Jack White
No Name
Produit par
1- Old Scratch Blues / 2- Bless Yourself / 3- That's How I'm Feeling / 4- It's Rough On Rats (If You're Asking) / 5- Archbishop Harold Holmes / 6- Bombing Out / 7- What's The Rumpus? / 8- Tonight (Was A Long Time Ago) / 9- Underground / 10- Number One With A Bullet / 11- Morning at Midnight / 12- Missionary / 13- Terminal Archenemy Endling
Après une opération marketing aussi soudaine que surprenante qui a vu quelques heureux venus ressortir des boutiques de Third Man Records avec un mystérieux vinyle portant la mention No Name, tandis que la radio publique de Détroit diffusait en parallèle l’intégralité du disque, le sixième album de Jack White est arrivé sans crier gare à la portée de nos oreilles.
Produit et mixé comme à son habitude, chez lui, dans son studio de Nashville, en famille (sa femme et sa fille jouent de la basse et de la batterie sur quelques titres) et en compagnie de ses amis, Jack White renoue avec le son brut et teigneux des White Stripes. Une rapide écoute vous suffira ainsi à faire ce constat : tonton Jack est revenu balancer la sauce. Pas de balades mais des uppercuts d'une moyenne de 3mn, des poils qui se hérissent sous l'électricité des amplis branchés au volume maximal et des compositions livrées dans leur plus simple appareil. Certes, ce come-back revêt un certain classicisme, mais va-t-on vraiment s’en plaindre devant le visage moribond du rock actuel, qui tente de masquer son manque d’inspiration en se noyant dans la pop de masse et qui semble avoir usé tous ses manches de guitares à force d’avoir descendu trop souvent la gamme pentatonique en mode automatique ? On peut se féliciter du fait que l'Américain reste une valeur sûre et l’un des patrons de la scène blues-rock depuis le début des années 2000, avec un jeu véritablement singulier et reconnaissable à la six-cordes (cette fuzz poisseuse et cette manière de faire hurler les cordes toujours à la limite de la dissonance) et doté d’une voix toujours aussi vibrante et intrépide à l’approche de la cinquantaine, pour ne pas dire survoltée.
Et de haut voltage, ce No Name n’en manque pas, empilant les riffs bien gras à commencer par ce "Old Scratch Blues" qui tâche férocement et qui saura s'incruster durablement dans votre esprit, avec en arrière-plan cet orgue Hammond et ses notes de guitare nerveuses. L’ancien White Stripes se montre particulièrement inspiré avec des saillies vocales et guitaristiques pleine de verve, qu’il s’agisse du riff accrocheur de "That's How I'am Feeling", de la ligne de basse imparable et de l’irrésistible gimmick de guitare de "What’s the Rumpus" ou encore de la charge heavy "Number One With a Bullet". On apprécie toujours le toucher hors norme de Jack White à la guitare, ses motifs remplis de feeling et ses solos agressifs qui tirent les notes dans les aigus jusqu'à martyriser sa guitare. Si certains morceaux rappellent inévitablement d’autres compositions passées, chaque titre bénéficie de sa petite signature sonore avec la réverbération subtile sur le riff blues-rock sous acide d’"Underground", la profusion de sonorités analogiques sur "Morning at Midnight" ou le jeu en slide groovy accompagné d'une wah-wah démoniaque sur "It's Rough On Rats".
Alternant entre rythmes échevelés et plus lourds, à l’instar du sombre et lancinant "Terminal", Jack White balance également son garage-rock incendiaire et libérateur joué à fond la caisse (claire), incitant sur "Bless Yourself" l’auditeur à reprendre son destin en main face aux autorités religieuses et remettant au premier plan la dureté un peu crasse du son rock'n'roll sur un "Bombing Out" déchainé et un "Missionary" sous stéroïdes. Des sonorités, soit dit en passant, que les Black Keys ne semblent plus capables de pouvoir sortir de leurs amplis désormais branchés sur le blues mou et la fréquence soul. Enfin, avec un ton résolument décalé sur le classique mais efficace "Tonight (Was A Long Time Ago)", Jack White prouve qu’il a le sens du spectacle en sermonnant l’auditeur sur "Archbishop Harold Holmes" avec le charisme d’un prédicateur possédé et autoritaire.
A l'heure où l’énergie du rock n'existe plus que par intermittence, impossible de ne pas être conquis par la force primaire et la spontanéité du blues-rock du natif de Detroit qui nous pousse à nous déhancher sur des riffs entraînants en diable. Classique mais non dénué de fraîcheur, ce sixième album voit Jack White revenir aux sources et livrer un album puissant et accrocheur. Un album qui n’a certes pas de nom, mais qui ne manque pas d’identité et de caractère et qui peut se targuer d'être la plus belle vitrine du blues-rock en 2024.