
King Gizzard And The Lizard Wizard
Phantom Island
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Garage, thrash metal, jazz fusion, folk, prog, synth pop, rock psychédélique et microtonal, on aurait pu croire les King Gizzard and the Lizard Wizard rassasiés de leurs innombrables explorations stylistiques. Et pourtant, avec Phantom Island, leur 27e album studio, nos stakhanovistes australiens préférés larguent une nouvelle fois les amarres vers de nouvelles contrées artistiques. Puisant dans les pans les plus contemplatifs d’impros extraites des sessions du dernier né Flight b741 (paru l’an dernier), le groupe ne se contente pas ici de recycler avec facilité : il remodèle un énième nouvel univers sonore.
Loin de se contenter d’une retranscription brute, ces ébauches ont été serties dans un écrin orchestral inédit (la voilà la nouveauté), inspiré par une rencontre fortuite avec le Philharmonique de Los Angeles. C’est à travers une collaboration avec Chad Kelly, compatriote claviériste et chef d’orchestre, que ces arrangements prendront forme, tissant une atmosphère richement imagée et intimiste (sublimée par une pochette de gout !) où cordes, bois et cuivres viennent ainsi épouser les plus contours groovies et éthérés du répertoire de notre sextet.
Il faut dire que cette alliance pour le moins surprenante façonne un album bien à part dans leur discographie déjà bien fournie pour un début d’activité il y a seulement 15 ans. Les racines bluesy, agréablement reçues sur Fishing for Fishies, Paper Mâché Dream Balloon et plus récemment Flight b741 sont palpables (“Lonely Cosmos”, “Aerodynamic” où la flûte souffle des accents champêtres) mais la texture sonore se voit globalement plus polie, plus travaillée et bien moins primaire. L’orchestre insuffle aux compositions un relief indéniable, apportant contraste et délicatesse à l'ensemble, mais cette richesse instrumentale bride parfois la spontanéité du groupe. Certains morceaux, trop arrimés à leur concept, peinent à décoller ou tournent en rond. “Eternal Return”, alourdi par une basse paresseuse et des violons trop sirupeux en est le parfait exemple, tout comme “Spacesick”, qui peine à trouver son point d’ancrage. Difficile aussi de ne pas s’interroger sur le choix de placer les deux titres les plus accrocheurs d’entrée de jeu : “Phantom Island” et surtout “Deadstick” déploient pourtant un potentiel indéniable, menés par des cuivres aux pistons triomphants.
La suite du déroulé a donc tendance à faire pâle figure et paraitre un brin frustrante, reste que King Gizzard n'a rien perdu de son sens inné de l’accroche. “Panpsych”, s’ouvre en effet sur une intro d’une élégance rare, déployant avec finesse son atmosphère hypnotique à la croisée du jazz et d’un psychédélisme léché. “Sea of Doubt” étonne de son côté avec sa guitare typée Southern rock, irradiant instantanément le titre de son groove chaud. Sur le plan vocal, le groupe continue de faire preuve d’une belle pluralité : la plupart des membres prennent le micro à tour de rôle, entre chant lead et chœurs. Seul Michael Cavanagh, qui avait pourtant osé donner de la voix sur Flight b741 (“Le Risque”), se contente ici de ses futs.
Globalement, ce nouveau cru séduit autant qu’il déroute. Son côté léché et son ancrage dans une logique de “retravail” peuvent donner parfois l’impression d’un recueil de chutes habillées, mais le final “Grow Wings and Fly” redonne espoir. En véritable apothéose, il condense avec justesse tout ce que l’album offre de plus abouti : un subtil entrelacs d’ambiances, de grooves feutrés et d’arrangements soignés.
Ambitieux et élégant, Phantom Island explore avec finesse ces nouveaux méandres orchestraux sans jamais renier l’identité du groupe. Certes, l’album pêche parfois par son excès de lissage et un déficit notable de spontanéité, mais il témoigne une fois de plus de cette incroyable capacité de renouvellement. Ce disque s’imposera comme une invitation à l’évasion pour les amateurs de textures luxuriantes et de grooves sinueux, tandis que les plus réfractaires préféreront sans doute retrouver la tension brute d’albums plus radicaux. Qu’importe, ce nouveau virage offrira au moins au groupe un terrain encore plus fertile pour ses prochaines tournées (des dates orchestrales sont déjà annoncées), où, fidèle à ses habitudes, chaque concert restera une expérience unique, porté par une setlist sans cesse renouvelée.
A écouter : “Deadstick”, “Sea of Doubt”, “Grow Wings and Fly”