
Christopher Owens
Salle : Maroquinerie (Paris)
Première partie :
Parmi les belles surprises de 2024, difficile de ne pas mentionner le retour en grâce de Christopher Owens. Avec I Wanna Run Barefoot Through Your Hair, son quatrième album solo, l’ex-leader de Girls livre une œuvre d’une touchante sincérité, marquée par une authenticité qu’on ne lui espérait plus, après des années de silence et de dérive (pour ne pas dire descente aux enfers). Autant dire que cette unique date française suscitait une attente mêlée de nostalgie, ravivant le souvenir d’une époque où le blondinet apparaissait comme l’un des talents les plus prometteurs de la scène indie rock. Et dans l’écrin intimiste de La Maroquinerie, tout semblait réuni pour une soirée inoubliable, au côté d’un artiste qui a de toute évidence encore beaucoup de choses à dire.
Chose rare en concert, l’installation ne prend ici que quelques minutes. La scène, dépouillée à l’extrême, se résume à un pied de micro orné d’un bouquet de fleurs et à un petit ampli posé directement au sol. Contrairement à ce qu’on aurait pu imaginer à l’écoute de l’album, Christopher Owens se défendra seul sur scène ce soir ! Guitare en main, il fait son entrée dans une tenue pour le moins singulière : haut d’arlequin, short et chaussettes roses montantes. On peine alors à reconnaitre le Californien : silhouette fragile, démarche incertaine, visage dissimulé derrière d’épaisses lunettes noires et mèches de cheveux en bataille.
Peinant d’abord à accorder sa guitare, le chanteur finit enfin par débuter son set, avec un panachage de son répertoire solo associé à différentes reprises épurées au rang desquelles on notera une étonnante version acoustique de "Time after Time" de Cyndi Lauper ou encore une reprise sobre et poignante de "Leaving on a Jet Plane" de John Denver.
Owens ne semble pas spécialement à l’aise, il évite le regard du public — pourtant venu en nombre et manifestement acquis à sa cause — et laisse parfois échapper quelques accords hésitants. Il faut attendre un bon moment avant d'entendre un extrait du nouvel album : "No Good". Pétillant et enjoué en version studio, le morceau perd ici de sa vigueur dans une interprétation guitare-voix trop dépouillée pour réellement convaincre. Le constat s’impose peu à peu : Christopher Owens n’est plus que l’ombre de lui-même.
Mais contre toute attente, le public persiste à montrer son enthousiasme, à travers une véritable déclaration d’amour collective. Peu à peu, cette ferveur semble faire son effet. Owens se libère, se montre plus tranchant, et finit par ôter ses lunettes. On découvre alors un visage marqué, vulnérable, celui d’un écorché vif manifestement reconnaissant et ému de partager un tel moment.
Soutenu en coulisse par sa femme — également manageuse le temps de la tournée —, Christopher Owens s’approprie peu à peu l’espace scénique. On découvre alors un artiste totalement investi, au point qu’il devient difficile de distinguer l’homme de l’interprète. Lors de quelques morceaux folk tirés de ses précédents albums, il s’empare d’un harmonica, enrichissant ainsi ses compositions de nuances mélodiques bienvenues. On retrouve surtout le toucher délicat du guitariste, chaque note, chaque pincement de corde semblant porter une émotion à l’état brut. Le sommet de la soirée est atteint avec "Vomit", titre phare du répertoire de Girls, livré ici dans une version dépouillée mais bouleversante. Le public, conquis, ne relâche pas ses acclamations, y compris lors du rappel, que Owens accueille avec une surprise presque naïve.
On pourra bien sûr regretter l’absence de certains morceaux, à commencer par "Do You Need a Friend", sans doute l’une des plus belles compositions de l’artiste depuis ses début en solitaire. Mais après vérification, le setlist semble intégralement remanié à chaque date de la tournée — un choix audacieux, à l’image d’un musicien insaisissable, fidèle à sa spontanéité.
En quittant la salle, difficile de ne pas ressentir un mélange d’émotions. Si la prestation de Christopher Owens n’a pas brillé par sa rigueur ou sa maîtrise, elle a su, à sa manière, toucher juste. Sans artifice, sans fard, l’artiste s’est livré avec ses failles, sa fragilité, et une sincérité désarmante. Ce concert, loin d’être parfait, avait pourtant quelque chose d’unique : la sensation d’assister non pas à une performance, mais à un moment de vérité. Et à l’heure où tant de concerts virent à la démonstration, cette forme de dépouillement brut fait peut-être plus de bien qu’on ne l’imagine...