Stereophonics a toujours été le groupe honnête par excellence. Un groupe honnête avec une discographie honnête, le groupe très rarement transcendant mais jamais à la ramasse non plus. Sept albums corrects, quelques tubes d'exception et des morceaux oubliables à ne plus savoir qu'en faire. Il faut tout de même avouer qu'il est bien aisé d'avoir une connexion particulière avec au moins un titre des Gallois, un de ces morceaux pop taillés bruts, mélancoliques au possible et relevés par le chant éraillé de l'ami Kelly Jones. La recette a fonctionné tout au long de la décennie, avec une régularité d'horloger (un album tous les deux ans) et un succès honnête toujours au rendez-vous. Le filon était tellement porteur que le groupe s'est quelque peu endormi sur ses lauriers et a tardé à se réinventer. Car s'ils peuvent se vanter d'avoir une longévité dans les charts qui commence à avoir de la gueule, on peut tout aussi bien leur reprocher d'avoir usé jusqu'à la corde leur pop-soul-rock à minettes consentantes. Le constat devenant évident à tout un chacun, les petits gars ont retroussé leurs manches, claqué la porte de V2 pour créer leur propre label et ont attendu le temps qu'il fallait pour pondre ce Graffiti On The Train. Premier pas. Reste maintenant à s'échapper de ce diptyque rock bas de plafond et mélo amoureux et montrer qu'ils en ont sous le capot.
Il est vrai que les
Stereophonics ont parfois semblé manquer d'arguments ou d'ambition, d'être ce groupe moyen qui passe de temps à autres à la vitesse supérieure, mais presque par accident. Alors ils ont forcé l'accident, gonflé leur musique d'orchestrations un brin pompeuse, cultivé leur lyrisme jusqu'à floraison et élaboré un scénario à peu près cohérent. L'album débute comme un rappel des épisodes précédents, on reconnaît sans mal la plume et l'identité mais on sent déjà que quelque chose va basculer. Trois titres ni mauvais (encore que), ni remarquables au rang desquels un "We Share The Same Sun" divertissant, ou un "Graffiti On The Train" boursouflé de violons mais relativement efficace. "Indian Summer" est quant à lui un peu différent ; d'une, le morceau était ni fait ni à faire, mais surtout il amorce le fatidique tournant, introduit l'élément perturbateur. C'est un morceau épique, solaire, là aussi conduit par des cordes, pas franchement éloigné de ce qu'on attend d'eux mais avec un élan nouveau, certes regrettable, de comédie musicale bas de gamme. Car c'est bien là l'intérêt de cet album, les
Stereophonics ont théâtralisé leur musique plus que jamais. Plus grand, plus fort, plus maîtrisé surtout, finies les ballades un peu en bordel et le spleen à outrance.
Les orchestrations et la mise en scène des compositions ont clairement pris une importance toute particulière. Cordes en veux-tu en voilà, un peloton de cuivres, les envolées lyriques de Jones qui chante plus clair que d'habitude, le rendu est propre comme un sou neuf. Le morceau le plus frappant de cette maturité soudaine est certainement "Violins and Tambourines". Titre franchement cinématographique (pour ne pas dire James Bond-esque, merci David Arnold), épique et indiscutable, mais surtout joliment maîtrisé dans une progression sans brutalité ni superflu. Avec en son cœur une plage de trois minutes où les violons dansent discrètement, avant que le tout ne s'accélère pour gronder dans un ultime refrain tendu comme un fil mais contrôlé de voix de maître par Kelly Jones. Notons aussi un "Roll The Dice" presque issu d'un album de Kasabian, avec son ambiance feutrée qui se désagrège petit-à-petit. Intéressant sans être fondamentalement original, mais qui appuie cette esthétique du grandiose contenu. Puis, on avait déjà goûté à "In A Moment", largué en single premier de cordée qui avait déjà eu le mérite de nous faire croire en cette prise de conscience. Un retour au rock, sans violon envahissant ni chichis, un titre solide sur ses appuis comme un 3/4 aile du XV du poireau, dont la progression dramatique file droit sur le pré.
Mais c'est bien connu, un album des
Stereophonics sans titres mous du genou n'aurait pas la même saveur. Par exemple, "Been Caught Cheating" n'a rien de mauvais, rien de bien bon non plus, mais surtout n'a rien à faire là. Le blues des champs de coton de Cardiff, ça va cinq minutes et le titre sonne faux du début à la fin, comme un entracte mal placé. Pas plus qu'un "No-One's Perfect", ballade downtempo guitare-piano-voix, un brin rétrograde tant elle aurait pu se caser dans n'importe lequel des albums des Stereophonics. En guise d'épilogue, elle gâche sans sourciller les efforts fournis pour conclure l'épisode. Pas mieux pour Catacombs, gros rock grossier, honnête mais grossier, qui jure gentiment dans ce nouvel habillage volontairement plus chic.
Étonnamment, on a le droit à un album tout-à-fait honnête des
Stereophonics mais sans aucun morceau qui crève le plafond. Exit les Local Boy, les Mr. Writer ou autre Maybe Tomorrow. Pas même un Dakota. Mais un petit wagon de titres ambitieux et par dessus tout, maîtrisés au rasoir. Des pop songs léchées et très bien produites qu'on attendait pas d'un groupe aussi stéréotypé (sans jeu de mot). On avait jusqu'ici plutôt l'habitude de les voir jongler bien mieux avec les glandes lacrymales qu'avec les expérimentations, aussi timorées soient-elles. Le résultat est un album très narratif et théâtral, par moment même un poil contemplatif, comme l'illustration d'une anecdote vécue par Kelly Jones dans son appartement quand des garçons s'ont passé par son toit pour accéder au rail et taguer les trains. Ce
Graffiti On The Train a clairement le mérite d'exister, contrairement à ses deux prédécesseurs qui sans avoir été bâclés, n'ont strictement rien ajouté à la discographie des Gallois. Enfin les
Stereophonics sortent de leur facilité et semblent acquérir une maturité nouvelle, tout du moins une vision jusque là inédite de leur honnête potentiel. Et vu les armes vocales du bonhomme Kelly, c'était presque con de ne pas y avoir pensé plus tôt.