Placebo
Placebo
Produit par Brad Wood
1- Come Home / 2- Teenage Angst / 3- Bionic / 4- 36 Degress / 5- Hang On to Your IQ / 6- Nancy Boy / 7- I Know / 8- Bruise Pristine / 9- Lady of the Flowers / 10- Swallow
Certains albums de rock ne payent pas de mine. On pourrait être tenté de les écouter d'une oreille distraite, avant de les délaisser froidement pour une musique a priori plus consistante. Pour ma part, c'est un peu la bévue que j'ai commise lorsque j'ai eu l'occasion d'écouter le premier opus de Placebo. Verdict à l'époque au bout de 3 passage de platine : album sans aucun intérêt, direction le placard. Erreur fatale ! Et ce n'est que plusieurs années plus tard, en retombant par hasard sur cette pochette oubliée, que j'ai compris ma méprise.
Dire que cet album diffère des suivants est presque une plaisanterie tant sa singularité est grande. Formellement, la voix de Molko est encore plus aiguë, aigre et nasillarde qu'ultérieurement, et signe d'emblée la marque du groupe. Cette voix si particulière, intense et perçante, tantôt lascive, tantôt hachée, fige instantanément tous les attachements et toutes les inimitiés vouées au trio : insupportable pour certains, fascinante pour d'autres, il ne semble pas qu'elle ait pu engendrer de sentiments frileux et mesurés. Les sonorités instrumentales n'ont pas encore l'ampleur qu'elles gagneront par la suite, sans parler d'un timbre de guitare encore en recherche et d'un jeu de batterie presque antinomique entre Schutzberg et Hewitt. Bref, l'album ferait presque penser à une démo amateur plutôt qu'à une véritable production labellisée. Ceci est encore renforcé par le caractère simple, direct et spontané des titres, crachés naturellement par le groupe comme s'il les composait en temps réel. Mais s'arrêter à cette simplicité et n'y voir qu'une crasse immaturité serait une méprise fondamentale, car la plus grande qualité de cet album réside justement dans son caractère brut de décoffrage, épuré et cash, doublé d'une épatante homogénéité. Sans compter ces riffs terribles qui constituent l'ossature quasi-exclusive des chansons. Il n'y a qu'à écouter Brian Molko en concert pour s'en rendre compte : les mélodies chantées sont sensiblement différentes par rapport aux versions album, et seule la partition de guitare confère leur structure aux titres. Exemple typique avec "Bionic" qui présente des paroles réduites au strict minimum (2 phrases, point barre) et une ligne de guitare limpide, ou encore "Swallow" qui ne possède pas le moindre chant. De surcroît les gaillards se baladent techniquement sur les airs d'une façon paradoxalement nonchalante et énergique, exploitant des partitions simples mais parfaitement maîtrisées et d'ailleurs bien plus variées rythmiquement que dans leurs efforts futurs. La quintessence de ce jeu précis et racé aboutit notamment à "Bruise Pristine", explosion de rage d'une rare intensité, inaugurant ce fameux style de gratte à la croche et constituant pour moi le tout meilleur titre du groupe, encore inégalé à ce jour. Mais les autres pistes sont également excellentes, d'un "Come Home" brutal et enlevé à un "I Know" violemment mélancolique et confondant de douleur et de ressentiment. Un petit moins peut-être sur "Nancy Boy", un rien bourrin et surjoué, mais néanmoins nettement supérieur à sa version single et se calant parfaitement dans le moule de cet album terriblement accrocheur et surmontant parfaitement l'épreuve du temps.
Bien sûr, ce qui fait également la différence entre cette production et les suivantes, c'est l'opposition flagrante du jeu de frappe de Robert Schutzberg par rapport à celui de Steve Hewitt, qui reprendra le flambeau après le clash. Autant Hewitt aime les sonorités graves et les frappes mâtes et lourdes, autant Schutzberg développe un jeu virevoltant et rapide qui confère à cet album une légèreté et un peps assez déroutants au départ mais finalement parfaitement à propos, au détriment peut-être d'un manque d'intensité et de profondeur. Chacun pourra se faire juge et apprécier (ou pas) à leur juste valeur un style et un homme depuis retombés dans l'oubli.
Placebo est un album jouissif comme rarement peut l'être un album de rock n' roll, et avec l'attitude, s'il vous plait. Surtout, n'hésitez pas à aller redécouvrir ce disque hors norme qui a su si facilement se faire oublier : il est presque aussi bon que son successeur, et surtout bien au dessus des trois suivants. Que ceux qui ont découvert Placebo avec Sleeping With Ghosts en prennent bonne note.
Voici donc le premier album du désormais célèbre groupe Placebo. Une chose est sûre, dans l'apparence en tout cas, Brian Molko (chant/guitare) a bien changé, car si le maquillage demeure, le petit androgyne aux allures de "The crow" a troqué sa longue chevelure pour une petite frange bien sage. Avec le recul, dans le jugement, on est forcément influencé par ce qu'a réalisé depuis ce premier album éponyme le trio anglais. Toujours est-il que pour un premier effort studio, "Placebo" laisse présager du meilleur. La voix nasillarde de Molko pouvait d'ores et déjà en énerver certains mais c'est bien grâce à cet opus que Placebo est rapidement devenu la coqueluche du public rock français. A l'écoute, les titres "Come home", "36 degrees", "Nancy boy" et consorts ont vite faits de légitimer ce choix. Une succession de titres rageurs pour une heure de rock explosif. Et l'on finit sur un "Swallow" reposant qui fait taper du pied. Placebo mérite le respect qu'on lui sert. Niveau production, on sent la batterie particulièrement mise en avant sur cette galette (sans doute pour mieux mettre en valeur l'excellent jeu du suédois Robert Shultzberg aujourd'hui remplacé par Steve Hewitt) et on en apprécie d'autant plus la qualité et la technique.