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Critique d'album

Esthesis


The Awakening


(14/11/2020 - - Rock atmosphérique - Genre : Rock)
Produit par

1- Downstream / 2- No Soul to Sell / 3- High Tide / 4- Chameleon / 5- The Awakening / 6- Still Far to Go
Note de 4/5
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Note de 4.0/5 pour cet album
"Et au milieu coule Esthesis..."
Olivier S, le 12/04/2022
( mots)

Il y a des évidences qui s'imposent à nous de manière presque native. Sélectionner une formation telle qu'Esthesis en fait partie, tout comme adouber ce nouveau venu, s'est imposé naturellement à la scène progressive hexagonale. Tout, dans ce projet solo, à forte participation collective, mené de main de maître par Aurélien GOUDE, transpire l'intelligence. D'une boulimie créative depuis l'adolescence, ce multi-instrumentiste façonne un rock progressif dans la droite lignée floydienne et wilsonienne. Après un premier EP (Raising Hands) remarqué en 2019, sort son premier format long, The Awakening, aux ambitions quelque peu revues à la hausse, mais à la continuité évidente. Esthesis ne propose pas moins d'une heure de voyage introspectif, empreints de songes mélancoliques, alternants tourments et apaisement, dans une construction aux multiples rebondissements narratifs.

Si l’appellation "progressif" a souvent été associée dans l'inconscient collectif à une grande technicité d'instrument, induite par la virtuosité des musiciens du genre (avec comme conséquence le sentiment de compositions parfois indigeste), le leitmotiv d'Aurélien GOUDE en est à l’extrême opposé. Esthesis s'appréhende comme le défenseur d'une certaine idéologie de la musique : un vecteur de sentiments. The Awakening coule telle une source limpide et fluette entre les interstices d'une roche au beau milieu d'un désert. Abreuvant l'auditeur des quelques notes nécessaires pour susciter l'émoi, cette source maintient le voyageur que nous sommes à flot, retenant notre attention d'une manière hypnotique.

La beauté, naissant de cette épuration volontaire, trahit par ailleurs la grande maîtrise de composition de son géniteur. Il en faut du génie pour tenir l'auditeur aux aguets sur les presque 17 minutes nécessaires à la locomotive de l'album "Downstream" et mener l'auditeur de son introduction fantomatique à sa conclusion aérienne. Il n'en faut pas moins pour tenir la distance avec pour seul fil conducteur une simple ritournelle de dix notes au clavier, sur l'instrumentale "The Awakening".

Bien plus qu'une simple approche minimaliste (comme pourrait l'être celle du mouvement ambiant par exemple), The Awakening joue avec les contrastes, entre passages éthérés et généreux, pour en sublimer chaque élément. Mais ce qui frappe par-dessus tout dans les compositions d'Aurélien, est son extrême maîtrise des silences. Telle une botte secrète, le songwriter use de cette arme comme d’autant de ponctuations pour marquer le pas, briser une charge, ou créer un pont entre deux parties d'un morceau ("Downstream" et "No Soul to Sell" présentant d'ailleurs plusieurs fois tous les signes d'un clap de fin, avant de relever le rideau quelques instants plus tard). D'une grammaire très riche, chaque pièce de cet ensemble bénéficie d'un traitement narratif très cinématographique; Aurélien s'abreuvant des bandes son de plusieurs réalisateurs tels que David Lynch ou Ennio Morricone pour n'en citer que deux.

Un relief se dessine à l'horizon, traçant les lignes du cheminement intérieur de l'auteur. "Downstream", qui s'ouvre sur une vision cauchemardesque d'un film d’épouvante, se mue rapidement en une ballade apaisante et dont on pourrait jurer que les premiers mouvements au piano sont directement issus du répertoire classique. Ils sont pourtant mis en opposition avec une ambiance de western crépusculaire (mélodie sifflée en prime). La volonté d'évoquer des paysages, qu'ils soient aériens ou souterrains (on pense aux nappes de claviers aux accents orientaux sur "No Soul to Sell", bardées de réverbs, qui n'auraient pas dénoté en fond sonore du temple de l'eau de *The Legend of Zelda : Ocarina of Time), diffuse cette impression d'infinité, comme pour mieux évoquer ce sentiment de solitude, ce besoin d'isolement. Nous devons chercher des réponses en nous-mêmes et nous sommes toujours seuls, face à nos démons : "Walking by the long stream, gazing at the last gleam, a distant shadow, in a meadow, all alone" / "Marchant le long du long ruisseau, regardant la dernière lueur, une ombre lointaine, dans une prairie, tout seul".

