
Urban And The Broken Woods
Urban And The Broken Woods
Produit par Urban And The Broken Woods


Keep On Truckin’ (2)
Ca faisait longtemps que je n’avais plus autant ri.
Pas un rire méchant ou moqueur. Un rire joyeux, exprimé de bon cœur ; un rire qui fait du bien aux tripes comme à l’âme.
Parce que je n’imaginais pas avoir à chroniquer un jour un album contemporain enregistré cinq ou six décennies plus tôt. C’est que, même s’ils nous viennent de Gironde, Urbain et ses bois cassés vivent et composent circa 1967-1969 et quelque part en Californie.
Il y a – à tout le moins - paradoxes : un temporel et un géographique.
Je suis profondément adversaire de la nostalgie. Mais, dans ce cas précis, la ré-invention d’un « hippie rock » en 2025 relève plutôt de cette nostalgie que décrivait récemment Bruno Patino dans le magazine Rolling Stone (numéro 178 – octobre 2025), à savoir que "… ce n’est pas la musique que nous irions chercher chez les groupes anciens, mais le souvenir d’une connexion (humaine) passée que nous aimerions vivre à nouveau..."
Méditons là-dessus, petits rockers !
Par conséquent, si le fait de jouer cette musique fait chaud au cœur d’une poignée d’humains, j’adhère et je plussoie. Parce que la musique a le don de panser les âmes et de ravigoter les carcasses fracassées par la vie.
En extrême résumé, si, comme elle le promet, la science peut re-créer le dodo, je serais ravi de voir un premier couple réinvestir son habitat naturel. En guise de revanche contre toutes les formes dévastatrices de bêtise.
Somewhere Over The Rainbow
Il faut imaginer une cabane en bois perdue en bordure d’un désert. Loin de tout. Près de rien.
Dans la banlieue de Hippie Land...
Devant la bicoque, il y a quelques Harley customisées et un combi Volkwagen bicolore (orange et poussière), dont personne ne sait s’il roulera encore. A l’intérieur, il y a des instruments de musique en pagaille, des sigles "Peace" peinturlurés aux murs, un divan rafistolé, des tapis indiens, des bouteilles entamées de Jack Daniel’s, des champignons qui font rire, des cendriers remplis de mégots de joints, un crâne de bison (au-dessus de la porte d’entrée), quelques micros, un poster défraîchi de Janis Joplin saoule et hilare, des fleurs qui sèchent dans un vase sans eau depuis dix ans et un coin cuisine qui fait office de studio d’enregistrement.
Les flics, les politiciens et les bourgeois capitalistes ne sont pas les bienvenus. Mais, hormis ces catégories de fâcheux malfaisants, tout qui passe à pied, à cheval ou en choper a sa place au sein du collectif. Pourvu qu’il apporte à boire ou à fumer et qu’il adopte sans réserve les codes de la communauté. Ils tiennent en deux slogans : "Vive la liberté, la nature, la dope et l’amour" et "Merde aux cons".
C’est dans cet univers vaguement foutraque (garanti "autotune free") que le premier album éponyme d’Urban And The Broken Woods a été enregistré. Selon l’inspiration et les humeurs du moment. Selon qui était là et qui avait envie de participer. Selon que la tension électrique était suffisante ou non. Selon qu’il y avait assez de cordes pour appareiller une guitare.
Élevé dans une capsule musicale temporelle où résonnaient les musiques favorites d’une sœur aînée fascinée par Bob Dylan, Neil Young (en solo ou entouré de Crosby, Still et Nash), Urbain a tenu les fûts de General Store durant des lustres. Puis il s’est évadé, s’est emparé du micro et d’une guitare pour fonder un cover-band qui, ambition aidant, est devenu par la suite Urban And The Broken Woods.
Toutes les compositions du bonhomme reflètent parfaitement l’air du temps jadis, le désordre des lieux et l’absence d’un producteur extérieur (et sobre). Le joyeux bordel sonore ne répond à aucune règle académique particulière. Les progressions d’accords sont quelquefois hasardeuses, les ruptures rythmiques sont improbables, les mélodies flirtent avec la justesse, les soli sortent d’un autre âge, les harmonies grattent aux entournures (certains chœurs de "Carbon", par exemple), les sonorités sont anachroniques et l’accent anglais s’avère aléatoire (3).
Mais on s’en fout.
Parce qu’il y a une telle honnêteté dans la démarche que, si l’on met de côté ses préjugés et réserves instinctives, l’album devient attachant. Il s’écoute avec le même bonheur que l’on peut éprouver lorsque l’on regarde avec nostalgie des photos de famille anciennes aux couleurs passées.
