
Top10 – Hors-série #21 - Qui a crié Bomp ?
Comment naissent les chroniques ?
Le grand auditorium de la rédaction est installé au 17ème des vingt étages que compte l’immeuble AlbumRock. C’est un endroit confortable et paisible où les rédacteurs accrédités peuvent écouter des vinyles, loin du crépitement des machines Underwood, des sonneries de téléphone et du sourd grondement des rotatives.
Installé dans un Chesterfield près d’une fenêtre, je sirote un Camus VSOP hors d’âge en réécoutant le remix allemand de (Music From) The Elder. A l’extérieur, j’aperçois au loin les doux reliefs du Massif Central.
Et là, je repense au fou rire qui m’a pris dans l’ascenseur lorsque Jeremy, notre jeune stagiaire belge plein d’enthousiasme, m’a interpellé.
- Oncle Dan, pourquoi n’avez-vous pas cité "Who Put The Bomb" dans votre récent Top10 sur la bombe atomique ?
Je l’ai observé avec commisération.
- "The BomP", mon petit ami ! Pas "The Bomb" ! "Who Put The Bomp" !
Et voilà comment naissent les chroniques… Bomp ! Une illumination soudaine…
Je dépose mon verre sur la table de salon et je me précipite vers le téléphone mural – bois noble et bakélite – qui se trouve entre les deux portraits en pied de nos rédacteurs en chef. Je compose le numéro du secrétariat.
- Allo ?
- Corine, mon petit ! Je descends dans deux minutes pour rédiger un article ! Pouvez-vous envoyer un pneumatique urgent à nos rédacteurs en chef ? Prenez note, mon petit ! Honorés blablabla, Top10 consacré aux onomatopées dans le rock ! Formule de politesse et blablabla. Signé : D.
Onomatopée
L’onomatopée reste la première forme de communication humaine. Tous ceux et celles qui ont enfanté (ou plus ou moins participé au processus) se souviennent avec émotion des premiers "Areuh Areuh", "Ba Be Bi" ou "Fleblebleb" (1) de leurs gros bébés joufflus.
Le phénomène va alors s’éterniser des mois durant (avec quelques variantes) avant de péniblement déboucher sur un début de langage humain articulé ("Papa").
C’est peut-être en souvenir inconscient de cette période très pénible d’apprentissage que certains auteurs, probablement bloqués dans leurs souvenirs placentaires, recourent des onomatopées dans les textes de leurs chansons.
Un petit florilège de dix titres pour un Top10 qui – objectivement – ne veut rien dire du tout et qui n’a bien entendu aucune vocation exhaustive.
Gabba Gabba Hey !
10.- "Killy-Watch" – The Cousins (1960) – Il n’y a qu’un groupe belge pour écrire une cornichonnerie pareille et remporter un succès international. La langue anglaise était (forcément) à la mode dans le rock naissant mais aucun des membres de The Cousins (apprécions néanmoins le "The") ne maîtrisait cet idiome. Et les gaillards ont inventé une espèce de yogourt qui jouait sur quelques intonations familières aux oreilles de tous ceux qui fumaient des choux de Bruxelles : "Kili watch ké um ken ké ala ali a tsalma poli watch..." Magnifique.
9.- "Ob-La-Di Ob-La-Da" – The Beatles (1968) – Une des rares fois où Paul (McCartney pour les Vénusiens) a été pris la main dans le sac... Les plus savants savent que le ska des années soixante fut l’ancêtre (plus rapide) du reggae. Relisez votre Desmond Dekker ! Et notre bassiste préféré s’est inspiré du ska pour composer l’abominable "Ob-La-Di Ob-La-Da". Mais il a aussi recopié une onomatopée existante pour écrire les lyrics. Petit souci, en effet : c’est le percussionniste nigérian Jimmy Scott-Emuakpor qui avait inventé la formule. Il chantait "Ob-La-Di" et son public (averti) répondait "Ob-La-Da". Jimmy a exigé des droits d’auteur. Acculé au procès, le plus gentil parmi The Beatles a finalement cédé. A contrecœur et en boudant très fort. Pas bien, Paulo ! Pas bien !
