Portishead
Dummy
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1- Mysterons / 2- Sour Times / 3- Strangers / 4- It could be sweet / 5- Wandering star / 6- Numb / 7- Roads / 8- Pedestal / 9- Biscuit / 10- Glory box
Afin de fêter dignement le dixième anniversaire de Dummy, rien ne vaut une petite expérience de téléportation. Nous sommes en septembre 1994, et un groupe s'apprête à transformer le paysage musical anglais de manière irréversible. Des millions d'inconscients se ruent sur le "Back for Good" de Take That ou sur le "Rhythm of the Night" de Corona, sans comprendre que les vrais extra-terrestres, eux, ne portent pas de T-shirts moulants et ne se trémoussent pas sur le dance-floor... Heureusement, certains aventuriers munis d'une lampe de poche et de chaussures à crampons oseront déserter les sentiers battus pour se procurer un album bien étrange, d'un groupe au nom qui ne l'est pas moins : Portishead - qui se révèle être le nom de la ville natale de Geoff Barrow, co-fondateur du groupe.
Passé le choc de la pochette qui rappelle à beaucoup d'égards certains tableaux du peintre anglais Francis Bacon, le bonheur n'est pas loin. Les mots de "génie", de "chef d'oeuvre" commencent à fuser. Il est vrai qu'avec Dummy, c'est rien moins qu'une révolution qui s'opère. Pour un coup d'essai, c'est un coup de maître. Retour dans le futur. 15 décembre 2003. Rien n'a changé, ou presque. L'album a certes conquis un public plus large en Europe et dans le monde, mais la réception est toujours unanimement bonne. Les raisons d'un tel succès ? D'abord, Dummy a réussi l'alliance parfaite du plaisir esthétique et émotionnel. L'expérimentation éléctronique n'est pas vue comme une fin en soi, elle vise au contraire à parcourir tout l'éventail des émotions qu'il est permis à un être humain normalement constitué de ressentir (colère sur "Mysterons", tendresse sur "It's a Fire", souffrance contenue sur "Pedestal").
Ensuite, l'album a contribué à populariser un genre né en 1991 dans la ville bohème et pluvieuse de Boston : le trip-hop. Le terme "trip hop" est créé en 1994 par un rédacteur du magazine Mixmag, en abréviation d'"Abstract hip-hop". Il désigne depuis un genre à dominante instrumentale, moins inspiré par la dance et le hip-hop que par le jazz, qui déroule sur des rythmes lancinants une musique mélancolique accentuée par des claviers vintage que certains n'hésiteront pas à qualifier de déprimante. Portishead maîtrise ce genre à la perfection ("Roads" et "It Could Be Sweet" en sont les exemples les plus convaincants), laissant libre cours à l'émotion, mais cela sans excès.
Certes Dummy serre le coeur, mais il élève également l'esprit. Tandis que les downbeats de Geoff Barrow entrecoupés de scratches et de samples ("Wandering Star") et les guitares d'Adrian Utley (co-auteur de huit titres de cet album) nous font basculer dans la léthargie voire nous attirent vers les bas-fonds, la voix belle à pleurer de Beth Gibbons nous entraîne, elle, vers les hauteurs, vers le septième ciel musical ("Glorybox", "Sour Times"). Avec Dummy, Portishead nous invite à une balade hypnotique entre le ciel et les enfers qu'il faudrait être fou pour refuser... et pour ne pas réitérer au cours des dix années qui viennent.
Sans pour autant négliger les deux autres albums du groupe, l'éponyme et plus sombre Portishead ainsi que PNYC, live enregistré au New York City's Roseland Ballroom en 1998, qui fait la part belle aux orchestrations symphoniques sans que rien ne soit perdu de la force rythmique originelle. Avis aux amateurs donc (et ils sont certainement nombreux) !!