aux choeurs, mais rassurez-vous : musicalement, lui et ses sbires envoient toujours la pâtée. Bouclons enfin la boucle avec "The Temple of the King", repris par Scorpions qui s’accapare le morceau et le fait sien tellement celui-ci semble écrit pour eux : les moins informés croiront même entendre un outtake d’
Humanity. Mené tambour battant par la voix si caractéristiques de Klaus Meine et un jeu de guitare subtil de la part de Matthias Jabs (qui a enfin acquis une certaine classe après des années de shredding débilitant), "The Temple of the King" est certainement la pièce de ce tribute la plus respectueuse envers Dio.
Ce qui n’est malheureusement pas le cas de toutes. Je me suis beaucoup attardé sur les réussites de ce
This Is Your Life, ne tarissant pas d’éloges au sujet de certains morceaux, mais ne vous y trompez pas : il y a bien des ratés. Et même de gros ratés, à commencer par les bouseux de
Killswitch Engage(on notera ici plus une erreur de casting de la part de Wendy Gaxiola) qui massacrent le titre le plus emblématique du répertoire de Dio : "Holy Diver" se voit affublé d’un Jesse Leach oscillant entre chant caricatural et hurlements ridicules ne faisant effet que sur des adolescents de 14 ans maximum et en proie à la mode emo, ainsi que de riffs ponctués à outrance d’harmoniques artificielles. Gros point noir de cet album hommage, cet "Holy Diver" vomitif et risible n’est non pas un blasphème, mais bel et bien un sacrilège à l’encontre du pauvre Dio, qui doit actuellement se retourner dans sa tombe.
Raté aussi, dans une moindre mesure, pour
Metallica et son medley : lésé par des longueurs qui semblent des éternités et des articulations et transitions maladroites, "Ronnie Rising", bien en deçà de ce qu’avait pu être "Mercyful Fate" sur
Garage Inc., tarde à devenir intéressant (il faut attendre la moitié du morceau et l’intro de "Kill the King" pour pouvoir enfin savourer un minimum) et sonne comme une mauvaise demo de
Death Magnetic, avec un Lars Ulrich lourdaud au possible. C’est en réalité toute la fin de l’album qui se veut franchement médiocre, avec un "I" totalement anecdotique malgré la présence dans son effectif de deux membres de la première ère de Dio le groupe, et un "Man on the Silver Mountain" qui, bien que d’abord surprenant avec son intro country blues délirante, sombre très vite dans une affligeante banalité avec un Rob Halford qui n’en a visiblement rien à foutre et se contente de chanter comme il le ferait sur une face-B miteuse de
Judas Priest.
C’est heureusement à Ronnie James Dio lui-même que revient le mot de la fin : simplement accompagné par Scott Warren au piano, le chanteur laisse résonner sa voix une dernière fois au travers de "This Is Your Life", titre issu d’Angry Machines et donnant son nom à ce tribute. Traitant de l’écoulement de la vie et de l’impartiale mortalité à laquelle nous sommes tous soumis, Dio clôt lui-même cet hommage qui lui est fait de la plus belle des manières, tout en nous arrachant une dernière larme d'admiration.
Malgré une amputation quelque peu surréaliste de sa période Elf qui regorgeait pourtant de morceaux tout aussi méritants, This Is Your Life se veut être le tribute le plus abouti au parrain de la metal music : commémorant dans l’ensemble son oeuvre avec prouesse et intégrité, il rappelle à nos âmes endeuillées que malgré sa petite taille, Ronnie James Dio faisait partie des grands, et qu’il survivra à jamais au travers de sa musique qui constitue un héritage colossal ayant inspiré bien plus de musiciens qu’on ne pourrait croire.