Shame
Food for Worms
Produit par
1- Fingers of Steel / 2- Six-Pack / 3- Yankees / 4- Alibis / 5- Adderall / 6- Orchid / 7- The Fall of Paul / 8- Burning By Design / 9- Different Person / 10- All the People
Une mutation ne serait-elle pas en train de s’opérer au sein de notre chère sphère du post-punk britannique ? Voilà qu’après la pirouette magistrale opérée par The Murder Capital il y a quelques semaines, Shame vient à son tour se frotter à l’exercice du saut périlleux avec une troisième production, Food For Worms, considérée par ses géniteurs comme “la Lamborghini du catalogue du groupe”, rien que ça. Simple saut d’orgueil ou véritable saut dans le vide, nos 5 anglais annonçaient tout feu tout flamme ce nouveau cru comme le début d’une nouvelle ère, après le classicisme post punk de Songs of Praise et la polyvalence contemporaine de Drunk Tank Pink. A ne pas en douter, le changement d’identité stylistique avait dès lors été enclenché sur ce dernier, venant complexifier l’équation, mais qu’en est-il désormais ? Le groupe a-t-il pu finalement embrasser pleinement une nouvelle identité où reste-il, comme qui dirait le cul coincé entre deux chaises, hésitant à changer franchement de cap, sans un regard dans le rétroviseur ? Notre avis général penche dans le cas présent vers la seconde option : explications.
Le quintet sud-londonien s’essaye assurément ici à un registre définitivement plus mélodique. Un premier constat avait déjà été tiré avec l'arrivée prématurée de ”Finger of Steel”, plaçant aux avant-postes un refrain fédérateur relevé par une agréable cascade chromatique. Voilà que celui-ci se retrouve en pole position pour introduire l'œuvre complète, de quoi entamer ces retrouvailles avec panache, d’autant plus lorsque “Six Pack” lui entame le pas, lui coupant presque le bec avec son riff funky bien senti, emprunté aux Red Hot période 90’s. C’est toutefois lorsque le tic-tac du métronome s'apaise que les changements se font les plus flagrants. “Adderall”, entamé sur un faux air nonchalant coche toutes les cases d’un bon downtempo : cœurs entêtants, arpèges délicats et break en crescendo lançant une délicieuse montée en puissance finale, supportée par une guitare criarde. “Orchid” viendra de son côté mettre à nu un Charlie Steen uniquement vêtu d’une délicate nappe acoustique, laissant une part de choix à de belles respirations et de légères variations de tempos. Un morceau au-dessus des nuages pour une formation nous ayant habitué à une identité bien plus terre à terre, même si sa conclusion nous ramène rapidement en terrain connu. L’articulation douce-amère de ce titre constitue finalement une bonne représentation de l’hésitation palpable d’un groupe coincé entre la volonté de diversifier son répertoire, sans tout de même foncièrement bousculer un ADN déjà bien ancré dans les esprits des amateurs du genre. Les musiciens semblent ici rongés par le choix de l’un ou l’autre parti, bien souvent au sein d’un même titre. Malgré un contraste prenant sur “Yankees”, celui-ci déçoit malheureusement sur les brouillons “Burning by design” et “All the People” (la ligne de basse jazzy a pourtant du potentiel), intéressants dans leurs structures respectives mais semant le trouble, faute cette facette touche à tout qui disperse l’écoute.
Pourquoi ne pas embrasser pleinement le potentiel mélodique décelé dans les grands moments de ce disque et oser proposer sans concessions un contenu finalement entièrement nouveau ? Voilà la question qui s’impose immédiatement après la traversée d’un dernier tiers plutôt décevant, même lorsqu’il s’agit de renouer avec la gouaille des débuts (“The Fall of Paul” qui manque relativement de mordant). Cette intuition se confirme irrévocablement en atteignant la fédératrice conclusion, “All The People”, allant jusqu’à chatouiller l’ambiance pop baroque proposée par les Black Country, New Road sur leur dernière production. Enregistré d’une traite, en live et sans overdub, cette ultime pièce semble désormais façonner au mieux l’intérêt que l’on puisse porter à Shame, dans ces instants bien plus posés et confidentiels.
Bien que nous ressortions quelque peu déçu de l’expérience, surtout après quelques écoutes ayant estompées notre plaisir de retrouver la troupe, Food for Worms reste au fond un bon disque non dénué d’intérêt et récolte l’honneur de ne pas foncer grossièrement dans le mur de la redite. Cette cabriole hésitante, qui n’a rien à voir avec le gracieux double salto arrière de leurs confrères irlandais cités plus haut, vient tout de même confirmer l’avènement d’un changement de cap au sein d’une scène post-punk bouillonnante. Ce tournant plus réfléchi, plus mature aussi, semble de plus et plus s’affirmer ces derniers temps et a indubitablement le mérite de nous tenir en haleine pour la suite des évènements sur les terres anglo-saxonnes.
A écouter : "Fingers of Steel", "Adderall", "All The People".