The Rolling Stones
It's Only Rock 'n Roll
Produit par
1- If You Can't Rock Me / 2- Ain't Too Proud to Beg / 3- It's Only Rock 'n Roll (But I Like It) / 4- Till the Next Goodbye / 5- Time Waits for No One / 6- Luxury / 7- Dance Little Sister / 8- If You Really Want to Be My Friend / 9- Short and Curlies / 10- Fingerprint File
Où le croyant accueille la parole divine descendue du Ciel
Pour de nombreux petits rockers (encouragés en cela par les critiques rock de leur temps), Goat’s Head Soup (1973) avait déjà marqué la fin d’une ère.
Premier mauvais album ? Dernier bon album ? Mystère.
En particulier, "Angie" avait précipité le basculement du groupe anglais vers un futur alternatif ou vers un néant assuré, selon que l’on avait aimé ou vomi le titre (définitivement magnifique au demeurant).
It’s Only Rock ’n Roll allait donner raison aux uns et aux autres tout en révélant (enfin) la définition, selon les Rolling Stones, du terme magique "Rock ’n Roll". Moïse avait dévalé le Mont Sinaï en portant les tables lui confiées par Dieu. Les Stones ont fait de même, mais en descendant plus prosaïquement des escaliers sublimement peinturlurés par Guy Peellaert (1)
Le rock, ce n’est pas grand-chose mais on aime ça.
Telle est la Loi.
Que faut-il ôter de "trois fois rien" pour obtenir un néant ?
Lester Bangs écrira : "Les Stones sont devenus vieux. Ils se sont engourdis. Cet album sonne faux. Il coupe mais la lame est émoussée…"
Lester Bangs a toujours raison (2). Et, pour l’occasion, je le trouve franchement aimable.
La face B (3) de It’s Only Rock ’n Roll compte cinq machins qui s’apparentent au mieux, à des improvisations paresseuses de fin de soirée et, au pire, à des raclures de bidet. Inutile de trier. Tout peut voler à la poubelle. Pêle-mêle.
Dans la discographie des Stones, c’est par conséquent le premier l’album qui ne comprend qu’une seule face. La face A. Et tes cinquante années qui se sont écoulées depuis 1974 ont permis de cerner une évidence : si l’on retire la plage titulaire, il ne reste pas grand-chose de la face A et, de facto, il n’y a presque plus d’album du tout.
Or, il se fait que les fondements de "It’s Only Rock ’n Roll (But I Like It)" (le morceau) n’ont pas été enregistrés par les Rolling Stones mais par les Faces (Kenneth Kenny Jones à la batterie, Willie Weeks à la basse et Ronald Ronnie Wood à la douze cordes). Les trois hommes ont enregistré le titre en compagnie de David Bowie (aux chœurs). Mick Jagger a ajouté sa voix et Keith Richards ses riffs infernaux sur les "basic tracks" (4).
Il est dingue de penser que toute l’architecture d’un album des Rolling Stones ne repose que sur la créativité d’un autre groupe. Des Rolling Stones, il n’y a presque rien ici. Dégagez ! Rien à voir. Et le clip, absolument fascinant, tourné pour l’occasion renforce ce sentiment de "peu de chose" puisqu’il met en scène des milliers d’éphémères bulles de savon qui envahissent progressivement l’image, chassant le groupe de l’avant-scène.
Regrets éternels
Fin 1973, les Rolling Stones sont à sec. Lessivés. Finis. Sans inspiration. Peut-être même sans la moindre envie de travailler ensemble. Mais il faut sortir un album. La première idée est de bâcler la besogne en concevant un vinyle composé d’une face A enregistrée en studio et une face B de reprises enregistrées en public (5).
Exilés fiscaux et judiciaires, empêtrés dans leurs addictions, les Stones doivent – comme tant d’autres – chercher refuge ailleurs ; ils échouent dans la peu riante Cité de Münich.
Probablement pas le lieu le plus excitant pour inspirer cinq Anglais à la dérive.
Alors que tout le monde s’attendait au pire, la face A est néanmoins bluffante (et trompeuse). Elle démarre par "If You Can’t Rock Me", un rock sans grande envergure (le riff de Mick Taylor tient sur un timbre-poste) mais suffisamment vitaminé que pour ouvrir l’appétit.
Dans la foulée, la reprise groovy de "Ain’t Too Proud To Beg" des Temptations fait agréablement monter la température ambiante.
Pour suivre, l’immense plage titulaire, abusivement signée Jagger / Richards, est simplement un des meilleurs singles de 1974.
