Prog 100, le rock progressif des précurseurs aux héritiers
Auteur : Frédéric Delâge
Editeur : Le Mot et le Reste
Date de sortie : 21 octobre 2014
Encore un ouvrage en langue française traitant du rock progressif. Voilà une nouvelle plutôt réjouissante, même si, avec Anthologie du Rock Progressif de Jérôme Alberola puis Rock Progressif d’Aymeric Leroy, les dernières années ont vu sortir deux ouvrages de qualité en la matière. Néanmoins, ces deux livres souffraient de certaines carences : quelques oublis assez incompréhensibles du côté d’Alberola, et un traitement plus que superficiel de Pink Floyd et de la période post-70’s dans le bouquin d’Ayemric Leroy. C’est donc à Frédéric Delâge de se coller à l’exercice, et autant dire qu’il a quelques arguments à faire valoir.
Caractéristique principale de ce livre : celui de brosser, en cent albums, l’intégralité du paysage progressif, des balbutiements du proto-prog à l’année 2014 incluse. Après une courte introduction retraçant l’historique du mouvement, les précurseurs, les albums canons, l’âge d’or, le déclin de la fin des 70’s, les années 80, 90, 2000 et 2010, l’auteur a choisi cent disques, en réduisant son choix à un album par groupe, qu’il traite chacun sur un pied d’égalité en une double page. Chacun de ces articles vaut autant de critiques contextualisées permettant de retracer la carrière du groupe en question, de décrire les qualités de l’album retenu et d’en brosser l’épilogue et/ou l’héritage ultérieur. Sans prétendre à l’exhaustivité, force est de reconnaître que cette sélection de cent disques, et donc de cent groupes, s’avère des plus judicieuses. Sans rien omettre des acteurs majeurs du courant, tant du côté des formations classiques (école de Canterburry, par exemple, ou encore le triumvirat français Ange-Gong-Magma) que modernes (l’écurie Kscope en général), Frédéric Delâge parvient, en cherchant attentivement, à sortir de l’ombre quelques groupes et disques méconnus qui méritent certainement une oreille attentive, comme les italiens (Il Balletto Di Bronzo, Le Orme) ou les néerlandais (Focus). L’auteur s’intéresse aussi aux musiques fortement apparentées au progressif, que ce soit aux débuts d’un courant balbutiant (The Moody Blues, Frank Zappa), à la pop à accointances cérébrales (Aphrodite’s Child, Supertramp) ou, plus récemment, aux acteurs rock atypiques marquants (Radiohead, Muse) et au post-rock avec tous ses dérivés (Sigur Ros).
Outre la sélection des groupes, le choix des albums s’avère particulièrement éclairant sur la culture de l’auteur. En mettant en lumière Meddle plutôt que The Dark Side of the Moon (Pink Floyd), Red plutôt que In the Court of the Crimson King (King Crimson), Amarok plutôt que Tubular Bells (Mike Oldfield), Moving Pictures plutôt que 2112 (Rush) ou encore Marbles plutôt que Misplaced Childhood (Marillion), Frédéric Delâge insiste sur les disques, non pas les plus réussis (quoique), les plus connus ou les plus vendus, mais les plus représentatifs du style, de la culture et de la personnalité de la formation traitée. Plus que des incontournables, ces disques et la grande majorité des autres albums abordés représentent des portes d’entrée idéales pour pouvoir se faire une idée précise sur les multiples facettes que peut prendre le rock progressif. Et si l’écoute s’avère fructueuse, sachez que l’auteur vous donne des pistes pour aller plus loin : autres albums majeurs du groupe en question, albums apparentés (side projects, projets solo, supergroupes) et albums amis tels que nous vous en proposons sur Albumrock (“Si vous aimez, vous aimerez…”). A cela s’ajoute encore, en fin d’ouvrage, une liste de 100 autres albums de 100 autres groupes pour achever de faire le tour de la question. Jugés moins significatifs, ils n’en restent pas moins souvent intéressants. A titre personnel, j’aurais certainement traité en détail un album de Riverside plutôt qu’un disque de North Atlantic Oscillation dans la catégorie des héritiers modernes, mais ça reste un point de détail totalement anecdotique en regard du bien-fondé des choix ici affichés.
Cerise sur le gâteau, Frédéric Delâge n’oublie absolument pas les immanquables progressistes contemporains, parfois très récents. J’ai donc été particulièrement ravi de voir abordés des disques aussi essentiels (pour moi) que The Dark Third de Pure Reason Revolution, Frames d’Oceansize, Schoolyard Ghosts de No-Man (avec par ailleurs une très grande part accordée, fort à propos, à Steven Wilson et à l’ensemble de son oeuvre au-delà des incontournables Fear of a Blank Planet et The Raven that Refused to Sing), The Octopus d’Amplifier, Weather Systems d’Anathema et, déjà pour 2014, Demon de Gazpacho et Pale Communion d’Opeth. Nul doute que l’excellent Walking On A Flashlight Beam de Lunatic Soul aurait trouvé sa place dans la liste si cet ouvrage avait été édité quelques mois plus tard. Preuve supplémentaire de la pertinence acérée de l’auteur, de son éclectisme et de sa réactivité. Prog 100 peut parfois s’avérer un peu austère, eut égard à la manière de traiter son sujet segment par segment, et il est clairement moins érudit que le Rock Progressif d’Aymeric Leroy, mais, de par la praticité et la justesse de l’ouvrage, sans compter son caractère actuel et quasi-exhaustif, il s’agit au final du meilleur ouvrage en langue française sur le sujet. Sans hésitation aucune.