Pavlov's Dog
At the Sound of the Bell
Produit par
1- She Came Shining / 2- Standing Here With You / 3- Mersey / 4- Valkerie / 5- Try To Hang On / 6- Gold Nuggets / 7- She Breaks Like A Morning Sky / 8- Early Morning On / 9- Did You See Him Cry
Bossu de Notre-Dame
Il y a ici paradoxe temporel et artistique.
Victor Hugo a écrit Notre-Dame de Paris avec l’ambition d’alarmer les puissants de son temps sur la nécessité de restaurer la cathédrale qui menaçait (déjà) se s’écrouler. Elle fut sauvée.
Cent quarante ans plus tard, en s’inspirant du même thème pour illustrer la pochette conceptuelle de son deuxième album, Pavlov’s Dog allait rapidement provoquer sa propre ruine.
Tout en concevant un nouveau chef-d’œuvre.
Crisis ? What Crisis ?
Au moment où Atlantic Records presse le groupe de sortir un second opus pour surfer sur le succès de Pampered Menial, Pavlov’s Dog vit déjà une première crise.
Mike Safron, le batteur et créateur du groupe a décidé de ranger ses drumsticks. Il quitte le navire sans fracas contre la promesse d’être crédité sur le deuxième album. La promesse ne sera pas tenue. Safron est alors suivi par Siegfried Carter dont les sons originaux de violon avaient enluminé le premier effort discographique des Américains.
Ces départs sont motivés, côté cour, par des dissensions avec le management et, côté jardin, par le comportement hégémonique de David Surkamp qui monopolise toutes les attentions.
Lorsque la firme de disques demande au chanteur de choisir quelques musiciens pour le seconder, le bonhomme cite Bill Bruford (1), Andy Mackay (2) et Michael Brecker (3). Atlantic Records dégaine le carnet de chèques sans rechigner et les trois prodiges sont recrutés. Les sessions d’enregistrement peuvent débuter. Dans un climat pour le moins étrange...
En effet, si les titres de l’album inaugural avaient été composés (essentiellement par David Surkamp) avant que le groupe n’existe vraiment, le succès rencontré par le premier opus a rebattu les cartes. Chacun des musiciens se rêve en auteur-compositeur et cherche à imposer des titres de son cru. Mais, le chanteur, peu au fait de l’art et la manière de communiquer, s’enferme dans un comportement autistique et renvoie tout le monde à ses études, considérant que ce qui lui est proposé ne présente strictement aucun intérêt.
L’avenir lui donnera cruellement raison mais ses propos blessants provoqueront des rancunes définitives qui vont bientôt sceller le destin du Chien de Pavlov.
Deux perles et une faute d’orthographe
Produit par la même équipe que Pampered Menial, At The Sound Of The Bell s’inscrit dans une veine créatrice et artistique similaire. David Surkamp reste stratosphérique. Bien que l’effet de surprise soit passé, les nouvelles compositions, charmantes et romantiques, ont le même potentiel "tubesque" que ses premiers efforts et l’ensemble s’écoute, sans heurt ni contretemps, avec un plaisir renouvelé.
Les deux titres les plus marquants figurent stratégiquement en fin de face A et de face B du vinyle.
Le fabuleux et épique "Valkerie" aurait évidemment dû s’écrire "Valkyrie" mais celui qui a mis en page la jolie pochette éprouvait de la peine à lire les gribouillis manuscrits de David Surkamp (4). De nombreux fans citent encore ce titre comme étant le plus représentatif de leur groupe favori.
Et "Did You See Him Cry" est simplement un monument de musique progressive à tendance classique et classieuse. Un sommet majeur de l’art progressif. Ce sera aussi la coda de la carrière éclair du groupe.
Si "Try To Hang On" peut paraître générique (David Surkamp est moins à l’aise dans les rythmes accélérés), des ballades létales comme "Gold Nuggets", "Standing Here With You (Megan’s Song)" ou un mid tempo poignant comme "Early Morning On" révèlent un auteur habité et au sommet de son art.
Un art qui restera incompris, tant il est en décalage avec son temps qui n’en a plus rien à foutre de cette "musique savante". Aux USA, The Ramones ont déjà sorti leur premier album éponyme. En Angleterre, Eddie And The Hot Rods atomisent les pubs de l’estuaire de la Tamise.
