Ecouter un album une seule fois ne suffit jamais à se faire une opinion totalement tranchée sur ce dernier. Selon l’émotion du moment, il est difficile de faire preuve de recul lorsque nous sommes emballés par ce que nous entendons, n’hésitant pas à parler de chef-d’œuvre à tout va ou de sombre bouse lorsque ce qui passe sur la platine ne nous procure aucune émotion. Les chroniqueurs musicaux ne sont pas totalement étrangers à cet excès de l’instant en usant de titres ravageurs, de tournures stylistiques à n’en plus finir et de formules faciles pour appâter le lecteur. Combien de critiques acérées de pauvres albums maladroitement réalisés et combien de louanges de groupes qui n’en demandaient pas tant ? Alors lorsque l’on s’apprête à chroniquer un album qui, dès sa sortie, s’est hissé en tête des charts britanniques, propulsant le groupe à une vitesse phénoménale (tournée sold-out) et qui se retrouve acclamé de toutes parts, il convient de ne pas se laisser emporter par cet enthousiasme ambiant. Ceci explique l’arrivée quelque peu tardive de cette critique, un mois après la sortie du dit-opus.
Et pourtant.
Sur le papier,
Royal Blood a tout pour plaire. Un duo anglais basse-batterie conférant un souffle nouveau à cette formule popularisée par les
White Stripes, de fougueux concerts durant l’été dans de nombreux festivals, des copains super chouettes (Matt Helders des
Arctic Monkeys, Jimmy Page
himself), une formule basée sur de gros riffs à la
Queens Of The Stone Age et des mélodies à faire pâlir les fans de
Muse (des premiers albums) le tout sur une major, bref, la couverture semble tellement alléchante que l’on se dit qu’il y a forcément anguille sous roche. Méfions nous des anglais, capables de moments de grâce éphémères avant de sombrer dans une médiocrité terrifiante (
Oasis,
Kasabian). Alors nous lançons une première fois le disque. Emballement total. Une deuxième fois. Même réaction. Et puis une troisième, une quatrième, une cinquième… Nous finissons par nous rendre à l’évidence : ce premier album est une véritable bombe. Un électrochoc. Une explosion nucléaire.
Et tant pis pour la mesure, le recul, tout ça.
Ce qui frappe le plus, outre le son totalement distordu de la basse de Mike Kerr bluffant d’inventivité et rugissant comme une guitare, c’est l’instantanéité des morceaux. Les refrains sont immédiats ("Out Of The Black", "Figure It Out"), les riffs dantesques, à mi-chemin entre hard rock et stoner ("Come On Over", "Ten Tonne Skeleton") et la frappe de Ben Thatcher est bien lourde, concise et redoutable de précision. Mais
Royal Blood ne s’arrête pas en si bon chemin, car là où beaucoup de groupes pourraient se contenter de cet (excellent) cocktail, les lascars ajoutent des lignes mélodiques ingénieuses et franchement réussies ("Blood Hands") portées par la voix puissante et aérienne de Mike ("Little Monster") et n’hésitent pas à emprunter des directions différents au sein même d’un morceau ("Loose Change"). On ne sait jamais à l’avance comment se terminera une chanson de
Royal Blood et chaque titre possède une particularité qui lui est propre, conférant au disque une véritable homogénéité et enlevant toute impression de remplissage. Et puis ce son de basse qui ressemble à celui d’une guitare, putain ! Vous n’allez pas me dire qu’il s’agit là de quelque chose de commun ! Non, ce n’est pas une formule d’affirmer que nous n’avons rien entendu de tel. Le contenu est donc (franchement) à la hauteur de la couverture.
Alors bien sûr, cet avis est purement subjectif. Certains n’arriveront pas à partager l’enthousiasme provoqué par ce disque, trouvant quelques redondances par-ci par-là. D’autres se demanderont comment du fait de cette formule extrêmement limitée,
Royal Blood réussira à se réinventer pour les prochains albums sans tomber dans la facilité (qui a parlé des
Black Keys ?). D’autres trouveront que la note attribuée est beaucoup trop élevée (mais seraient bien foutus de mettre un zéro pointé à certains disques) et qu’on oubliera probablement le groupe dans quelques années, comme tant d’autres avant eux. Et oui, ces arguments se tiennent pour la plupart. Mais dans une période aussi morose que la nôtre, sur beaucoup de plans,
Royal Blood aura au moins réussi à nous redonner espoir en nous livrant un premier disque brutal et fougueux, totalement inattendu et franchement jouissif. Quoiqu’il arrive, le pari est gagné. Chapeau, Brighton.