Riverside
Love, Fear and the Time Machine
Produit par Riverside
1- Lost (Why Should I Be Frightened By a Hat?) / 2- Under the Pillow / 3- #Addicted / 4- Caterpillar and the Barbed Wire / 5- Saturate Me / 6- Afloat / 7- Discard Your Fear / 8- Towards the Blue Horizon / 9- Time Travellers / 10- Found (The Unexpected Flaw of Searching)
Un album doit-il souffrir de la somme de ses influences ? C’est toute la question qui se pose avec cette sixième production studio de Riverside après un Shrine of New Generation Slaves de très haute volée qui, déjà, nous faisait voyager d’une couleur musicale bien identifiable à une autre, emportant l’auditeur dans des contrées déjà explorées par Marillion ou Spock’s Beard, par Steven Wilson ou Anathema. Mais les emprunts aux groupes en question se fondaient en un tout cohérent, de surcroît emporté par la sensibilité toute particulière des polonais et de son talentueux frontman, Mariusz Duda. Love, Fear and the Time Machine réitère un peu ce voyage entre différents groupes phares du progressif actuel, et alors que les emprunts en question pourraient faire tiquer de prime abord, l’adhésion finit par se faire sans réserve au bout d’une dizaine de jours. La marque des plus grands, à l’évidence.
On se rappellera que Riverside n’avait jusqu’à récemment jamais vraiment réussi à couper les ponts avec Porcupine Tree, et que la césure ne fut faite qu’avec le temple d’une nouvelle génération d’esclaves. Preuve, peut-être, d’une maturité musicale qui commence à s’ouvrir sur d’autres horizons, en témoigne les aventures solo de Mariusz Duda qui, avec Lunatic Soul, a déjà démontré qu’il appartenait au gotha du rock progressif contemporain. Love, Fear and the Time Machine poursuit donc l’émancipation de Riverside vis-à-vis de son carcan wilsonnien tout en revenant à quelques influences metal délaissées sur le précédent opus en en se tournant vers un formatage relativement pop des titres. Résultat, cette dernière livraison des polonais se veut l’une des plus accessibles auprès d’un grand public qui ne connaît rien au genre abordé. Et justement, si vous faites partie de ces non-initiés, vous avez là matière à faire une très belle découverte.
Un album plus pop, donc, comme en attestent les trois morceaux introductifs qui, malgré une longueur somme toute relative, passeraient parfaitement sur les ondes FM. Ici, c’est la voix qui porte l’ensemble, et on n’osera rappeler à quelle point le chant clair, pur, très doux de Mariuz Duda est un bonheur pour les oreilles. Quant à savoir qui, de “Lost”, “Under The Pillow” et “#Addicted” se démarque du lot, on aura une préférence pour la petite dernière, plus tonique, forte d’un contraste plus saisissant encore entre des guitares parfois typées new wave et une ligne de basse qui enchaîne les grands écarts entre les octaves. Faut-il rappeler qu’en plus d’être un formidable chanteur, Duda est aussi un bassiste d’exception, et si on peut parfois regretter le manque de personnalité technique ou purement sonore de certains instrumentistes (Piotr Grudzinski, notamment, n’imprime pas une patte aussi inoubliable que cela à ses partitions de six cordes), on peut néanmoins saluer le vrai talent du barbu, aussi à l’aise en composition, au chant que derrière son instrument. Pour en finir avec le registre pop, on n’oubliera pas de citer un “Discard Your Fear” très émotif, égrené à la façon d’un Bruce Soord en lentes exhalaisons placides sur fond musical optimiste et lumineux.
Mais la puissance aussi tranquille qu’inébranlable avec laquelle Mariusz Duda tient ses notes de tête ne peut que rappeler Maynard James Keenan, et c’est à Tool que l’on pense en premier lieu à l’écoute de ce disque, avec par ailleurs quelques structures de mesures asymétriques et une section rythmique à forte percussion qui entre en conflit avec ces parties chantées plus sereines. Le trip devient notablement plus Toolien avec “Caterpillar and the Barbed Wire”, le morceau le plus sombre du lot, agréablement réhaussé par des envolées de guitare aériennes dans sa partie médiane, et il est un fait que les polonais s’avèrent tout de même moins glauques que les métal-progueux de Los Angeles. Un complexité encore plus présente avec le dichotomique “Saturate Me”, entre instrumental metal très technique et exultation mélodique libératoire. “My miserable life / I wanna feel like i’m no one anymore”, chante un Duda éploré après le chaos savamment orchestré par Riverside. Éploré, il l’est encore sur la très jolie balade chant - basse - orgue “Afloat” réminiscente des dernières oeuvres de Lunatic Soul, preuve que les natifs de Varsovie savent également séduire dans l’épure. C’est encore plus frappant avec le superbe acoustique “Time Travellers”, le morceau le plus poignant du disque, qui rappelle énormément les derniers émoluments de Mickael Ackerfeld avec son Opeth délesté de ses versants death, alors que le conclusif “Found” va rendre hommage, non pas à [g]Porcupine Tree[g], mais aux récentes productions solo plus sensibles de Steven Wilson, tant le traitement de la voix, de la mélodie et des accompagnements fait preuve d’une même filiation. N’oublions pas enfin le gros morceau du disque, “Towards The Blue Horizon”, faisant se succéder des moments atmosphériques emportés par des arpèges que ne renieraient pas Anathema et des parties plus ténébreuses rappelant furieusement, encore, un Opeth pugnace tout à la fois incantatoire et jazzy, à la manière de ce qui a été exprimé notamment sur Heritage.
Vous l’avez vu, les références s’empilent en pagaille dans le développement qui précède. L’amateur de rock progressif se trouvera donc en terrain connu mais aura certainement tendance à déplorer un manque d’originalité ou de personnalité, et même parfois quelques emplois frisant le plagiat (l’un des développements de “Towards The Blue Horizon”, certes très bref, est strictement décalqué, en terme de notes, de rythme et d’effets de guitare, sur le riff principal de “Fear Of The Blank Planet” de l’album éponyme de l’arbre à porc épic). On se trouve donc de prime abord un peu gêné aux entournures, mais au fil du temps, le malaise s’en va. Parce que Love, Fear and the Time Machine, malgré ce défaut identitaire embarrassant dans l’absolu, demeure une franche réussite, un disque auquel on revient avec plaisir, presque sans le vouloir, et surtout un album très largement au-dessus de la production progressive lambda. Que les amateurs lui laissent sa chance, ils n’auront pas le regretter. Quant aux néophytes, encore une fois, foncez. Vous ne pourrez pas mieux explorer les plus belles tendances du progressif contemporain qu’avec ce disque qui, à ce niveau, a presque valeur de testament des années 2010. Sans exagérer.