Weezer
Ok Human
Produit par Jake Sinclair
1- All my Favorite Songs / 2- Aloo Gobi / 3- Grapes of Wrath / 4- Numbers / 5- Playing my piano / 6- Mirror Image / 7- Screens / 8- Bird with a Broken Wing / 9- Dead Roses / 10- Everything Happens For a Reason / 11- Here comes the Rain / 12- La Brea Tar Pits
Pas toujours simple de suivre la frénésie productiviste de Rivers Cuomo, plus encore quand une pandémie s’en mêle. On savait, après le Black Album, que deux albums étaient d’ores et déjà en gestation, on attendait d’arrache pied un Van Weezer porté par des guitares conquérantes et taillées pour les stades… ce qui tombait bien, puisque le carré de Los Angeles s’était vu proposé une tournée des arènes avec Green Day et Fall Out Boy, le Hella Mega Tour, bien sûr reporté du fait d’un certain coronavirus. Dès lors, décision a été prise de switcher les sorties et de proposer en priorité ce OK Human nettement plus doux afin de réchauffer le cœur des fans en cette difficile période de confinements à répétition. Sans doute une bonne idée. Bien sûr, personne n’aura loupé l’allusion au disque culte de Radiohead, OK Computer, dont cet opus-ci se pose de facto comme l’antithèse. En termes de discours et d’intention, soit, mais qu’en est-il de la qualité ?
On était resté avec un arrière-goût amer en bouche avec la dernière livraison de Weezer, un Black Album survendu et pêchant au final sur à peu près tous les tableaux, écriture comme mise en boîte, pour aboutir sans doute au plus mauvais disque du Big W. On espérait l’accident de parcours tant il est vrai que les précédentes livraisons se sont révélées justes et enthousiasmantes (Everything Will Be Alright In The End, le White Album, Pacific Daydream et même le Teal Album bourré de reprises aussi inutiles que délectables). La particularité de ce OK Human est d’aller explorer de nouvelles directions sonores avec une composition exclusivement au piano de la part de Cuomo, l’absence totale de guitare électrique et l’ajout d’arrangements orchestraux. Si cette feuille de route pourrait faire lever un sourcil, la prise de risque n’apparaît pas si farfelue que cela quand on connaît le talent de songwriting de Rivers, même si celui-ci s’est lamentablement vautré en s’attaquant à l’indie pop dans le Black Album. De plus, comment intégrer un authentique groupe dans un disque qui se pose clairement comme une expérience détachée du live - on imagine mal ces compos se retrouver interprétées sur scène - voire qui aurait pu être sorti sous une étiquette solo ? On pensera, dans un registre assez proche, au dernier Arctic Monkeys, et on n’osera pas répéter ici tout le mal que l’on avait écrit au sujet de cette catastrophe, un avis qui, soit dit en passant, n’a pas changé d’une virgule aujourd’hui. On pensera aussi, assez naturellement, aux Last Shadow Puppets du même Alex Turner qui ont eux aussi pris le parti de l’orchestre pour illustrer leur propos. Pourtant, à l’arrivée, les deux groupes ne proposent pas du tout le même genre de musique, et si Turner et Kane font vibrer leur vibe ricaine exubérante et limite cliché avec leurs Puppets, Cuomo, lui, retrouve une écriture bien plus intimiste et introvertie que dernièrement et qui, loin de fantasmer l’Amérique, l’infuse des bonheurs et des tristesses tout simples de la vie.
Pop, soyeux, doux-amer, voilà les premières caractéristiques qui sautent à l’oreille à la première écoute de OK Human. La voix de Rivers Cuomo se fait timide, s’excusant presque d’être là, le piano est omniprésent - ou peu s’en faut -, la batterie verse dans le feutré, la basse rebondit placidement dans le rythme, et les violons et autres violoncelles (saupoudrés de cuivres parcimonieux) ont le bon goût de demeurer discrets, tantôt effleurés avec délicatesse, tantôt versant dans une illustration mi épique, mi pudique, en tout cas jamais envahissante. Plus significativement, l’album ne s’abaisse jamais à des airs pop faciles, au point même qu’il est difficile d’y distinguer des singles potentiels, non par manque de matière mais plutôt par carence d’ambition tant ce disque irradie de modestie. Ce qui ne veut pas dire que certains morceaux ne se démarquent pas, bien au contraire. On pensera en particulier à “Grapes Of Wrath”, le plus enlevé du lot, avec son phrasé sautillant et son refrain futé en mode mineur - une bizarrerie chez Weezer qui nous a plus habitués à ses harangues majeures conquérantes (que l’on ne retrouve à la rigueur que sur le pré-conclusif “Here Comes The Rain”, fort sympathique au demeurant). Cette couleur musicale réussit plutôt bien à Cuomo dès lors qu’il choisit de brider ses chevaux et de se cantonner à ses claviers, on pensera en particulier à un “Playing My Piano” ouvragé avec minutie, complexe seulement en apparence et tristement pur dans ses retranchements. Autre point fort, “Screens”, entre introversion dodelinante et arrangements hachés, laisse son tempo léger emporter l’adhésion sans le moindre obstacle sur son passage. Dans un registre plus lent, “Bird With A Broken Wing” se pose comme une charmante balade, radieuse, chaleureuse, réconfortante. Discrète. Meilleur encore : “La Brea Tar Pits”, s’il ne mange pas de pain au premier abord, séduit in fine par son écrin de finesse. Nombreux rêveraient de posséder un tel talent d’écriture.
Mais OK Human a aussi les défauts de sa modestie. Très court (trente minutes chrono), dénué de titres fédérateurs, l’album empile des tas d’idées sans doute séduisantes mais sans les exploiter à fond. Si les morceaux s’enchaînent les uns aux autres, c’est sans le moindre liant - les transitions sont quasiment toutes ratées ou maladroites - et au petit bonheur la chance. Exemple typique avec “All My Favourite Songs” qui saute d’emblée d’une tonalité à une autre sans aucune raison valable, ce qui ne manque pas de ternir sa portée introductive, mais aussi avec le passage “Aloo Gobi” - “Grapes Of Wrath” complètement abscons. “Aloo Gobi”, parlons-en : c’est typiquement le genre de morceaux qui aurait mérité un traitement plus classique par le truchement de la fée électricité, quand bien même le morceau ne démérite nullement en lui-même. D’autres pièces se montrent assez oubliables (“Numbers”, fade dans ses couplets, “Dead Roses” qui peine à marquer positivement les esprits) quand elles ne se réduisent pas à des interludes totalement dispensables (“Mirror Image”, “Everything Happens For A Reason”). En définitive, si l’ambiance calme et ouatée d’OK Humans convainc sans trop de peine, validant ainsi cette expérience symphonique avec une mention très honorable, on ne peut s’empêcher d’aspirer à voir les Weezer revenir à leurs premières amours, les guitares qui grondent, et le plus vite possible. Van Weezer devrait répondre à cette attente, mais l’alchimie prendra-t-elle alors ? Au bout de quinze albums, rien n’est moins sûr...