Yes
The Quest
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1- The Ice Bridge / 2- Dare To Know / 3- Minus The Man / 4- Leave Well Alone / 5- The Western Edge / 6- future memories / 7- Music To My Ears / 8- A Living Island / 9- Sister Sleeping Soul / 10- Mystery Tour / 11- Damaged World
Peut-on dire Non à Yes ?
Au-delà de la bête pirouette sémantique, il y a pourtant une question existentielle qui se pose aux vieux rockers. Cette question est celle de la légitimité. Contrairement au blues, à la country et au jazz – qui mettent en exergue les personnalités –, le rock a imposé la notion de groupe. Cette petite (r)évolution est évidemment à l’origine de "marques" (le fameux conflit en "band" et "brand"). Et les marques vendent aux nostalgiques qui recherchent des fragments réconfortants de leur passé chéri.
Le vieux rocker achète la marque "en confiance" (1). Même s’il y a de la merde dans la boîte. Ce qui n’empêche pas la boîte d’avoir de la valeur pour peu que l’on soit sensible à l’art pauvre (qui m’est très cher) de Manzoni.
Que reste-t-il de la crédibilité d’Uriah Heep (sans Hensley), de Slade (sans son hurleur), de Deep Purple (sans son inspiration), d’AC/DC (sans sa juvénilité), de Kansas (sans ses créateurs), de Styx (sans deYoung), de Judas Priest (sans ses guitaristes) ? Tous les défenseurs de la Foi s’en sont allés les uns après les autres, soit parce qu’ils n’en pouvaient plus, soit parce qu’ils ont été frappés par la mort.
Où se cache – vraiment – l’âme d’un groupe ? Dans son passé, dans son line-up, dans son nom, dans sa musique, dans son merchandising ?
L’âme de la musique existe dans son présent. Dans ce qu’elle apporte de joie(s) à ceux et celles qui l’écoutent.
The Quest n’est ni un album de Yes (au sens originel du terme), ni un album solo de Stephen James Howe. C’est un produit hybride, magnifiquement maquillé par Roger Dean (fort inspiré cette fois par les artichauts). Il est probable que personne n’achèterait l’opus dans un geste-réflexe consumériste s’il portait un autre patronyme et un autre habillage. Ou s’il était vendu sous une pochette toute blanche (en clin d’œil à la mode fugace du "no brand" imposée par Hamilton durant la seconde moitié des années soixante) ?
Finalement, tout le monde s’en fout.
Parce que, indépendamment des temporalités et des exégèses, The Quest est un album formidablement "mimi". Je sais que le terme est ridicule mais c’est le seul mot qui vient à l’esprit après plusieurs écoutes attentives. The Quest est l’album de Yes le plus "mimi" depuis – euh – … fort longtemps (depuis, au moins, le pénible 90125).
Chacun(e) regrettera l’absence de l’un ou de l’autre musicien sur cet opus mais le passé est le passé. Et on ne va pas pendre Jon Davison parce que son timbre fait inévitablement penser à un autre Jon (Anderson, dont le vrai prénom était en réalité John) ou, par moments, à Terry Luttrell (Starcastle).
Le Yes de 2021 (ou, par honnêteté intellectuelle, "le groupe qui porte aujourd’hui le patronyme de Yes") mérite une première médaille parce qu’il héberge Geoff Downes. Toutes les formations de vétérans ne font pas preuve d’autant de générosité vis-à-vis des réfugiés des années ’80, arrivés à bord d’un dinghy sur les plages du XXIème siècle. Geoff Downes qui a inventé le rétro-prog kitsch (2) joué à deux doigts (3), est un boulet.
Le Yes de 2021 mérite une deuxième médaille parce qu’il accouche (dans la douleur de la distanciation imposée par la pandémie) d’une œuvre solaire, heureuse et intelligente qui, au-delà du "beau" questionne des espérances ou exprime des concepts existentialistes qui nous concernent tous et toutes au premier degré.
"Sois attentif aux étincelles d’espoir
Aide-les à scintiller
Tu ne peux plus les ignorer
Recherche l’harmonie oubliée" (4)
Et le Yes de 2021 mérite une troisième médaille parce ce qu’il n’y a aucun morceau médiocre sur l’album. Les titres oscillent entre "bon" ("The Ice Bridge", "Future Memories", "Music To The Ears",) et "moyen supérieur" ("Dare To Know", "Leave Well Alone", "Minus The Man", "The Western Edge").
Deux exceptions à ce classement très subjectif : "Future Memories" qui frôle l’excellence absolue avec de magnifique arpèges de Fender 12 cordes (5) et "A Living Island" qui déçoit un peu sur la longueur parce que, malgré une intro flatteuse, son format est trop évidemment étudié pour lui donner des airs obligés de "grand final".
Les trois titres dispensables qui composent le CD bonus ne volent pas bien haut mais l’un d’entre eux est involontairement drôle. Avec son texte d’une naïveté épouvantable, "Mystery Tour" est le plus désarmant hommage rendu aux Beatles depuis… "Flying With Broken Wings (Without You)" d’Angel (6). Pouvait-on imaginer un Steve Howe en vieux fan à ce point transi, nostalgique et respectueux ? Ce qui rend la démarche rétrofuturiste, c’est que, par sa structure plus "pop", cette composition aurait pu figurer sur le dernier album classique de Starcastle (7) à qui le monde entier a toujours reproché de pasticher Yes. La boucle est bouclée.
Les loups peuvent hurler, les hyènes peuvent aboyer, les hiboux peuvent hululer ! Le rédacteur de la présente chronique assumera chacun de ses mots. Yes !
(1) la chronique est rédigée au moment où Métal Hurlant revient dans les librairies avec un "nouveau " numéro qui parle du futur proche. Il n’y a que des vieux pour parler du futur proche. Les jeunes ont le temps devant eux. Blake et Mortimer l’ont bien compris, qui vont bientôt opérer leur retour avec un "nouvel" album où réapparait l’Espadon…
(2) c’est le même principe que la mouvance steampunk, mais sous la domination d’un orgue Bontempi à 39,99 €.
(3) en comparaison, tout à fait fortuite, Rick Wakeman – qui jouait avec tous ses doigts – écrivait certaines de ses partitions précieuses en 27/32 (par exemple, l’intro de "Awaken", mon titre préféré de Yes, sur Going For The One (1977)
(4) même si le rédacteur s’est appliqué, il rappelle que le traducteur reste un traître. Cela dit, dans la version originale ("Dare To Know"), c’est aussi beau que du Greta Thunberg sous amphétamines.
(5) le rédacteur aurait préféré le son d’une Ovation mais c’est vraiment une question d’oreille.
(6) sur l’album White Hot (1978).
(7) Real To Reel (1978).