Kadavar
Berlin
Produit par Christoph Bartelt
1- Lord of the Sky / 2- Last Living Dinosaur / 3- Thousand Miles Away from Home / 4- Filthy Illusion / 5- Pale Blue Eyes / 6- Stolen Dreams / 7- The Old Man / 8- Spanish Wild Rose / 9- See the World With Your Own Eyes / 10- Circles in My Mind / 11- Into the Night / 12- Reich der Träume
Un Berlin en vaut bien un autre. Loin des enjeux de la Guerre Froide, nous n’opposerons pas Berlin-Est et Berlin-Ouest. Sans peur ni reproche, nous allons nous placer dans un registre encore plus polémique.
S’il s’agit de se référer à un album, Berlin, c’est avant tout Lou Reed et son opus de 1973. Désormais, c’est également Kadavar et leur troisième album de 2015. On pourrait dire que le combo allemand est un peu présomptueux dans le choix de son titre – bien qu’il ait au moins pour lui l’origine géographique correspondante. En effet, le Berlin de Lou Reed est souvent considéré comme un chef-d’œuvre … Quand bien même est-il mortellement chiant et d’une indigence musicale objective, si bien que son succès critique semble venir d’une espèce de philistinisme décadent touchant une partie de la critique rock. Faites en le moins et surtout le moins bien pour parvenir à recevoir des fleurs de l’élite du bon goût, seule à même d’apprécier la beauté dans la charogne rédigée à travers une verve baudelairienne. Voyez-vous ce genre de personnage hautain et sûr de lui, malgré des goûts discutables (en matière de rock), qui balance des jugements hâtifs et méprisants aussi brefs qu’un tweet (avant même que le réseau social n’existe) – Robert Christgau, au hasard, Les Inrockuptibles pour une référence hexagonale ?
Mais revenons à Kadavar. Puisqu’on s’inscrit en faux par rapport aux éloges berlinoises adressées à l’ex Velvet, vous imaginez que, de notre point de vue, les Allemands ne pouvaient que souffrir la comparaison avec Lou Reed, puisqu’il était difficilement possible de faire pire. On vous l’accorde, ils ne jouent pas dans le même registre et sont difficilement comparables. De plus, ils ne se réfèrent pas à cet album de 1973 et rendent plutôt hommage à la ville qui les a vus naître. Tout de même, ils reprennent "Reich der traüme" de Nico qui avait collaboré au Velvet Underground - donc avec Lou Reed (le titre est en bonus).
Oublions un peu les années 1970 parce que, malgré leur style revival, Kadavar n’est pas – seulement - nostalgique et Berlin représente un nouveau départ. En effet, ils accueillent à la basse Simon Bouteloup, surnommé "Dragon" qui – cocorico – est un musicien français. Esthétiquement parlant, il y a également une belle évolution dans la continuité : s’ils gardent la lourdeur de leur style doomesque et sabbathien, ils essayent de composer des morceaux plus fins au niveau des mélodies, plus accrocheurs dans les refrains, moins monolithiques que sur les premiers albums (surtout sur l’opus initial). On demeure dans leur style heavy, très inspiré par les 1960’s et les 1970’s, mais Berlin gagne en subtilité par rapport à ses prédécesseurs.
Dans ce registre, on note de vraies réussites comme le génial "The Old Man", rythmé et orné d’un gimmick orientalisant, "Lord of the Sky" au riff prenant et bien mis en relief derrière la basse ronflante, ou l’original "Spanish Wild Rose" plus léger et arpégé. Kadavar ouvre des perspectives à son hard-rock référencé et sans concession, évitant le risque (qui, avouons-le, les menaçait comme une épée de Damoclès) de la stagnation esthétique.
Ce même souci se retrouve sur des titres plus représentatifs de leur style habituel, ce qui les rend d’autant plus séduisants. Le groove "Last Living Dinosaur" qui garde son côté très Heavy, possède également des passages de guitare simulant l’improvisation, un chant plus lointain ou "Thousand Miles Away from Home" à la simplicité hypnotique qui s’accommode d’une introduction chantée et de bonnes mélodies vocales. On signalera encore un "Stolen Dreams" au refrain accrocheur, ou le très metallique "Into the Night".
Tout n’est pas parfait et l’album, assez bien rempli, souffre de quelques longueurs à cause de morceaux plus quelconques ("Filthy Illusion", "Pale Blue Eyes"), mais l’ensemble se révèle bien plus enthousiasmant que les premiers essais, notamment par les aspérités qui enrichissent largement les compositions. De quoi nous conquérir au point d’hurler (je vous l’accorde c’est une conclusion téléguidée) "Ich bin eine Berliner" - et ce au moins autant qu’en 1963, largement plus qu’en 1973.