Foo Fighters
Medecine At Midnight
Produit par Greg Kurstin
1- Making A Fire / 2- Shame Shame / 3- Cloudspotter / 4- Waiting on a War / 5- Medecine at Midnight / 6- No Son of Mine / 7- Holding Poison / 8- Chasing Birds / 9- Love Dies Young
Il y a quand même des réactions qui ne manquent pas de nous interloquer, voire de nous piquer au vif. Parce que l’auteur de ces lignes a osé affirmer que Medecine At Midnight était le meilleur disque des Foo Fighters depuis The Colour and The Shape, il se voit proposer, ouvrez les guillemets, de “changer de boulot” ou d’ “arrêter de boire” (et pourquoi pas les deux, tant qu’à faire). Ajoutons à toutes fins utiles que ladite affirmation était pourtant agrémentée d’un avis positif - un simple avis positif, pas une dithyrambe - et ce en première écoute - donc pas lors d’une critique faisant suite à une écoute approfondie. Alright, et puisque vient l’heure de la vraie chronique, nous allons enfoncer le clou, à un détail prêt. Oui, parce que tant qu’à faire, on a été se les réécouter tous, les albums des Foos, les uns à la suite des autres, histoire de vérifier que l’on ne racontait pas d’ineptie. Eh bien faisons tomber le verdict et allons-y de notre mea culpa : Medecine At Midnight est le meilleur disque des Foo Fighters depuis… There Is Nothing Left To Lose.
Explication. Pas la peine de trop tourner autour du contexte. Les 25 ans du groupe, gna gna gna, grosse tournée des stades pour fêter ça, gna gna gna, envie de faire du rock à danser, gna gna gna, laissons Dave Grohl à son habituelle com débile pour post-ado prêt à gober n’importe quoi. A ceci prêt que cette fois-ci - et pour cause de pandémie - la promo du petit dernier s’est révélée nettement moins longue et envahissante et m’as-tu-vu que les précédentes, ce qui n’est franchement pas pour nous déplaire. Rentrons plutôt dans le vif du sujet. Sur leurs six derniers albums, les Foos n’étaient jamais réellement sortis de leur zone de confort, à savoir un bon gros fucking entertainment arena rock bas du front s’appuyant sur des riffs ravageurs et des refrains à brailler en chœur et à faire gigoter les stades. Le tout décliné en maintes variations sur le même thème : le disque coup de poing un peu bourru (One By One), le double disque avec une galette acoustique dedans (In Your Honor, parce que même si on est un peu bourru, on a quand même un cœur gros comme ça, vous voyez), le disque avec de looongs morceaux à rallonge dedans (Echoes, Silence, Patience and Grace, parce que même si on est un peu bourru, on a quand même des choses à dire… ou pas), le disque grunge qui n’a rien de grunge (Wasting Light, parce que même si on est un peu bourru, on se souvient de nos origines… ou pas), le disque du road trip US (Sonic Highway, parce que même si on est un peu bourru, on est prêt à défendre la musique profonde de l’Amérique… ou pas) et le disque du grand écart Beatles-Motörhead (Concrete Gold, parce que même si on est un peu bourru, on a vachement bossé notre songwriting… ou pas). Prenons une minute, ôtons toute cette couche de vernis, équarrissons les chansons et nous nous retrouvons peu ou prou avec le même album, au résultat variant peu ou prou avec l’inspiration du moment, et peu ou prou avec les mêmes défauts : une écriture en roue libre totale, une inconstance désespérante, et des disques trop, mais alors beaucoup trop bavards, à l’image d’un frontman qui n’est jamais en rade de vannes - personne ne lui a dit que les plus courtes étaient souvent les meilleures ? Si l’on excepte deux - trois tubes par livraison (voire nettement moins sur les deux précédentes), que retenir d’une discographie troussée en forme de prétexte pour relancer régulièrement cette inlassable machine à remplir les stades ?
Et c’est là que l’on en arrive, non pas à The Colour and The Shape… ou alors si, autorisons-nous un petit aparté sur ce disque fondateur singulièrement surcoté. Franchement, à part “Monkey Wrench”, “Everlong” et, soyons fous et pour peu que l’on adore ahaner en cœur au sein d’une foule qui dresse le poing, “My Hero”, vous vous souvenez encore des autres morceaux de TCATS ? Eh bien sachez qu’il y en a neuf et que la plupart des auditeurs seraient bien en veine de les chantonner. Un disque fort, ça ? À d’autres. Donc c’est là que l’on en arrive à, non pas The Colour and The Shape, non pas Foo Fighters… non, parce qu’elle est bien sympathique, cette démo de luxe, mais elle ne casse pas non plus trois pattes à un canard de Seattle. Donc (ter) c’est là que l’on en arrive à, non pas The Colour and The Shape, non pas Foo Fighters, mais There Is Nothing Left To Lose, le seul album des Foo Fighters, je dis bien le seul, qui ne comporte aucun déchet. Le seul à s’égarer dans des zones aventureuses, à laisser parler une émotion non surjouée, à jouer sur les textures et les mises en avant successives de tous les instruments, le seul à ne pas essayer de tabasser nos conduits auditifs en essayant sans cesse de se prouver quelque chose. Le seul que vous pouvez vous risquer à écouter et réécouter sans lassitude plus de vingt ans après sa sortie dans les bacs. Pas de quoi hurler au génie non plus, soit. On a ici droit à notre petite dose de rock qui envoie du pâté (“Stacked Actors”), de redoutable machine à bastonner (“Breakout”) et de tube FM bien senti (“Learn To Fly”), et c’est déjà bien, aussi bien que pour les autres skeuds des Foos. Mais le reste de la tracklist alpague toujours autant, que ce soient les afterbeats de “Gimme Stitches”, les séries d’accords très Jimmy Eat World de “Generator”, les jolis effets d’écho de “Aurora”, etc etc, le tout au service de mélodies qui tiennent la route. Il n’en faut donc pas plus pour faire de There Is Nothing Left To Lose le meilleur album des Foo Fighters, c’est dit. Dont acte.
