
Kardashev
Alunea
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1- A Precipice. A Door. / 2- Reunion / 3- Seed of the Night / 4- Speak Silence / 5- Truth to Form / 6- Edge of Forever / 7- We Could Fold the Stars / 8- Below Sun & Soil


S’il fallait dresser un bilan des sorties metal publiées sur ce premier semestre, ce troisième album des Américains de Kardashev constituerait une excellente synthèse de l’impression générale que m’ont laissée les six premiers mois de cette année 2025. Un cru, jusqu’à présent, très fourni quantitativement, duquel subsiste néanmoins un arrière-goût d’amertume, véhiculé par une persistante note de frustration. Que ce soit le dernier Deafheaven, le retour de The Man-Eating Tree, ou Alunea de Kardashev : tous portent en eux cette sensation de réalisations inaccomplies. Autant de disques qui souffrent du même symptôme : celui d’avoir publié, en amont de la sortie de l’album, des singles qui laissaient entrevoir quelque chose d’immense. Ce que j’envisageais comme un condensé explicite de l’œuvre s’avérait n’être, finalement, qu’un point culminant. Cette intuition reste bien sûr parfaitement subjective. Il n’empêche qu’eu égard à la qualité perçue dans ces titres, pareils à de captivantes étoiles disséminées çà et là, l’exigence devenait un prérequis évident.
C’est ainsi qu’au milieu de l’hiver, le groupe originaire de l’Arizona publiait "Reunion", tel l’accomplissement du style propre au quatuor, qu’il qualifie lui-même de deathgaze. Le morceau semble réunir toutes les qualités inhérentes à leurs publications passées : de l’universalité contenue dans le précédent opus Liminal Rite à la profondeur émotionnelle de The Almanac. "Reunion" porte magnifiquement son nom. Surtout, le titre est porté par l’hallucinant éventail vocal de son chanteur, Mark Garrett. Son growl abyssal nous attire dans les profondeurs ténébreuses avant de nous immerger dans des eaux mélancoliques traversées au souffle d’une fragilité cristalline. Puis vient l’explosion lumineuse, magnifique, sublimée par ce vers : "I finally found you…”, au magnétisme inéluctable.
Quelques semaines plus tard paraissait un second extrait de Alunea : "Seed of Night". Ici, l’odyssée émotionnelle laisse place à un registre résolument épique, mais tout aussi délectable. Les Américains y déploient leur aisance technique, soulignée par la pertinence mélodique des soli et la rythmique féroce du refrain. Une approche stylistique qui renvoie à Ne Obliviscaris. Loin du clin d’œil ostentatoire au quintet australien, Kardashev se sublime à nouveau dans ce morceau aux allures de toile héroïque, qu’ils portent avec le sceau du triomphe.
Avec ces deux extraits magnifiques, les Américains faisaient naître autant d’indices que d’attentes. L’impatience se mêlait alors à l’exigence évoquée en introduction. Mais voilà : "Reunion" et "Seed of Night" resteront comme les seuls véritables astres incandescents dans la constellation que forme Alunea. Deux singles où le quatuor nous aura dévoilé ce que leur album contenait de plus abouti. Seul "Speak Silence" possède la densité mélodique et la profondeur émotionnelle suffisantes pour graviter dans les mêmes sphères majestueuses. Pour le reste, si l’on est très loin d’une chute vertigineuse, une impression de stagnation, voire de normalité décevante, s’impose progressivement.
"A Precipice. A Door." et surtout "Edge of Forever" peinent à trouver le juste équilibre qui permettrait de magnifier la brutalité death-metal dans laquelle ils sont forgés. L’escapade post-black de "We Could Fold the Stars" souffre d’une intensité suffocante, exacerbée par un usage aussi persistant qu’envahissant du blast-beat. Quant à la dernière piste, "Below Sun & Soil", elle s’inscrit comme un retour volontaire et assumé à l’univers de l'opus The Almanac. Un choix étonnant pour conclure un album qui, de toute évidence, ambitionnait de dévoiler Kardashev sous un jour stylistique nouveau, tourné vers l’innovation et la prise de risque.
Alunea demeure une œuvre intrigante, suspendue quelque part entre l’accomplissement et l’esquisse. Kardashev y tutoie l’excellence sur quelques titres phares, mais peine à maintenir le cap vers la grandeur qui semblait être la destination promise. Si le groupe promettait l’infini dès les premiers instants, le reste du voyage s'avère être plus terne, plus ordinaire malgré une sincérité d’interprétation et une élégance sonore jamais remises en question.
Ce quatrième album confirme une identité artistique singulière. Son originalité, alliée à une production de haute tenue, confère au groupe cette aura de modernité capable de rendre le death-metal aussi attrayant qu’introspectif. On attendra le prochain écho spatial de la bande menée par Mark Garrett pour savoir si Kardashev saura capitaliser sur l’élan généré par Alunea et franchir le seuil des seules promesses stellaires.
A écouter : "Reunion" ; "Seed of Night" ; "Speak Silence"