"High Tide" évoquera plus explicitement le front marin (bruits des vagues et cris de mouettes en milieu de titre), pour évoquer le besoin de s'isoler sur une plage déserte, lorsque les remords remettent en question notre identité : "Breaking waves on an ocean of ways (…), Stormy days, struck match?s in those gloomy caves, oh, bring me som? light inside" / "Des vagues déferlantes sur un océan de voies (…), Les jours de tempête, les allumettes craquées dans ces grottes lugubres, oh, apportez-moi un peu de lumière à l'intérieur". Des paysages caverneux suggérés par de lointains larsens en début de titre, reflétant magnifiquement cette corrélation entre paysages évoqués et sentiments induits.

L'un des éléments distinguant The Awakening du premier EP et l'omniprésence du piano. Élément central de l’intrigue, il sert de fil conducteur, de liant, entre les différents chapitres au sein de chaque titre. Aurélien est passé maître dans sa capacité à faire dévier une scène contemplative vers une ambiance lourde et inquiétante. Le glissement de milieu de parcours sur "High Tide", d'une scène mélancolique de bord de mer, vers ces "sombres grottes lugubres" tient d'une inspiration lorgnant davantage du côté d'Hanz Zimmer que de tout autre songwriter rock. On pourra toutefois concéder une filiation très David Gilmour périodes 90/2000. Le guitariste hante par ailleurs pas mal ce disque, incarné par l'interprétation très aérienne du jeu de guitare de Baptiste DESMARES. Impossible de ne pas penser à "Shine on you Crazy Diamond" sur ses solos dans les dernières encablures de "Downstream".
On retrouvera, certes, des passages référencés aux flamants roses un peu partout sur le disque, mais qui sauront se faire bien vite oublier, tant la finesse de mise en scène leur trouve ici un rôle de composition.

L'autre grande référence (Steven Wilson avec ou sans ses porc-épique), plus marquée sur le tumultueux "No Soul to Sell" ou sur la bulle de respiration pop que représente "Chameleon", est toutefois beaucoup moins présente que sur le premier EP, grâce au second élément les distinguant l'un de l'autre : le vocal.

D'un apport allant de l'anecdotique au sympathique sur Raising Hands, le vocal a pris une envergure lui conférant le statut de véritable atout séduction sur The Awakening. Aurélien GOUDE qui cachait sa voix derrière des effets de micros typiquement wilsonien, a ici pris l'entière mesure de son potentiel vocal. Hormis sur l'instrumental "The Awakening" (of course), il sublime de son timbre aérien et enlevé, chaque parcelle narrative propice à ses vers. On saluera au passage le très beau travail sur les harmonies vocales, dont les arrangements (au même titre que pour l'ensemble des instruments) sont de tout premier ordre. Il n'y a guère que le sublime solo haut perché au mini moog sur le second tiers du conclusif "Still Far to Go", pour rivaliser d'émotion avec sa complainte (intervenant en amont) : "Sitting by the winding road to go down, I know there's time for me to grow seeking what I need to follow on my own, I know there is still far to go" / "Assis près de la route sinueuse à descendre, je sais qu'il est temps pour moi de grandir, cherchant ce que je dois suivre par moi-même, je sais qu'il y a encore beaucoup à faire".
Il laissera enfin place à l'ambiance fantomatique du début d'album : une parenthèse d'une heure de songes lucides, au milieu d'un cauchemar de déni persistant.

Esthesis grandis à vue d’œil et ce n'est pas l'annonce de deux nouveaux albums prévus en 2022 et 2023 qui devrait fléchir la tendance. Assurément la relève d'une frange du rock progressif contemporain.


*La saga de jeu vidéo action RPG de Nintendo est réputée pour ses donjons immenses à l'ambiance sonore particulièrement soignée. La bande son du temple de l'eau de l'opus Ocarina of Time, confère à ce donjon un caractère particulièrement mystique par son motif à la flûte d'inspiration orientale.

Commentaires
Alexx, le 12/07/2022 à 11:34
Vraiment bien ! Avec la voix du chanteur, ça me fait vraiment penser à Airbag