Moriarty
Fugitives
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1- Candyman / 2- Buffalo Skinners / 3- Matty Groves / 4- Matin Pas En Mai (feat. Mama Rosin) / 5- Ramblin' Man (feat. Moriba Koïta) / 6- Little Sadie / 7- Pretty Boy Floyd (feat. Wayne & Rosemary Standley, Moriba Koïta) / 8- Moonshiner / 9- Down in the Willow Garden (feat. Don Cavalli) / 10- Belle / 11- The Dying Crapshooter Blues / 12- Saint James Infirmary
Jusqu'à maintenant on n'a pas beaucoup causé de Moriarty ici. Faut dire qu'en dehors de la chanteuse qui a une bien belle voix, profonde et expressive et tout, niveau composition ça vaut pas tripette (à part le méga tube "Jimmy"). Ça tombe bien, Fugitives c'est un album de reprises alors la question de la composition se pose pas vraiment.
Le projet c'est le folk pré-Bob Dylan, et quand on dit folk on englobe le blues et la country, toutes les rengaines antédiluviennes, tellement que personne sait vraiment qui a écrit ça. Alors dans les crédits c'est souvent marqué "Traditional". Le Bob Dylan en question en a d'ailleurs repris une paire, genre "Moonshiner", et le "Song To Woody" de son premier disque s'adressait à Woody Guthrie, le troubadour qui se baladait dans les années 30 avec une guitare ou qu'y avait écrit "This machines kills fascists", et dont les "Buffalo Skinners" et "Pretty Boy Floyd" sont enregistrés sur Fugitives. On parlait de country alors il y a aussi "Ramblin' Man" de Hank Williams qui est repris façon bizarre avec de l'accordéon lancinant qui sonne carrément comme l'orgue des types à cheveux longs des Doors, mais le bazar sonne fichtrement bien, tout lent et hypnotique.
Mais c'est pas tout le temps comme ça et dans l'ensemble les p'tits gars de Moriarty respectent sacrément le matériau d'origine. Bon, c'est pas bien grave parce que personne y sait à quoi il ressemble le truc originel. Alors c'est ok de faire "Little Sadie" avec de la guimbarde et du banjo, et sur un tempo vachement plus rapide que la version de Mark Lanegan par-dessus le marché. Sûr que c'est pas très moderne mais la voix de la fille, elle fait des merveilles, surtout avec des airs parfaits comme "Moonshiner", vraiment puissant comme moment même si on peut pas danser dessus et que les grincements de violon foutent les foies. Cela dit on peut écouter "Matty Groves" dans le pick-up si on veut chialer un bon coup.
Alors pour sûr, ça rigole pas des masses ici, rapport aux histoires racontées. "Candyman" passe encore, c'est juste ce vieux pervers pépère de Mississippi John Hurt qui cause encore de ses sucreries que toutes les filles veulent lui acheter après y avoir goûté. Mais entre les "Buffalo Skinners", qui flinguent leur employeur quand il veut pas les payer, et le type dans "Little Sadie", qui bute sa bonne femme pour ensuite aller s'endormir tranquillement, c'est pas la joie. Y a comme qui dirait beaucoup de misogynie rituelle dans Fugitives et les filles finissent souvent six pieds sous terre donc c'est d'autant plus marrant que ce soit chanté par une femme.
Et au détour de "Down In The Willow Garden" on se rappelle Nick Cave qui avait repris cette chanson sur une face B, et puis on entend le nom "Rose Connelly" que Jeffrey Lee Pierce pleurait dans sa chanson "Port Of Souls" avec le Gun Club. Ça veut dire que toutes ces chansons appartiennent à personne et à tout le monde. On peut piocher dedans, on peut les respecter ou pas, on peut les traîner dans les boue, on peut en faire ce qu'on veut. Rien à talquer si celle ou celui qui les interprète est Américain, Français ou Vietnamien. Pas besoin d'avoir roulé sa bosse des champs de coton de Virginie jusqu'aux bouges de la Nouvelle-Orléans, c'est légitime que ça parle à un paquet de gens ces chansons-là. C'est pas parce qu'on a jamais mis les pieds aux États-Unis qu'on peut pas chanter des mélodie de cow-boys. Après tout, ça parle pas vraiment d'Amérique, ça parle d'amour, de meurtre, de voyage et de solitude donc ça parle à tout le monde. Ça doit être pour ça qu'on les transmet aussi facilement.
Fugitives c'est comme O Brother Where Art Thou et Inside Llewyn Davis des frères Coen, c'est un hommage pas ironique pour un sou à tout une part de l'Histoire américaine, surtout ses perdants et ses laissés-pour-compte, avec une forme de respect étrange qu'est pas de l'hommage ni de l'ironie. Y a une vraie sincérité et c'est ça qui est beau.