Ranking albums : David Gilmour
Dans la vidéo promotionnelle de Luck and strange, David Gilmour affirme qu’il s’agit de son meilleur album depuis Dark side of the moon. On ne lui en tiendra pas rigueur, on sait que les artistes ont tendance à penser que leur dernier album représente ce qu'ils ont pu faire de mieux dans leur carrière. Pour notre part, il va de soi que tout ce qu’a produit Pink Floyd entre Dark side of the moon et The Final Cut est supérieur à l’intégralité de la carrière solo de Gilmour. Ceci étant dit, où se situe Luck and strange dans la discographie du guitariste-chanteur de légende ? On vous dévoile ça tout de suite avec un classement de ses cinq disques, du pire au meilleur.
Dans un mouchoir de poche
Avant de rentrer dans le vif du sujet, commençons par préciser que la discographie de David Gilmour est plutôt constante en terme de qualité, rien n’est vraiment mauvais et rien n’est exceptionnel non plus. Les différences de place dans ce classement peuvent donc se jouer à des détails.
N°5 : Rattle that lock (2015)
Les compositions de Rattle that lock ne sont pas forcément mauvaises, mais Gilmour cumule ici les choix douteux qui en font son pire album. Tous les morceaux se terminent avec un fade-out brutal, donnant une impression d’inachevé, de bâclé. On a d’ailleurs évité ce travers sur Luck and strange grâce au producteur Charlie Andrew qui a interrogé le guitariste sur cette étrange habitude. Des cordes bien trop présentes dans le mix rendent l’album inutilement sirupeux. Curieusement, alors qu’un orchestre et des musiciens sont crédités, certains instruments sonnent comme des VST (1) (c’est particulièrement pregnant sur "Faces of stone"). Enfin, la faute suprême : construire une chanson (qui n’est au final qu’un blues sans aucun intérêt) autour d’un jingle que tous les français associent à une annonce de retard de train, dans le meilleur des cas, voir de train supprimé dans le pire des cas ! Du côté des bonnes surprises, on notera que Gilmour est totalement convaincant en chanteur-guitariste de jazz vocal ("The girl in the yellow dress"). Et l’art-pop funky de "Today" (qui n’est pas sans rappeler "Sledghammer" de Peter Gabriel dans la démarche), lui réussi très bien aussi.
N°4 : About face (1984)
Tous les groupes de prog, de peur d’être ringardisés, ont sombré dans les travers des années 80, n’est-ce pas ? Dans le cas de Gilmour, la réponse est oui, mais moins que d’autres finalement. Le titre d’ouverture "Until we sleep" en concentre les pires clichés. On croirait entendre le générique de Miami Vice. Mais tout compte fait, aussi typé années 80 que ce soit, le générique de Miami Vice est quand même plutôt cool, non ? Ajoutons "Blue light" où il se prend pour Phil Collins (pop-rock cuivré) et le très pop "Cruise" qui se termine en pop-reggae et on aura fait le tour des moments les plus datés. Le deuxième titre "Murder" commence en toute simplicité avec une guitare folk et sa voix, monte progressivement en puissance et se termine sur une cassure rythmique à la "Money" sur le solo final. Nous voilà déjà rassurés, Gilmour a finalement assez peu cédé aux modes de l’époque. Plusieurs morceaux s’aventurent dans un pop-prog symphonique qui rappelle le Alan Parsons Project ("Out of the blue", "You know I’m right", "Let’s get metaphysical", "Near the end"). Au final, les moments les plus faibles de l’album sont deux compositions pop-rock assez basiques pour lesquelles Pete Townshend a écrit les textes ("Love on the air" et "All lovers are deranged").
N°3 : On an island (2006)
Le son de cet album est incroyable, les solos de guitare majestueux. La packaging et l’artwork sont beaux. Il s’agit du premier disque sorti par Gilmour sans être dans Pink Floyd en parallèle. Il s’en donne donc à cœur joie dans les sonorités floydiennes, par rapport à ses deux premiers albums solo qui lui avaient permis de s’exprimer autrement qu’à travers le son de son groupe légendaire. On devrait être ravis, alors pourquoi ne classe-t-on pas On an island plus haut (2) ? Parce qu’ici, Gilmour a oublié qu’il était d’abord un musicien de rock, tout simplement. Tout est joué à un tempo tellement lent de la première à la dernière chanson qu’on aurait pu croire que notre platine était réglée à la mauvaise vitesse si ce disque était sorti à l’époque du vinyle. Seul l’excellent "Take a breath" prend la peine de nous réveiller de notre sieste à mi-parcours. Du côté des bonnes surprises, les fans connaisseurs de Pink Floyd se régaleront des ballades acoustiques ("The I close my eyes", "Smile") qui évoquent une période moins connue du groupe (1969-72).
N°2 : Luck and strange (2024)
Sur Luck and strange, Gilmour cumule les qualités de ses trois précédents albums solo tout en tombant beaucoup plus rarement dans leurs défauts. On retrouve le son typiquement floydien et la recherche de produire un disque à l’univers cohérent que pouvait avoir On an island sans le côté soporifique. Les instrumentaux ne sont pas de simples passages obligé mais participent à l’ambiance et à la fluidité générale. A l’intérieur de ce cadre, le guitariste arrive cependant à nous surprendre, souvent en compagnie de sa fille d’ailleurs. "Between two points" reste immédiatement en tête et possède un de ses plus beaux solos. Encore plus éloigné de son univers habituel, la simplicité folk celtique de "Yes, I have ghosts" lui va à merveille. Si vous préférez des épiques plus convenus dans l'univers auquel il nous a habitué, vous serez servis avec "The Piper’s call" et surtout "Scattered". On n’est cependant toujours pas sur un sans-faute, puisque "Dark and velvet nights" (un heavy blues sans grande originalité), "Sings" et "A single spark" (tous deux mielleux et baignés de cordes), nous rappellent les choix douteux de Rattle that lock.
N°1 : David Gilmour (1978)
Le premier album solo de Gilmour est son plus constant. Sur les neuf titres, tous sont bons. Pourtant, si on faisait un top 10 de ses chansons, on n’en retiendrait probablement aucune de ce disque. A l’époque il venait de sortir Animals avec Pink Floyd sur lequel Waters a composé l’intégralité des titres. Cette première escapade solo est l’occasion pour lui de s’exprimer différemment. On trouve beaucoup de blues rock ("There’s no way out of here", "Cry from the street", "No way"), et des instrumentaux lui permettant de s’en donner à cœur joie en tant que soliste ("Mihalis", "Raise my rent", "Deafinitely"). Si vous cherchez un album de Gilmour au son floydien dans les années 70, écoutez un Pink Floyd. Ici on est plus sur une proposition de guitariste de blues rock à la Ten Years After, Rory Gallagher ou Robin Trower, et dès lors qu’on en convient, on doit bien admettre que c’est une réussite dans son genre.
(1) Instruments virtuels
(2) J’ai longuement hésité à mettre On an island en 4 et About face en 3. Les deux possèdent des qualités et des défauts difficilement comparables. Si vous êtes sensible au son Pink Floyd et allergique à la pop et aux années 80, vous préférerez On an island. Si vous voulez un album plus varié, plus rock et aux compositions plus efficaces, alors About face sera plus à même de vous satisfaire.