The Rolling Stones
Between the Buttons
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1- Yesterday's Papers / 2- My Obsession / 3- Back Street Girl / 4- Connection / 5- She Smiled Sweetly / 6- Cool, Calm & Collected / 7- All Sold Out / 8- Please Go Home / 9- Who's Been Sleeping Here? / 10- Complicated / 11- Miss Amanda Jones / 12- Something Happened to Me Yesterday
Between the Buttons est un album à part dans la discographie stonienne. Expérimentation honnie par Jagger himself en raison d’une production trop confuse à son goût ("Oh, je déteste ce putain de disque", tonne-t-il à l’envi), Between the Buttons laisse entrevoir leur trop méconnu talent de mélodiste, à cheval entre un certain classicisme pop - inhérent à l’époque - et un psychédélisme gentiment foutraque. Les aficionado.as de "Satisfaction", de "Jumpin’ Jack Flash" et autres tourneries Rythm’n’Blues gonflées aux stéroïdes seront quelque peu décontenancés.
Fin 1966, les Rolling Stones brillent de mille feux. Aftermath les a installés au sommet de l’élite branchée londonienne et la tournée afférente marche triomphalement à travers le Royaume-Uni (avec Ike et Tina Turner en première partie) et les Etats-Unis. En dépit de leur planning stakhanoviste, les cinq anglais trouvent le temps d’enregistrer de nouvelles chansons au sein des studios Olympic (qui deviendra avec le temps un de leur principaux QG). C’est une nouveauté pour eux, habitués à travailler dans l’urgence, entre deux bouillonnantes dates. Sous une pochette enveloppée d'un halo de brume psychédélique. Between the Buttons débarque en janvier 1967.
Composée exclusivement par Jagger (une grande première dans la carrière du groupe), "Yesterday’s papers" incarne le nouveau son Stones. Malgré les arrangements luxuriants où se noient clavecin, clochettes et chœurs adorables, cette énième saillie misogyne ne fait guère la farce avec une pauvreté d’écriture indigne du nouveau statut du groupe. Un comble pour les Stones qui prirent l’habitude par la suite, de laminer la concurrence dès le premier titre. "My obsession" ne rassure pas vraiment. Le morceau déambule comme un poulet sans tête sur un confus mur du son. C’est cette impression de flou artistique qui a tant agacé Jagger. Les heures de Andrew Loog Oldham, leur pygmalion-manager-producteur sont comptées. Les Stones redressent la barre avec la splendide "Back street girl". Véritable ovni dans leur discographie, cette valse pastorale, entièrement acoustique, jouit d’une mélodie inoubliable. Et ce solo d’accordéon… Pas très stonien tout ça mais l’élégance du morceau est à couper le souffle. Toujours au rayon des ambiances atypiques, "She smiled sweetly" frappe par sa solennité et sa sobriété (qui, hélas, n’aura aucune descendance dans l’univers des "Glimmer twins"). Soutenu par Keith Richards à l’orgue d’église (???), Jagger chuchote cette foudroyante ballade avec une retenue que l’on ne lui connaissait pas. Comme si le chanteur avait abandonné toute prétention à l’amour charnel, afin de s’abîmer dans la contemplation d’une Vierge à l’Enfant. A classer définitivement dans le top 3 des plus belles ballades du groupe (à des années lumières de l’insupportable "Angie") car oui les Stones sont une incroyable machine à pourvoir des chansons romantiques. "Who’s been sleeping here" déborde carrément Dylan période Blonde on Blonde sur sa gauche, Jagger adoptant au passage les intonations déchirées du barde de Duluth. Une langoureuse impression de lendemain de fête se dégage de cette fascinante complainte folk.
Histoire de ne pas perdre la main, Keith Richards balance quand même de méchants power chords, avec un grand sens de l’à propos. A l’occasion de "Connection", sa guitare cisaille la superbe mélodie du piano. Ses contrechants complètent parfaitement les éructations de Mick Jagger. Le dosage parfait entre pop baroque et rock enlevé. La sucrerie pop "All sold out" est corrompue par sa guitare teigneuse et vicieuse avec en prime, l’improbable flûte de Brian Jones. Récente conquête de l’ange déchu, Amanda Lear se retrouve au centre de l’attention dans "Miss Amanda Jones", elle, une des figures de proue du "Swinging London". Et là Keith sort l’artillerie lourde. Au four et au moulin (guitare rythmique et lead, une habitude qu’il va garder jusqu’à l’arrivée de Mick Taylor) de sauvages riffs pétaradent dans tous les sens, les solos jaillissent à l’improviste. Du Keith Richards pur jus ! Et pour clôturer ce feu d’artifice délirant, les Stones se laissent aller à un vaudeville brinquebalant digne des meilleurs Kinks ("Something happened to me yesterday"), où ils n’ont jamais sonné aussi anglais. Des Stones joyeux, bienveillants… Bien loin de leur image sombre et agressive. Il est six heures sur Carnaby Street et la fête n’est pas prête de s’arrêter pour la fine fleur de l’aristocratie rock.
Album injustement sous-estimé de la période dorée stonienne (1966-1972), il est urgent de réhabiliter Between the Buttons. Certes, il n’a pas l’homogénéité et l’inspiration divine d’un Let it bleed ou d’un Sticky Fingers, mais Jagger & Co y montrent une trop rare facette d’artisans pop - responsables d’une floraison de douceurs délicates et subtiles - que l’évolution musicale du groupe ne permettra plus vraiment.