Cigarettes After Sex

Il y a quelques semaines, dans ma chronique du dernier In Vain, j'évoquais les artistes dont la musique est un renouvellement constant et mettais ces derniers en opposition aux "groupes fermement arc-boutés à leur certitude musicale, sans considération aucune pour ce qui se passe par-delà la frontière de leur registre". Lorsque que j'ai écrit ces mots, plusieurs noms me sont instantanément venu en tête, mais pas Cigarettes After Sex. Erreur. Ou plutôt gros oubli.
La parution de ce troisième opus X's ne fait qu'appuyer le sentiment que la formation texane est campée dans son répertoire tout autant qu' "un village peuplé d'irréductibles Gaulois résiste encore et toujours à l'envahisseur".  

Vous l'aurez compris, il n'est pas question d'adresser quelques reproches que ce soit au style des Américains. Style qui, ironiquement, au tout départ, était novateur et mettait une sacrée gifle mélancolique à l'auditeur au vu l'élégant mariage entre une musique vaporeuse et cette impudique fragilité vocale. Le problème de Cigarettes After Sex est d'avoir publié trois fois le même album.
Vous pourriez prendre n'importe quel titre de ce X's, il s'intégrerait sans problème sur Cry ou sur l'album éponyme publié en 2017 et la réciprocité fonctionnerait également tout aussi bien.  

Le titre "X's" démarre et nous revoilà emmitouflés, bien au chaud, dans notre plaid mélancolique prêts à traverser un hiver de tristesse. Rien n'a changé. Le ciel de la musique des Texans reste fait de cette brume onirique agrippante conçue dans les nappes de claviers et la rythmique lourde de la basse ("Silver Sable" ; "Hideaway"). On progresse dans l'album au son de la voix de Greg Gonzalez telle une traversée le long d'un rideau cristallin que la moindre secousse pourrait fissurer ("Tejano Blue"). Si la recette est bien écumée, il n'empêche que l'émotion reste au rendez-vous tant la sensibilité délivrée est saisissante. De ci, de là, quelques arpèges bien sentis nous captivent tel l'éclat fugace d'une lumière dans la nuit ("Holding You, Holding Me"). Des morceaux à fleur de peau qui ne sauraient renier des lignes de romance poétique à l'image de "Tejano Blue" :
"I always will make it feel like you were the last one. So get in the waves like it was the first time. Bless your heart, make you part of my life forever, and always".
("Je ferai toujours en sorte que tu te sentes comme si tu étais la dernière. Alors plonge dans les vagues comme si c'était la première fois. Béni sois-tu, fais que tu fasses partie de ma vie pour toujours et à jamais").
Autant d'atouts, pareils au charme de retrouvaille, qui s'estompent rapidement. La si friable, et non moins éclatante, toile que forme le chant de Greg Gonzalez se transforme en un voile d'indifférence sur les morceaux "Hot" et "Dreams From Bunker Hill". La lourdeur agrippante de "Dark Vacay" se meut en une prison de morosité dont les barreaux finissent d'assommer notre patience. Comme si l'obscurité et les ambiances vaporeuses avaient eu raison de la luminosité des étoiles, la clarté des arpèges de guitare s'éteint sur "Baby Blue Movie". L'aube d'un jour nouveau se fait cruellement attendre au bout des dix titres de cette dernière livrée de la formation américaine. 

Plutôt que de partir à l'aventure, Cigarettes After Sex fait, avec X's, une troisième répétition de sa gamme. Le choix d'un pantouflard qui décide d'hiberner sur son canapé devant Netflix. Rien de désagréable en soi, mais un peu de piment dans la routine musicale des Texans aurait été bienvenu. Au vu du talent de son leader Greg Gonzalez, et de son passé dans une formation heavy, on s'étonne de le voir si imperméable à la prise de risque.
Sans parler d'une métamorphose radicale qui verrait les Américains revenir, musicalement, aux premiers amours de son chanteur, un disque de Cigarettes After Sex dans un répertoire pop rock à la Parachutes (Coldplay) ou dans un écrin intégralement acoustique pourrait avoir une sacrée gueule…

A écouter : "Tejano Blue" ; "Holding You, Holding Me"