"Till The Next Goodbye" marque une pause bienvenue après la sublime salve d’artillerie des trois premiers titres. Les lyrics (de l’americana pur jus bien avant la lettre) sont simplement savoureux.
"Time Waits For No One" est une ballade typiquement stonienne, élaborée sur le même mode mineur que "Angie". L’approche très fataliste (et très lucide) du temps qui passe donne à l’ensemble une couleur extrêmement nostalgique qui s’inscrit en contrepoint de l’insouciance (trompeuse) distillée par "It’s Only Rock ’n Roll"». C’est peut-être la meilleure plage de l’album. Les développements instrumentaux (6) démontrent une maîtrise exceptionnelle, proche de la symbiose absolue. Quel dommage que le groupe ait été à ce point avare d’autres moments aussi perchés…
Et puis c’est tout. On ferme. Circulez, il n’y a plus rien à écouter…
Pierre tombale qui roule…
En 1974, les Rolling Stones (comme tous les survivants des sixties) sont débordés par la concurrence débridée d’une myriade de groupes nouveaux, juvéniles, inventifs et puissants.
Public volatile, les petits rockers sont toujours prêts à se passionner pour un courant nouveau et ils n’en ont rien à faire de la nostalgie. Si on lit bien les lyrics de "Time Waits For No One", il y a aussi, au-delà d’une évidence banale (le temps n’attend personne), une suite : "And no one waits for me" (et personne ne m’attend ou ne nous attend plus). C’est clairement un message subliminal (7) qu’un Mick Jagger désabusé adresse à ce public qui déserte les tournées et délaisse les albums du groupe.
En 1977, Joe Strummer clamera joyeusement : "Enfin, plus d’Elvis, plus de Beatles, plus de Stones !"
En 2023, les Rolling Stones, avec Hackney Diamonds, sortent un album très correct.
Et Joe Strummer repose paisiblement dans le Somerset depuis plus de vingt ans. Paradoxe punk…
(1) Surnommé le Michel-Ange du Pop Art, le Belge Guy Peellaert (avec deux "l" et non un seul comme sur les crédits de la pochette) était fasciné par la musique du Diable. Son ouvrage Rock Dreams présente en 125 images sa vision hyperréaliste du monde rock. Commandée spécialement par Mick Jagger, la pochette de It’s Only Rock ’n Roll restera pour moi toujours ambiguë dans la mesure où il est difficile de savoir si Peellaert se fout ou non ouvertement du groupe. Le peintre réalisera dans la foulée la provocante (et très moche) pochette de Diamond Dogs pour David Bowie.
(2) Il y a trois règles d’or en matière de critique rock : Règle d'or n°1 : Lester Bangs a toujours raison. Règle d'or n°2 : Patrick Eudeline a toujours tort. Règle d'or n°3 : Si, sur un point de détail, Lester Bangs semble avoir tort et Patrick Eudeline semble avoir raison, demandez à votre rédacteur en chef de vous rappeler la Règle d'or n°1.
(3) Je parle de la face B du vinyle. Il est inutile de retourner le CD.
(4) Pour l’anecdote, il se raconte que cette collaboration assez inédite va souder l’amitié indéfectible qui unit depuis lors Keith Richards et Ronnie Wood. Les jours du funambule bluesy Mick Taylor sont par conséquent comptés. Il sera viré dans la foulée, non sans avoir revendiqué en vain la paternité de certains titres de l’album. Mick Jagger admettra qu’il avait effectivement ajouté un ou deux accords peu utiles sur un couplet ou l’autre par ci par là. Sans plus.
(5) L’idée suivra son petit bonhomme de chemin jusqu’en 1977, année où les Stones publieront le double Love You Live. La troisième face est composée de quatre excellentes reprises : "Mannish Boy", "Crackin’ Up", "Little Red Rooster" et "Around And Around".
(6) Et principalement les sublimes interventions de Mick Taylor qui livre ici ses fulgurances les mieux inspirées tout en signant son testament stonien. Il quitte le groupe en décembre 1974. Charlie Watts livrera pour l’occasion un aphorisme de première : "Mick Taylor était définitivement le meilleur choix pour les Stones… jusqu’au moment où Ron Wood est devenu le meilleur choix pour le groupe."
(7) En y regardant bien, tous les autres titres de la face A de It’s Only Rock’n Roll sont des constats de fin de règne et de désamour. "Si tu ne peux plus me faire vibrer, il faudra bien que je trouve quelqu’un d’autre", "Je ne suis pas fier au point de ne pas pouvoir présenter des excuses", "L’art que je pratique n’a guère d’importance" et "Je penserai à toi jusqu’à notre prochaine rupture…". Joie.