Des photos de la famille rock d’il y a fort longtemps.
Let The Good Times Roll
Sous son artwork particulièrement réussi (avec un livret savamment illustré de délires mystico-lysergiques appuyés), l’album déroule sept titres partagés entre une ode émue à Mère Nature ("Mystical Glade"), la révolte écologique militante ("Carbon" et son intro Hawkwindienne), le mépris des règles édictées par les autorités ("Two Cops On The Crossroad"), le mysticisme ("Walk Dear John"), l’anticonformisme ("Feeling Whisky And Love") ou l’amour au sens large ("Start With Me" ou "I Need To Understand").
Les rythmes alternent entre nonchalance et excitation (parfois les deux en même temps), entre légèreté et pachydermie, entre crépuscule et nuit.
Il est impossible d’écouter l’opus avec les oreilles contemporaines de notre vilain petit monde, oppressé par l’intelligence artificielle, la superficialité et l’urgence permanente.
Pour un petit rocker pressé et victime des raccourcis saisissants de Spotify, se goinfrer les dix minutes de délires cosmiques (parfois erratiques, toujours excitants) que compte "Two Cops On The Crossroad" (assurément mon titre favori) nécessiterait probablement une préparation psychologique intense puis un suivi médical attentif.
Mais ceux et celles dont les portes de la perception chères à Aldous Huxley sont restées entrouvertes pourraient s’amuser de cette expérience rare et digne d’un épisode apocryphe de Back to the Future.
Alice aurait dit : "Je vais écouter ce disque ! S’il me fait grandir, je pourrai atteindre la clé. S’il me fait rapetisser, je pourrai passer sous la porte. Dans tous les cas, j’accéderai au jardin. Et alors, advienne que pourra !"
A chacun de voir s’il veut ou non accéder à ce fameux (fumeux) jardin. On y rencontre un curieux lapin blanc (celui de Lewis Carroll ou du Jefferson Airplane, c’est le même…).
Moi, je m’y amuse, dans ce jardin paumé entre le Sud de la Gironde et le Golden Gate Park de San Francisco ! Je m’y amuse avec les fantômes de Grateful Dead, de The Allman Brothers Band, de Country Joe And The Fish, de Pearl, de CSN&Y, de Mister Natural, de Canned Heat et des Fabuleux Freak Brothers, ...
Je m’y amuse avec tous ces allumés, réels ou fictifs, qui ont longtemps cru que la liberté et l’amour feraient tourner le monde de demain.
Mais c’était hier...
Et même avant-hier...
Quand nous étions encore tous faits de whisky et d’amour...
Et si le futur n'était qu'un passé recomposé...
Finalement, il serait plausible qu’Urban And The Broken Woods incarne un art hippie ressuscité dans un laboratoire girondin au départ d’un mégot de cigarette qui fait rire, récupéré sur la plaine de Woodstock après le concert de Jimi Hendrix.
Et qui sait si 500.000 gugusses ne vont pas se réunir bientôt à Noaillan pour célébrer la paix et l’amour dont notre humanité a tant besoin. Je pourrais même faire le chemin. Si mes vieux frères de rock m’accompagnent. Et si nos vieilles Harley veulent encore bien brinquebaler jusque là...
(1) Auteur, entre autres, de Mister Natural (dont je conseille vivement la lecture), Robert Crumb est des génies purs de la période hippie. Il est l’auteur d’une adaptation inouïe de La Genèse en roman graphique (2009) et de la remarquable pochette de Cheap Thrills de Big Brother And The Holding Company (1968 – avec Janis Joplin au chant).
(2) C’était l’expression favorite du fameux Mister Natural !
(3) Je sais que je tape toujours sur le même clou sans jamais l’enfoncer d’un millimètre mais je préfère entendre chanter dans une langue mieux "maîtrisée". L’arrivée récente dans le line-up d’un claviériste californien va donner un salutaire coup de boost aux compos à venir. Je me réjouis sincèrement d’entendre la suite ! Keep On Rockin’, Broken Woods !
Cette chronique AlbumRock, labellisée "IA Free", a été tapée, mot après mot, par deux vraies vieilles mains humaines sur un clavier en plastique fabriqué à vil prix en Chine.
Je remercie sincèrement Fabienne qui partage ma vie et relit patiemment toutes mes chroniques à la recherche d’erreurs orthographiques ou de contresens. Lorsque j’éprouve un doute sur une mélodie, un accord ou une harmonie, son oreille musicale d’académicienne classique m’est bien utile pour guider mon écoute dans ces espaces subtils qui séparent la justesse de la fausseté.
Et longue vie à toi, Urbain !
















