Alter Bridge
Fortress
Produit par Michael Baskette
1- Cry of Achilles / 2- Addicted to Pain / 3- Bleed It Dry / 4- Lover / 5- The Uninvited / 6- Peace Is Broken / 7- Calm the Fire / 8- Waters Rising / 9- Farther Than the Sun / 10- Cry a River / 11- All Ends Well / 12- Fortress
Spin-off de Creed boosté à la distorsion, Alter Bridge propose en 2013 un quatrième album entre les sessions de son chanteur avec Slash et les prestations solos de son guitariste, maître penseur du combo, Mark Tremonti.
One Day Remains, sorti en 2004 et composé uniquement par ce-dernier, était en effet terriblement décevant : une soupe rock FM (très Creed…), des clips dégoulinants de bons sentiments aux effets spéciaux dignes du series finale de Dexter, en clair, pas grand-chose à sauver. Et pourtant les deuxième et troisième albums du groupe se démarquaient de l’alternative metal classique en proposant des riffs incisifs, une rythmique lourde et un chant marqué.
Le défaut majeur d’Alter Bridge reste surtout son incessante envie de plaire à tout le monde : poussé par un Mark Tremonti aspirant à remplir à nouveau les stades, le son du groupe se lisse, tout comme les paroles. Avec un style certain mais pas assumé, le groupe attire quand même l’attention, et son troisième opus AB III (2010) affirme un style metal plus tranché, sans pour autant être abouti…
L’effort fait par le groupe pour trouver un vrai titre à ce quatrième album est à noter dans un premier temps : Fortress s’offre à nous avec une pochette pour le moins glauque et dont le rouge tire trop vers le fluo. Le manque d’harmonie des couleurs dessert le subtil paradoxe pictural d’une cabane délabrée et de la forteresse annoncée. Mais le travail de Dan Tremonti (frère de Mark, qui avait déjà travaillé sur les deux derniers albums) permet au groupe de proposer un artwork néanmoins sensé et interpellateur. C’est déjà un bon point.
Alter Bridge livre un album étonnant, qui surprend par la complexité de ses morceaux, la finesse de sa production et l’engagement du groupe dans cet opus, mais qui met un certain temps à délivrer toutes ses subtilités. L’oreille habituée au "metal FM" proposé par le groupe jusqu’à présent risque de sortir perturbée d’une première écoute. Si le single "Addicted to Pain", premier extrait de l’album, peut plaire, il laisse le groupe sur les rails de la voie tracée avec AB III. Ses similitudes frappantes avec "Isolation", premier single du troisième opus, font de ce titre le plus accessible mais aussi le moins représentatif de l’album.
Car ce quatrième effort de la bande d’Orlando est une entité forte d’une cohérence rarement atteinte par le groupe jusqu’alors : s'en dégage une ambiance inquiétante tout au long d’une écoute qui nous emmène au cœur d’une forteresse aux murs sombres et froids bâtis par les quatre floridiens. Le violent "Bleed It Dry" et son riff acéré, martèle un slogan guerrier dans ce titre épique au refrain lent. "The Uninvited", dense, sombre dans un océan de noirceur. Son pont aux faux-airs de Van Halen (dont Mark Tremonti est très proche) rappelle les qualités de composition du guitariste, trop souvent sous-estimé.
Myles Kennedy n’est pas en reste et ses prestations vocales ont gagné en subtilités. L’intro de "Calm the Fire" prouve, à qui en avait encore besoin, qu’il est l’un des meilleurs chanteurs de sa génération. Sans verser dans la démonstration (ou presque), ses mélodies et harmonies servent le nouveau dessein d’Alter Bridge, celui d’assumer pleinement son penchant pour les ténèbres abyssaux d’un metal jusque là refoulé. Parolier décomplexé, les textes de l’album prennent de l’ampleur. Certes, la silhouette d’un Dylan est encore loin, mais la tristesse mesurée des paroles de "Lover" contraste avec l’innocence pompeuse des premiers albums ("Watch Over You"). L’image de la forteresse s’efface alors et c’est dans un lieu chargé de souvenirs, vestiges d’une vie d’antan, que l’on s’imagine Myles Kennedy narrer ses histoires, à fleur de peau.
Chaque pierre apposée pour bâtir Fortress est identifiable au vu des caractéristiques, inspirations et rendus de chaque titre. "Cry of Achilles" et son style lorgnant vers le metal progressif sonne la charge : introduction acoustique, structure alambiquée allant même jusqu’à proposer trois ponts différents (et un solo de basse) sont des éléments nouveaux chez Alter Bridge. Le groupe prend des risques et c’est bon à entendre. L’introduction de "Farther Than the Sun" ne tempère en rien la hargne d’un Mark Tremonti déchainé, accordé six pieds sous terre, et soutenu par une section rythmique impeccable. Brian Marshall et Scott Philips restituent leurs partitions comme à leur habitude. Ni plus. Ni moins. Mais le sens éclairé de la production de Michael "Elvis" Baskette, collaborateur de longue date du groupe, évite une scission Myles-Mark/Brian-Scott dommageable car entachant l’effort d’unité affiché dans cet opus.
Le groupe commet deux faux-pas évitables avec "All Ends Well", ballade hors-sujet tant sa légèreté est en inadéquation avec la dynamique de l’album, et "Fortress", qui sans être une mauvaise chanson, emprunte trop aux classiques du groupe ("Blackbird"). Si musicalement, ce dernier morceau n’est pas convaincant, le lyrisme de Myles Kennedy, annonçant l’effondrement de la forteresse bâtie, image forte tant elle est teintée de mélancolie, évite le non-sens. Sur une douzaine de titres, deux essais moins convaincants n’ont pas un effet dévastateur sur le ressenti général d’un album. Le vrai problème vient ici du fait que ces deux morceaux concluent ce quatrième effort.
Goût amer d’un retour aux "sources" non nécessaire, cette fin ratée n’occultera pas la prise de risques valeureuse d’un groupe habituellement consensuel. Alter Bridge livre avec Fortress son album le plus abouti : cohérent, engagé, inspiré, libéré, l’effort des floridiens mérite le respect et redéfinit le style du groupe. Il lui aura permis d’acquérir enfin ses lettres de noblesse. Aujourd’hui membre de la maison Roadrunner, le quatuor a toutes les cartes en main pour procéder à son avènement prochain.
Chansons conseillées: "Cry of Achilles", "Lover" et "Farther Than the Sun"