Et Medecine At Midnight, alors ? Eh bien ce numéro 10 enfonce assez largement la production habituelle des Foos dans à peu près tous les domaines. Passons sur quelques arrangements pop troussés par Greg Kurstin pas toujours très heureux - les “nana nananana” de “Making A Fire”, bon, ça fait un peu tarte à la crème - sachant qu’un producteur axé pop n’est pas forcément un mal quand l’intention se conjugue avec la réalisation. Grohl a ici voulu faire parler la rythmique, le groove, voire la danse (bon, on est encore loin de David Guetta, fort heureusement), et ça tombe bien vu que c’est quand même l’un des meilleurs batteurs - le meilleur ? - en activité, et si Dave le songwriter se retrouve souvent à la peine, Dave le cogneur n’a jamais eu à rougir. Dans ce registre, on n’omettra pas de préciser encore une fois à quel point la présence d’un Taylor Hawkins derrière les fûts des Foos peut être précieuse. Une parto de batterie comme celle de “Shame Shame”, il fallait la trouver, et Dieu sait qu’elle est bonne, originale, scotchante pour un titre écrit comme en totale opposition avec l’esprit Foo, lancinant, triste, tout en retenue avec ses petits pizzicatis et sa basse claquée, un titre qui ne paye pas de mine, qui ne saute pas immédiatement à l’oreille mais qui se révèle au fil des écoutes pour ne plus vous lâcher. À l’image de ce curieux single avant-coureur, Medecine At Midnight apporte ce petit je-ne-sais-quoi qui manquait au groupe, un grain de folie, de lâcher-prise, peut-être de plaisir renouvelé. La formation ose beaucoup et chaque risque se révèle payant. On songe notamment au Garbage-like “Cloudspotter” qui s’appuie sur un riff hyper groovy et qui sidère pas son attractivité et son potentiel énergétique… Bon, avec quelques itérations du refrain en moins, le résultat aurait été meilleur, mais ne boudons pas notre plaisir. On songe aussi au psychédélisme disco-David Bowie de “Medecine at Midnight”, très solide sur le plan des arrangements, avec un pré-chorus presque chuchoté qui titille et des digressions à la guitare que ne renieraient pas Mark Knopfler, tout le contraire de ce qu’aurait fait Grohl il y a encore quelques années. On songe également à la science binaire parfaitement maîtrisée de “Holding The Poison”, avec son côté disco-punk assaisonné de riffs à la Them Crooked Vultures - tiens, quand est-ce qu’ils se reforment, ceux-là ?
Il y a de tout dans Medecine At Midnight : de la balade chaloupée (“Chasing Birds”, ni meilleure ni moins bonne que d’autres prod du même acabit de Tonton Dave), du rock en mode anglais à la Ride (“Love Dies Young”, très jolie réverb’ et très jolie mélodie), mais aussi de l’hymne de stade qui s’agite dans ses ultimes retranchements (“Waiting On A War”, très Joe Biden friendly, sans doute un futur standard qui devrait donner lieu en live à des outro étendues survitaminées) et du hard galopant qui s’amuse avec la pulsation (“No Son Of Mine”, aussi jouissif qu’attendu). Un registre où les Foos excellent et qui, franchement, ne démérite pas. À l’image de l’introductif “Making A Fire”, plus tonique qu’énervé, entrée en matière en forme d’éclectique marche à suivre, cet album sonne plus détendu, plus léger et insouciant que ses prédécesseurs, mais, et c’est là que c’est fort, sans rien céder sur le plan du rock : Dave se montre aussi bourru qu’à l’accoutumée, n’hésite pas à hurler à l’occasion et sait toujours faire vrombir ses six cordes quand il le faut. Mieux : Medecine At Midnight épate par sa constance et sa frugalité, deux items désespérément absents de ses quelques six prédécesseurs. Neuf titres, trente-sept minutes et pas un pli qui dépasse, ça suffit amplement à son bonheur.
Le verdict est tombé : Medecine At Midnight a réussi haut la main l’épreuve des dix écoutes enchaînées sans lasser là où nombre de disques des Foos ont piteusement échoué. Il n’est pas question d’envisager cet opus-ci comme un nouveau réceptacle pour quelques rares bons titres censés agrémenter les setlists en concert, mais plutôt comme un album, un vrai, travaillé et léché du début à la fin, et c’est déjà énorme… même s’il lui faut renoncer à ses habituels points d’orgue. Pour le chef-d’œuvre, on repassera, mais entre nous, on n’a jamais demandé la Lune aux Foo Fighters...