Alice Cooper
Hey Stoopid
Produit par Peter Collins
1- Hey Stoopid / 2- Love's a Loaded Gun / 3- Snakebite / 4- Burning Our Bed / 5- Dangerous Tonight / 6- Might As Well Be on Mars / 7- Feed My Frankenstein / 8- Hurricane Years / 9- Little By Little / 10- Die For You / 11- Dirty Dreams / 12- Wind-Up Toy
De retour au sommet, Alice Cooper sait qu’il devra payer un jour ou l’autre le prix de ce succès renouvelé : à vouloir surfer sur toutes les vagues de l’océan du rock, on finit par disparaître avec l’écume des notes, le risque augmentant à mesure que les années passent. Il fallait donc proposer une suite à Trash capable de supporter sur ses épaules toutes les promesses. Une suite qui, si elle n’est ambitieuse, soit au moins aguicheuse. Pour cela, le meilleur moyen demeure d’inviter tout le gratin du hard-rock de l’époque : Ozzy Osbourne aux chœurs (sérieusement), les allumés de Mötley Crüe, et des guitaristes virtuoses comme Steve Vai, Joe Satriani, Vinnie More ou Slash. Rien que ça. Paradoxalement, ils n’apparaissent pas forcément sur les titres les plus inspirés (les très moyen et déjà ringard "Feed my Frankenstein"), mais en guise d’appât, on fait difficilement mieux.
Hey Stoopid est, pour moi, un disque un peu à part. Si ce n’est un best-of, il était le seul album d’Alice Cooper qu’il y avait dans la discothèque familiale et garde donc la saveur du "premier album" par lequel on découvre un artiste ou un groupe. Pour l’avoir sûrement vécu, vous connaissez le biais que cela induit quant à la perception de celui-ci. Néanmoins, il semble certains que nous sommes ici face à un très bon album, dans la lignée de Trash … En mieux : les compositions y sont plus accrocheuses tout en étant moins FM, même si on reste dans du hard-rock US typique de l’époque, les parties instrumentales plus attrayantes, et on trouve davantage d’homogénéité tout au long de l’opus en termes de qualité.
Ainsi, le combo d’entrée, un "Hey Stoopid" rassembleur et le plus calme (et plus dense) "Love’s a Loaded Gun", a tout du doublé gagnant, deux coups de maître en guise de mise en bouche. Ce dernier titre notamment, est particulièrement réussi entre ses arpèges introspectifs, les synthés modernes, à propos et non-envahissants, la ligne de guitare électrique et le refrain hymnique : dès la première écoute, celui-ci donne l’impression d’avoir toujours été connu, non par manque de personnalité, mais en tant qu’il est une illustration d’un savoir-faire dans l’écriture d’un tube en puissance. C’est la force de cet album : que l'on apprécie ou non le genre dans lequel il s’inscrit, on peut facilement reconnaître qu’au moins la moitié de ses pistes puissent recevoir le plébiscite du grand public. Hey Stoopid réalisa en effet une belle performance dans les charts.
En termes de sonorité, les années 1990 sont clairement entamées, ce qui rend l’opus moins kitsch que son prédécesseur, et cela est particulièrement sensible au niveau des guitares. On l’entend sur le très bon "Snakebite", une autre perle très incisive, même si le refrain est un peu bonjovien – avec un arpège pioché chez Yes sur "Love Will Find a Way" (l’emprunt reste à démontrer). On pourrait trouver cette même modernité (claviers exceptés) sur "Dangerous Tonight", tout en puissance et crescendo. Côté ballade, "Burning Our Bed" lorgne du côté des Guns triomphant (et des Stones), un registre bien plus séduisant que "Die For You" qui joue sur des mélodies un peu trop faciles pour être honnêtes (entendez que c’est un peu de la guimauve). Il convient de mettre en avant un titre un peu plus long que les autres (sept minutes) mais d’une très belle facture, "Might as Well Be On Mars". Depuis les arpèges cristallins derrière des nappes en apesanteur, jusqu’au refrain taillé pour la scène qui tranche avec ce côté atmosphérique, en passant par les passages ampoulés où guitare et claviers gagnent en profondeur, on décolle vers un espace musical inspiré. La partie soliste navigue dans des courants émergents (il y a du Dream Theater, dans l’interprétation et non dans la débauche technique ici absente, sachant que Sherinian travaillera sur le prochain opus de Cooper), comme le final guitare/voix orchestral, un moment jouissif.
Néanmoins, s’il s’adapte à l’esthétique du temps (comme toujours), Cooper garde sa personnalité. Rien de moins coopérien que "Hurricane Years", si ce n’est son goût jamais démenti pour le rock’n’roll ("Dirty Dreams"), et un retour sur ses années théâtrales et cauchemardesques avec "Wind Up Toys" (synthés inquiétants, boite à musique, alternance rock accrocheur et couplets arpégés à l’ambiance étrange), anticipant le prochain opus. Vous le voyez, en plus d’aligner les titres accrocheurs (surtout sur la première moitié), Hey Stoopid est assez diversifié.
Alice Cooper démarre donc les années 1990 avec force, développant et sublimant la direction prise sur Trash qui avait permis son retour dans la cour des grands. Pour autant, ce fut la décennie la moins productive pour lui (deux albums seulement), celui-ci ayant du mal à trouver une direction dans le renouvellement de la scène rock.
A écouter : "Hey Stoopid", "Love’s a Loaded Gun", "Might as Well Be On Mars"