Fausse mort et vrai désastre
L’album est à peine arrivé chez les disquaires que David Surkamp comprend qu’il est victime des agissements d’un manager qui exploite à son seul profit le succès naissant du groupe. Incapable de gérer la situation, le chanteur choisit de s’isoler et de disparaître de la circulation. Il ne démentira même pas les rumeurs de son décès colportées par la presse musicale.
Privé de son génie créatif et de sa voix emblématique, dans l’incapacité de poursuivre la route pour défendre les deux premiers opus, le groupe tente aussitôt d’enregistrer un troisième album.
A coup de menaces non déguisées, la maison de disques parvient à persuader David Surkamp de poser sa voix sur quelques brouillons de titres. Il accepte à contrecœur et à la seule condition de ne pas devoir supporter la présence des autres musiciens. Dépité par la médiocrité de ce qu’il entend, il enregistre quelques textes puis s’enfuit (5), abandonnant le métier pour devenir chroniqueur musical dans un magazine de Saint-Louis.
Avec le recul, il est évident que David Surkamp n’avait pas l’étoffe d’un leader. Solitaire, amoureux éconduit, romantique invétéré, adulescent en mal de certitudes, il n’avait plus que probablement pas l’envie de participer à une expérience collective et moins encore d’endosser le rôle de grand timonier.
C’est pour cette raison que j’ai écrit précédemment (6) que la fin de Pavlov’s Dog était, dès l’origine, inscrite dans ses gênes. En effet, Pampered Menial était déjà l’œuvre d’un "soliste accompagné". Quand on écoute attentivement la musique du groupe, David Surkamp absorbe seul toute la lumière et tout le spectre sonore, ne laissant guère de place à ses six acolytes. On entend que sa voix (surprenante), ses textes poétiques et ses structures musicales fragiles mais inspirées (7).
La présence des "autres", aussi talentueux soient-ils, n’intervient jamais qu’en guise de faire-valoir. Ce qui n’empêche pas l’auteur d’éprouver de l’empathie pour le genre humain...
As-tu seulement remarqué que ce vieil homme pleurait souvent
As-tu jamais observé sa démarche
Et ces manières qu’il affecte pour dissimuler son visage
Égaré dans un monde qui n’est plus le sien
As-tu déjà arrêté de jacasser
Pour simplement entendre ce qu’il essayait de te raconter
Comment sa belle et lui se sont jadis tellement aimés
Il est tout comme toi
Et ils étaient tout comme toi
Tout ça pour l’amour d’une Walkyrie...
(1) Batteur de Yes et de King Crimson, Bill Bruford va se comporter ici en parfait musicien de session, se contentant d’imprimer les tempi qui lui sont commandés. David Surkamp en concevra une certaine amertume, expliquant par la suite que l’Anglais avait perçu un cachet pharamineux pour un travail plus que générique.
(2) Andy Mackay se contente également d’un caméo sans grand intérêt par rapport à ce qu’il proposait dans Roxy Music.
(3) Le saxophoniste américain Michael Brecker a joué avec tellement de musiciens de jazz (Chick Corea, Quincy Jones, Chet Baker, Dave Brubeck, Herbie Hancock, … ) et de rock (Frank Zappa, Dire Straits, Steely Dan, Lou Reed, Aerosmith, Bruce Springsteen, Blue Öyster Cult, …) que l’on pourrait lui consacrer une encyclopédie. Il est probable que sa participation à At The Sound Of The Bell ne soit pas la plus marquante parmi les neuf cents albums auxquels il a contribué dans sa courte vie avant d’être rattrapé par un cancer de la moelle osseuse.
(4) Pour les rockers complétistes, The Zombies avaient connu une mésaventure équivalente avec leur génial Odessey And Oracle.
(5) Les démos seront volées et publiées sous la forme d’un bootleg attribué au groupe fantôme The Saint-Louis Hounds. Une version officielle remasterisée sera ensuite commercialisée sous le titre Has Anyone Here Seen Siegfried ? qui sera à son tour rapidement piratée sous le titre Third (c’est cette version assez cheap qui est la plus aisée à trouver dans nos contrées).
(6) Voir la chronique consacrée à Pampered Menial.
(7) Ce n’est pas un hasard s’il reprendra bien plus tard la route (sous le nom de Pavlov’s Dog) essentiellement entouré des membres de sa famille et de sa garde rapprochée.