Ghost
Prequelle
Produit par Tom Dalgety
1- Ashes / 2- Rats / 3- Faith / 4- See the Light / 5- Miasma / 6- Dance Macabre / 7- Pro Memoria / 8- Witch Image / 9- Helvetesfonster / 10- Life Eternal
Bon an mal an, au fil d’une carrière méticuleusement apprêtée et de choix artistiques originaux et futés, Ghost est en train de se tailler une sacrée place sur la scène métallique internationale, au point même, avec ce Prequelle aux atours particulièrement flatteurs, d’espérer pouvoir prêcher son satanisme d’opérette à des ouailles moins portées sur le doom, l’occultisme et les déguisements macabres. Rappelons que l’une des particularités de ce groupe suédois - pour ceux qui l’ignoreraient encore - est de se produire masqué dans le plus strict anonymat : chaque musicien se voit affublé d’un masque de démon et du nom de “Nameless Ghoul” (goule sans nom) et se met au service jadis d’une succession de papes pervers (les fameux Papa Emeritus), désormais d’un cardinal défroqué, son éminence Copia. Mais si le masque du frontman change à chaque album, on sait désormais que derrière celui-ci se cache Tobias Forge, individu bien connu pour avoir sévi dans plusieurs groupes de metal extrême comme Superior, Repugnant et Crashdïet sous l’avatar Mary Goore. Information révélée à l’issue d’une action en justice intentée par les Nameless Ghouls en 2017 qui jugeaient avoir été spoliés de leurs crédits de songwriting, autant dire, comme qui dirait, que “ça casse un peu le mythe”. Une fois la fine équipe rémunérée - et renvoyée dans ses pénates par la même occasion -, voici que nous revient le Fantôme avec de nouvelles goules à ses ordres et un disque qui semble taillé pour le plébiscite. Penchons-nous donc de plus près sur ce petit dernier.
Premier point, Prequelle - un nom que l’on n’imagine pas choisi par hasard - semble répondre aux grisantes sirènes des 80’s comme il est de bon ton actuellement dans la scène rock extra-metallique. On appréciera donc avec une certaine nostalgie un morceau comme “Rats” (avec un r bien roulé, “rrratss”) qui tutoie les vieux Ozzy Osbourne, les Black Sabbath époque Tony Martin ou ces chers Blue Öyster Cult, batterie clinquante, power chords conquérantes, chant mélodieux harmonisé. Après l’introduction morbide “Ashes” très typée doom à la Vendredi 13, c’est donc une certaine bouffée de fraîcheur qui nous cueille ici avec un titre dynamique et d’une redoutable efficacité, bardé d’un pré-chorus finaud et d’harmonisations richement troussées. Deuxième point, Prequelle, voulu comme un concept-album traitant de la peste (d’où les rats, n’est-il pas) confirme le virage pop - metal qui s’opérait déjà sur Meliora et qui est de toute façon partie intégrante de l’ADN de Ghost depuis ses débuts. Ne mettons pas en parallèle le Fantôme et les autres tenants de la scène rock mondiale qui, l’an passé, ont plus ou moins tous versé dans ce même travers pop, car la problématique de la reconnaissance ne s’applique pas du tout à la scène metal, au contraire même puisque ses membres considèrent souvent d’un œil on ne peut plus suspect tous ceux qui essayent de se compromettre à l’extérieur de leurs sacro-saintes chapelles. Dans les faits, un morceau comme “Dance Macabre” - qui fait la joie de Ouï FM - n’a quasiment plus rien de metallique et lorgnerait davantage sur un ABBA un peu rugueux mais non moins grisant, avec son refrain articulé autour d’un jeu de mots (non pas “I wanna be with you in the moonlight”, mais “I wanna bewitch you”, arf arf) et sa rythmique remuante. Si sur le papier un tel mariage - noir - pourrait s’avérer choquant, force est de constater que Forge nous emballe le tout avec une vraie maestria, même si on gage que certains esprits chafouins parmi les plus intégristes de la sphère heavy metal ne seront pas plus enthousiasmés que ça par cette farce sous les spotlights.
