Not Scientists
C'est une salle des 4écluses rincée par la pluie mais fin prête tout de même que rejoint un public de tous âges, chaussés de Van's ou pas, prêts à en découdre avec le punk grâce à la belle affiche de ce soir. Punk is dead (ou pas), il a de toutes façons existé historiquement et les gens pressés ce soir au bar sont ceux qui ont connu l'époque (ou pas, donc). Et c'est vraiment pas bien grave car on sent l'ambiance à la fête, comme une réjouissance d'être tout simplement réunis là ce soir, entre le merch' de qualité et une bière pas dégueu non plus. Il n'y a qu'à voir les patchs Weezer et casquettes Wayne's World pour constater une atmosphère regressivo-bienveillante. Les générations se mélangent à l'odeur des croque-monsieurs pour aller voir de plus près le premier groupe à jouer ce soir: The Eternal Youth.
C'est marrant parce qu'il y a un an tout juste Burning Heads se produisait au Black Lab à Wasquehal avec Johnny Mafia pour un concert bouillant sous des tôles surchauffées. Ce soir on est davantage avec sa p'tite laine et c'est avec The Eternal Youth que l'on retrouve le chanteur Fra et ses comparses de Caen qui sont jamais loin de la scène skate (punk) mélodique qui a gravité en France dans les années quatre-vingt dix. Les années défilent, les amitiés restent et le groupe même s'il est "reconstitué" a vécu et se connait, et ne sonne à aucun moment comme "débutant". "On va vous jouer un morceau qui date de 2014, ça s'appelle "Burry You All", ça veut dire qu'on va tous être enterrés, voilà bonne soirée". Même si on est dans le code Punk, la mélodie a régulièrement un tournant sombre, avec une batterie ternaire et des paroles parfois slamées. La basse fait vibrer les tuyaux (de la salle) et Fra qui arbore un t-shirt "not fun at all" a pourtant l'air bien reconnaissant d'être ici: "C'est un cadeau de la vie ce genre de moment" dira-t-il. Dans ce groupe, la tendance est davantage à une voix claire, une urgence un peu post-punk avec ces accords tendus et flanger-isés. Et il est déjà temps de faire le changement de matériel pour le prochain set.
Arrive Forest Pooky et son groupe Supermunk. Le monsieur est un habitué du lieu où il est venu en résidence. "Ça faisait un moment que j'étais pas venu jouer debout à Dunkerque" introduit-il face effectivement à un public qui reconnait bien sa bobine facétieuse. Et d'annoncer le tube "Devil" du dernier album en date. Sur fond de mimiques et yeux révulsés comme s'il se faisait régulièrement électrocuté par sa guitare, la complainte à Belzébuth est efficace, ça sent les vacances sur la côte wouest, bien sûr des Etats-Unis. Véritable riposte finalement à la grande scène punk des States, les français - même si il y a ce soir un fratrie, dont Forest, qui à ses racines chez l'Uncle Sam- renvoient une énergie pleine de morgue, estampillée Blink 182, ou Green Day pour le côté prototypique. "Ouh, My Darling" balance du positif ironique, et on a droit à une pause de cantate italienne par le bassiste et à une démonstration volontairement lacunaire de rythme de samba à la batterie. "Le prochain morceau parle de hiboux, on l'a appelée "Hoo Hoo Hoo" car on est malins". Puis "The Best Thing I Could Find", toujours dans l'album All You Need Is Air (dont la pochette, on l'a compris, est dessinée par Flavie), est une ballade qui laisse la place à la voix pleine de talent de Forest, qui ratisse plus loin dans le punk pop mélodique comme pourrait le faire des Nada Surf ou des Band of Horses. Tout le monde s'en va, sauf le drumeur Basile qui enquille avec le groupe d'après. No rest for the wicked. En attendant Supermunk c'était super mood.
Le punk est une entité vivante qui mue et évolue pour s'adapter aux époques et aux circonstances. Ça tombe bien, l'actualité est à la déception et au désir de riposte. "Leave stickers on our graves" est le slogan trop cool (et un nom d'album) de Not Scientists. Cette fois-ci on est avec le grand frère de Forest, Ed, qui conjointement avec Jim a monté son groupe après que Uncommonmenfrommars se soit arrêté en 2013. Une semaine après We Are Scientists à l'Aéronef de Lille, ce sont donc des punks non scientifiques qui s'avancent. Mais d'abord il y a une bande-son qui semblerait venir de Retour Vers le Futur et c'est sous la lumière bleue qu'éclatent les notes claires de "Push". Si les deux premiers albums du groupe versaient dans le un-peu-codé punk mélodique classique, depuis Golden Staples et encore plus Staring At The Sun, le tournant est mancunien. Ça joue vite mais avec des attaques indus' et des accents Curiens (assumés et vénérés). "Acces denied !" est scandé sur trois notes et on est un temps loin des côtes californiennes pour aller fricoter avec le nord de l'Angleterre. Plus loin "Heart Attack" fait revivre le groupe (regretté) Eagulls (sur le refrain surtout) avec ce jeu de charleston supersonique, le tout jambes écartées pour l'attitude punk, mais on est là merveilleusement (bien) sous le joug du post-punk, et de la new-wave. "Paper Crown" est plus dynamité et lumineux et rappelle en accéléré les Johnny Mafia (le groupe a d'ailleurs collaboré avec eux sur un split). "Brainwashing You" a des faux airs de Devo sur la fin, façon "Whip It". L'accent reste lui résolument américain et avec "Listen Up" c'est retour au skate park. Le bassiste se balance tout autant que ses lignes de cordes et le batteur passe du binaire au ternaire à l'envi. Not Scientists se présente comme un groupe doué, appliqué et comme le post-punk est urgent, il est conseillé d'aller rapidement écouter ses albums. C'est la fin mais pas vraiment, le temps de souhaiter bon anniversaire à Forest sur fond de "Whoo-oo", et faire encore un rappel sous forme de rassemblement des trois formations de la soirée pour jouer du Ravi et du Sons Of Buddha. On partage tout ce soir: le label, l'ADN, les instrus, les musiciens et la bière.
On a affaire à des groupes d'expérience, qui se sont formés et abîmés aussi sur beaucoup de scènes, un tel rythme et une telle endurance n'apparaissent pas tout seuls. On peut dire que le public de ce soir était "branché". Non seulement parce que cet adjectif a eu un jour une utilisation non démodée, et aussi parce que la connexion musicale artistes-audience a été totalement naturelle. Il n'y a pas eu de pogo car l'ambiance était résolument en mode cosy. Entre clins d'oeil (pas vraiment) nostalgiques et la volonté d'explorer de nouveaux sous styles, les groupes de ce soir ont été impeccables de générosité et de disponibilité, tout comme la salle des 4 qui - si besoin est encore de le prouver - présente le meilleur accueil de France. Les gens du Nord tout ça, bon. A bientôt pour d'autres programmations tout aussi pointues. (Et merci à Fender (telecaster) pour avoir sponsorisé cette soirée !)
Setlist de Not Scientists:
- Push
- Perfect World
- Like Gods We Feast
- I'm Brainwashing You
- Heart Attack
- Paper Crown
- Rattlesnake
- %8x5
- Submarine
- Orientation
- Downfall
- Shoplifter
- Listen Up
Rappel:
- Secrets
- Leave Stickers On Our Graves