8.- "De Do Do Do De Da Da Da" – The Police (1980) – Quand je dis à mes camarades que Sting est un auteur "moyennement inspiré", je m’expose souvent à des reproches. Pourtant, c’est le génial bassiste lui-même qui a déclaré qu’en général les gens n’en avaient rien à cirer des paroles. Alors, pourquoi Diable se casser la tête à rédiger des textes qui pourraient conduire au prix Nobel de littérature ? On appelle ça "assumer". J’appelle ça de l’art (très) pauvre.
7.- "My Ding-A-Ling" – Chuck Berry (1972) – Unique numéro 1 de Charles Edward Berry aux USA et en Grande-Bretagne (malgré une campagne organisée pour le bannir des ondes de la BBC), ce single tardif que l’on qualifiera poliment de "métaphorique" chante – on l’aura compris – les louanges et les performances du "Ding-A-Ling" du guitariste. On n’est jamais aussi bien servi que par soi-même. Pas son meilleur titre...
6.- "Da Doo Ron Ron" – The Crystals (1963) – Heureusement qu’il y a l’onomatopée pour enrichir le propos parce que les lyrics, subtilement masqués par le génial mur du son de Phil Spector, sont encore pires que le titre. "Je l’ai rencontré un lundi / Quelqu’un m’a dit qu’il s’appelait Billy..." Le texte mythique attend patiemment sa publication à La Pléiade.
5.- "Do Wah Diddy Diddy" – Manfred Man (1964) – La cover de Manfred Mann a éclipsé la version originale de The Exciters. Il est difficile pour un esprit humain rationnel de faire le lien entre cette "popinade" et le futur groupe prog-rock et jazzy des seventies. Notons que c’est la même autrice – Ellie Greenwich – qui a commis le texte après avoir déjà écrit "Da Doo Ron Ron". Misère...
4.- "Sha-La-La-La-Lee" – The Small Faces (1966) – On imagine la douleur d’un groupe qui se voulait l’égal viril de The Rolling Stones et qui se retrouve gentiment convié (par son management) à enregistrer une petite rengaine infantile de Mort Shuman. D’accord, c’est chanté avec conviction mais ça reste d’une niaiserie sans nom. "Je suis allé la chercher un vendredi soir. J’ai su que tout irait bien." Yeah !
3.- "Be-Bop-A-Lula" – Gene Vincent (1956) – Personne ne se souvient d’Helen Humes. Dommage. Dans "Be-Baba-Leba" (son premier single circa 1945), elle délivre l’onomatopée magique qui va inspirer la révolution rock de Gene Vincent. Le titre qui a façonné l’histoire de notre musique favorite était pourtant promis à un existence très discrète puisqu’il figurait à l’origine en face B d’un single oublié. Publié plus tard en face A, il se vendra par millions. Et ce sera le premier disque acheté par Paul McCartney avec ses propres petits sous. L’histoire en marche...
2.- "Tutti Frutti" – Little Richard (1955) – "Un torrent de salacités hurlé par un extraterrestre bisexuel". Cette phrase est l’œuvre d’un rédacteur du magazine Mojo. On ne va pas faire sa mijaurée mais le gaillard n’avait pas tout à fait tort. Et le texte original écrit par Richard Penniman était beaucoup plus foireux que la version qui a finalement été tolérée par la firme de disques (après réécriture par Dorothy LaBostrie qui a gommé poliment les allusions les plus croustillantes au sexe anal). Il reste un tube (de lubrifiant) éternel et une phrase onomatopéique mythique : "A Wop Bop Aloobop Alop Bam Boom..."
1.- "Who Put The Bomp (In The Bomp, Bomp, Bomp)" – Barry Mann (1961) – Qui a collé un "Bomp" dans "Bomp Bah Bomp" ? Qui a collé un "Ram" dans "Rama Lama Ding Dong" ? Qui a collé un « Bop » dans « Bop Shoo Bop » ? Trois questions onomatopéiques qui sont restées sans réponse à ce jour. D’accord, ce n’est pas très "rock", mais la qualité des lyrics valait bien à ce titre d’exception de figurer au sommet d’un Top10 AlbumRock. Pas moins.
(1) Si votre bébé ne dit jamais que "Fleblebleb", il a peut-être une problème pulmonaire. Il est préférable de consulter.