Troisième point, Prequelle est… assez difficile à cerner. Parce qu’à oser des choses, Forge en oublie peut-être d’insuffler un peu de liant à son capharnaüm. Intro doom, donc, metal 80’s chatoyant, donc, pop suédoise, donc, mais aussi heavy lugubre (“Faith”), power ballad martiale (“See The Light”), instrumentaux tour à tour pugnace (“Miasma”) et habité (“Helvetesfönster”)... on ne sait jamais trop sur quel pied danser face à un tel éclectisme. On retiendra plus particulièrement les deux instrumentaux qui lorgnent sur le rock progressif et se montrent aussi poignants qu’incontestablement addictifs, tandis que les autres morceaux chantés sont moins indiscutables : “Faith” empile les poncifs, “See The Light” fait le job sans trop se fouler, et un titre comme “Witch Image” arrive un peu comme un cheveu sur la soupe après “Rats” et “Dance Macabre”, pas du tout raté - et même réussi - mais nettement en deçà et n’apportant rien de plus à l’ensemble à part une certaine confusion. Mais là où on peut commencer à sourire jaune, c’est à l’écoute de “Pro Memoria” et “surtout du conclusif “Life Eternal”, troussé un peu comme une réponse au “Who Wants To Live Forever” de Queen. Parce que là, Ghost fait du Blackfield, et la pompe est tellement énaurme qu’on jurerait halluciner. Certes, tout le monde ne connaît pas ce superbe projet placé sous la houlette de Steven Wilson et Aviv Geffen, mais sur une écoute à l’aveugle, on s’y méprendrait tellement les mélodies, les arrangements à base de piano et de violons mais aussi la voix de Forge qui mime étonnamment celle de Geffen jouent au jeu des décalcomanies. Pour autant, les deux titres sont là encore très appréciables, bien que contribuant à l’éclatement stylistique d’un disque qui semble presque trop beau, trop “facile” pour être totalement convaincant, d’autant plus quand certains raccourcis scripturaux entachent le tableau. Le refrain d’“In Memoria” s’avère navrant, au bas mot : “N’oublie pas la mort, n’oublie pas la mort de tes amis, n’oublie pas que tu vas mourir”, yo man. Et c’est presque pire avec “Life Eternal”, Forge n’utilisant que le mot “forever” pour achever ses rimes. Plus paresseux tu meurs.
Oh, un dernier détail, à propos des textes. Dans un monde en proie aux extrémismes de tous bords, en particulier religieux - voyez tout le ramdam qui tourne autour du concert de Médine au Bataclan -, il faudrait peut-être voir à ne pas laisser entendre que toutes les valeurs se valent. On peut toujours arguer que Ghost, c’est du spectacle, du second degré, que c’est rigolo, qu’ils ne se prennent pas au sérieux, quoi qu’à titre personnel l’auteur de ces lignes n’ait jamais vraiment goûté à ce soi-disant humour “à la suédoise” pas plus qu’il ne rit aux facéties de Pelle Almqvist quand le trublion n’arrête pas de brailler sur scène, avec le plus grand sérieux, que les Hives sont le plus grand groupe de rock du monde. Si, comme dirait Kaiser Söze dans Usual Suspect, “le coup le plus rusé que le diable ait réussi, c’est de convaincre tout le monde qu’il n’existe pas”, si le bénéfice du doute pouvait être accordé aux Papa Emeritus tant qu’ils demeuraient anonymes, on n’ignorera pas en revanche que Tobias Forge est quant à lui un sataniste convaincu et qu’il ne s’en est jamais caché. Dès lors, des paroles tirées de “Faith” comme “Every day that you feed me with hate, I grow stronger” (“À chaque fois que tu me nourris de haine, je deviens plus fort”) résonnent avec une acuité un brin glaçante. À charge alors pour l’auditeur de faire fi de certains textes et de tâcher de faire “la part des choses”, la belle affaire. À l’heure où Ghost est en train de s’extraire du carcan métallique où son folklore et son théâtralisme semblaient le parquer jusqu’ici, et bien qu’il ne soit nullement question de remettre en cause une quelconque liberté d’expression, on aimerait pour autant que Mr Forge évite de pousser ses auditeurs à certaines incitations néfastes, ou à tout le moins qu’il sorte clairement de certaines ambiguïtés textuelles. En tout cas, si l’on s’en tient à la musique, ce Prequelle s’en sort tout de même très bien, et on ne doute pas qu’il risque de faire des ravages partout où il passera. Pas sûr en revanche qu’il tienne aussi bien sur la longueur, ni finalement que Ghost parvienne un jour à faire mentir son statut de simple curiosité pop-metal, du moins pas à ce niveau-là de finition. À charge à l'ecclésiaste inversé et à ses noirs disciples de nous démontrer le contraire.