Riverside
ID.Entity
Produit par Mariusz Duda
1- Friend or Foe? / 2- Landmine Blast / 3- Big Tech Brother / 4- Post-Truth / 5- The Place Where I Belong / 6- I'm Done with You / 7- Self-Aware
Avions-nous perdu de vue Riverside depuis le fort réussi Love, Fear and the Time Machine datant déjà de 2015 ? Si vous êtes un assidu d’Albumrock, vous savez bien que la réponse est non. D’une, parce que l'ellipse faite sur Eye of the Soundscape (2016) tient au fait qu’il s’agit essentiellement d’une compilation de vieux morceaux (associés à quatre inédits, certes). De deux, parce que Wasteland (2018) avait… déçu, oui, on peut lâcher le mot. L’attente était-elle trop grande pour ce premier disque faisant suite au décès du guitariste Piotr Grudzinski, avec tout le pathos charrié par cette tragique disparition ? Possible. De trois, parce que jamais nous n’avons douté des talents d’écriture, de composition et d’interprétation de Mariusz Duda qui, avec le fabuleux Through Shaded Woods de Lunatic Soul, a signé l’un des plus grands disques de 2020. Autant dire que cet ID.Entity, on l’attendait de pied ferme, titillé qui plus est par les intrigants singles livrés en avant-première et qui, contre toute attente, emportaient franchement l’adhésion.
Contre toute attente, car il n’est pas forcément simple de marier des styles en apparence antinomiques. Pourtant, “Friend or Foe?” réussit à captiver par son curieux patchwork de prog, de metal et de… new wave. Plongé en immersion 80’s, fort de 7 min 30 d’évolutions captivantes, doté de truculentes lignes de basse (Duda dans ses - grandes - œuvres) et de vagues synthétiques délicieusement rétro, le morceau séduit autant par ses qualités intrinsèques que par ce parti-pris foncièrement culotté. Même son de cloche un peu plus éclatant encore avec “Self Aware” qui signe sans doute l’un des riffs les plus ravageurs des polonais, aguicheur mais pas racoleur, pop mais pas easy listening, aussi puissant qu’entêtant. L’objet se met de plus au service d’un titre plus complexe qu’il n’y paraît, et l’on prend plaisir à se perdre dans ses circonvolutions aux couleurs jamaïcaines réinterprétées à la sauce est-européenne. Mais si la version single s’auto-suffit amplement, celle de l’album pêche par une outro ouatée qui dénote avec la matrice catchy qui la sous-tend. On ne peut guère en dire autant de “I’m Done With You”, plus ramassé, arc-bouté sur ses guitares orientalisantes, propre et efficace au possible. On retrouve ainsi un Riverside résolument moderne, aux accents metal moins prononcés, volontiers curieux et gloutonnement éclectique tout en poursuivant son œuvre dans la lignée new prog qui le caractérise. Pour autant, la lisibilité n’est pas toujours de mise.
Ainsi lève-t-on un sourcil sur le curieux “Big Tech Brother” qui débute par un avertissement parlé guttural ayant tôt fait de nous sortir du trip, quand le morceau enchaîne sur un remuant motif de synthés et de… trompettes. Sur le moment, on reste interloqué, et ce n’est qu’au bout de quelques écoutes que l’on prend goût à cette friandise un peu barrée dans son introduction mais qui verse ensuite dans un rock progressif inspiré, musclé et sensible tout à la fois, où les transitions s’effectuent avec une rare fluidité et servi par une coda mi-revêche, mi-rêveuse qui convainc aisément. “Landmine Blast”, quant à lui, cède à davantage d’épure, tout entier asservi à de remuantes et toniques lignes de basse - sans qu’on ait l’impression que Duda tire toute la couverture à lui. Le pont renvoie aux songes les plus saisissants de Lunatic Soul, un vrai bonheur. Au registre des réussites, “Post Truth” réalise un pur condensé du savoir-faire Riverside, construction musicale léchée, interprétation tantôt tendue, tantôt gracile, avec le supplément d’âme qui va bien. Petit bémol, en revanche sur la longue pièce centrale, “The Place Where I Belong”, à laquelle il n’y a foncièrement à reprocher si ce n’est une (très) forte inspiration de Porcupine Tree. Tout y est dans son abord introductif, gratte sèche délicate, synthés déréalisés aux sonorités franchement piquées à Richard Barbieri, évolution sombre et inquiétante… il faut attendre trois bonnes minutes trente pour se sentir secoué par l’intermède à la Deep Purple, riff 70’s charnu, orgue Hammond à la Jon Lord, avant de virer sur une seconde balade qui elle aussi, renvoie immédiatement à Steven Wilson et ses sbires jusque dans le long solo que l’on croirait sorti de la Stratocaster de l’intéressé. L’emprunt demeure louable quoiqu’un peu visible aux entournures, et pour l’originalité, on repassera.
Un petit mot sur la version extended. Si l’on n’avait pu que vous exhorter à vous rabattre sur celle de Through Shaded Woods, bien que le disque 2 paraisse de prime abord un rien évanescent (et les écoutes nous prouvèrent ensuite qu’il n’en est rien), la recommandation ne saurait être de mise ici tant les instrumentaux “Age of Anger” et “Together Again” n’apportent rien à l’ensemble si ce n’est une dose supplémentaire d’éclatement stylistique, sans compter que le premier se révèle bien trop redondant dans son unique motif métallique. Un bilan donc contrasté quoique très positif pour ce huitième album studio de Riverside qui juxtapose de très bons morceaux avec d’autres plus dispensables, sans réussir à totalement canaliser ses diverses explorations stylistiques. Il n’en reste pas moins un disque des plus recommandables et sans doute l’une des meilleures portes d’entrée vers l’univers de ces talentueux polonais. On vous orientera ensuite bien vite vers l’excellent Shrine of a New Generation Slave ou encore les fameux (et plus anciens) Second Life Syndrome et Rapid Eye Movement. Et pour le live, rendez-vous au Hellfest, unique halte des quatre hommes en France cette année. Oui, je sais, toutes les places sont déjà vendues, mais avec un peu d’opiniâtreté… n’est-ce pas ?
À écouter : "Friend or Foe?", "Self Aware", "I'm Done With You"