Beach House
Depression Cherry
Produit par Beach House, Chris Coady
1- Levitation / 2- Sparks / 3- Space Song / 4- Beyond Love / 5- 10:37 / 6- PPP / 7- Wildflower / 8- Bluebird / 9- Days of Candy
Beach House est un duo américain formé en 2004, qui officie dans un genre plutôt confidentiel sur ce webzine: la dream-pop. Depuis leur formation, les américains ont délivré quatre albums qui évoluaient lentement vers une électro pop tour à tour rêveuse et électrique. Entendons-nous bien ici : on parle d’électro pop mais ça ne ressemble en rien à Hot Chip ou à Christine and the Queens. Et si dans le précédent effort, Bloom, les américains avaient inclus une batterie, cette dernière a disparu sur ce nouvel album.
Ne paniquons pas et essayons de définir ce qu’est la dream pop. Son équivalent est le shoegazing, comme ça vous voilà bien avancé. En anglais, shoe gazing veut littéralement dire "regarder fixement ses chaussures". On classera dans ces catégories tous les groupes qui s’évertuent à distiller des nappes vaporeuses, des murmures cryptiques et un peu trop de reverb pour être honnête. Le tout en regardant leurs pieds en concert, donc. Avouez que ça fait envie!
Tout cela ne rassure pas le lecteur quant à la qualité du disque: on ne voit pas a priori qui pourrait se sentir interpellé par une telle description. Certes, l'album sort sur le mythique label Sub Pop, mais le grunge n'a pas vraiment l'air d'être la tasse de thé du duo. A Albumrock, nous n'avons pas pour habitude de pratiquer la langue de bois, alors embarquons pour un petit tour d'horizons des idées reçues au sujet de Beach House.
"La dream pop consiste à décrire un monde merveilleux et ensoleillé 365 jours par an".
Eh bien, non. Au contraire, l’album de Beach House est traversé par une profonde mélancolie. Ça commence avec le nom du groupe, qui évoque le littoral balayé par le vent et l’écume des vagues qu’on regarde mourir indéfiniment, quelque chose d’immuable et de changeant à la fois. Le premier single, "Sparks", affiche lui aussi cette dystopie (encore un mot que je ne pensais jamais caser en dehors de mon mémoire de fin d’études, merci Albumrock). Le titre joue la carte de la distorsion à la guitare tandis que le synthé instille en mineur une atmosphère dérangeante. Les chœurs finissent par arriver, comme le soleil qui perce entre les nuages, au milieu de la chanson, mais ils sont irrémédiablement rattrapés par l’ensemble. Revenir avec un single en forme de nappe sonore douce-amère, il fallait oser.
Tout l’album est à l’avenant. Par exemple, "Bluebird" est construite sur une boucle discrète, qui contraste avec les notes de piano aériennes. La voix de Victoria Legrand s’envole gracieusement vers les hauteurs tandis que les boucles au synthé la ramène sur terre. Quand les synthés se libèrent de la pesanteur, ce sont les guitares qui se chargent d’amener la mélancolie nécessaire (merveilleuse "Space Song").
"Ok les gars ont tout compris, il suffit de prendre des poses inspirées en se lamentant sur les affres de la vie moderne".
Encore raté ! La musique de Beach House est incroyablement pudique, au regard de la charge émotionnelle qu’elle distille. La retenue est de mise, ainsi qu’une incertitude face aux tourments de la vie. On contemple, mais on ne se plaint pas. Il y a un sens du silence, qui échappe aux tourments pour mieux regarder le ciel et toucher la grâce ("10:37"). Les voix sont fondues dans les synthés autour d’elles, jamais en avant, comme dans "Beyond Love" ou "Days of Candy" (de moindre qualité toutefois).
La clé de voute de l’album est sûrement "PPP". Cette fois, la voix de Victoria Legrand est la clé de voûte de l’édifice sonore. Accompagnée d’une brume synthétique, la voix porte la chanson vers un mélange indescriptible de bonheur et de tristesse. "Won’t last for ever, maybe it will": tout Beach House tient dans ces paroles qui paraissent parfaitement sensées une fois intégrées à la chanson. Dans une invitation à l’instrospection, Beach House nous parle de la vacuité de la vie en 5 minutes 9 secondes, posés sur une boucle à trois temps qui accentue l’impression de ronde du temps. La guitare prend le relais en s’offrant son seul moment de gloire, poussant le titre aux limites du prog rock.
"C’est de la musique d’ambiance qui s’écoute d'une oreille".
Difficile de combattre ce préjugé. Parmi tout ce qui est chroniqué sur ce webzine, Depression Cherry fait indéniablement partie des disques les plus appropriés pour un réveil en douceur, une après-midi à regarder la pluie tomber ou une activité pâte à sel (Qui a dit que la pâte à sel ne nécessitait pas une grande introspection?). Vous pouvez effectivement laisser le disque tourner en ne l’écoutant que distraitement. Mais vous vous surprendrez à suspendre votre geste, comme soudain happé par l’univers ouaté de Beach House.
"Est-ce que ce n’est pas toujours la même chose, au fond"?
Hélas, tout dépend du point de vue. Beach House délivre un album cohérent, conçu comme un voyage qu’Alex Scully et Victoria Legrand organisent de bout en bout. "Levitation" annonce d'ailleurs le propos dès le début de l'album. Les paroles proposent explicitement de lâcher prise, d'abandonner toute résistance.
Alors oui, forcément, au début, on trouve ça un peu répétitif. Mais comme tout amateur de pop reconnaîtra là des mélodies superbes, il y reviendra. Et il se surprendra même à discerner des nuances, puis des contrastes et enfin de nettes différences entre les différents titres. Le talent des deux musiciens, tout en retenue, n’en est que plus majestueux.
Au contraire, force est de constater que Depression Cherry prend de l'ampleur avec les écoutes. Une fois familiarisé avec l'enchevêtrement délicat de sons, c'est un vrai délice de se blottir dans "Levitation", "PPP", "Space song" ou "Days of Candy", qui clôt glorieusement l'album. Un excellent album pour accompagner la mélancolie automnale, les feuilles qui tombent, les jours qui rallongent, les premiers frimas de l'hiver...