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Interview Black Hand Crew Rigging


François, le 23/01/2023

Risquons le truisme en disant que les amateurs de musique vivante se rendent aux concerts pour admirer des groupes et entendre de la musique … vivante. Sans les musiciens, pas de spectacle et comme ces derniers le disent non sans démagogie, sans le public ils ne seraient rien ! Pourtant, il est d’autant plus certain que ces événements ne pourraient avoir lieu sans les hommes et les femmes qui s’épuisent dans l’ombre. On vous propose de découvrir une des professions les moins connues du milieu, et pourtant ô combien essentielle.


On s’était croisé au festival Retro c Trop en juin 2022 à Tilloloy en Picardie. Comment s’est passé le festival pour vous ? Le château d’Alice Cooper, c’était vous ?


Non le château ce n’était pas nous !!! Nous étions sur Tilloloy pour réaliser le rigging l’accroche et le montage des moteurs. Ce festival fut une première pour le Black Hand Crew, une découverte … L’été nous travaillons sur des festivals en Belgique comme Dour, Les Ardentes, Ronquiéres, Tommorow Land, Feel Good Festival, Baudet Festival, Les Solidarités, Live is Live Festival, Les Francofolies de Spa, Arena 5… et oui la Belgique est une terre de fêtes estivales.


Cela dit Tilloloy fut le premier hors de notre plat pays au début de l’été, mais nous avons eu la chance de collaborer sur le Lollapalooza à Paris et l’Electic Love Festival à Salzburg et L’Absolut Bartreng au Luxembourg par la suite.


Nous avons apprécié commencer par Tilloloy car ce fut l’occasion de rencontres comme on les aime. Patrice, un technicien pour une entreprise française de montage de scènes, également rigger, un vieux de la veille bien Rock And Roll ! Et puis toi également, rencontre improbable qui permet d’en venir à cette interview !


Vous n’étiez pas vraiment là en spectateurs … Vous étiez même plutôt au boulot, à faire du "rigging", un métier de l’ombre du monde du spectacle, peu connu, mais essentiel. Tu peux nous expliquer en quoi ça consiste, de façon synthétique puis dans le détail ?


Le rigging, c’est l’accroche et l’élevage des structures sons, vidéos et lumière, tout élément au-dessus de la scène. Quand tu vas à un concert et que tu lèves les yeux, tout est accroché par des moteurs, pas des moteurs de bagnoles hein, ce sont des palans électriques capables de soulever de lourdes charges. Le job des riggers est de grimper dans la charpente métallique des scènes et de hisser les moteurs à l’aide d’une guinde, une poulie et un peu - beaucoup - de force dans les bras et de résistance à la chaleur. Sous les bâches des scènes en été, il fait très chaud. Pareil après certains concerts en salle, l’énergie et la chaleur du public sont plus que palpables au niveau du plafond. Certains concerts nécessitent peu de moteurs, une vingtaine,  mais sur d’autres c’est possible d’avoir 180 points moteurs comme pour Orelsan à Paris.  Ce qui représente 30 riggers en l’air.


Si vous n’êtes pas là, qu’est-ce qui se passe ?


Le matériel reste au sol. Les riggers sont les premiers sur scène pour le montage : ils ont un plan, ils tracent la scène avec des repères, mettent un laser sur la poutre et le rigger en l’air fait un point d’accroche.


C’est assez dangereux non ? Vous devez avoir des règles strictes en termes de sécurité, et des grosses frayeurs …


En Belgique les accidents sont rares, le dernier remonte à 20 ans, principalement à cause de la fatigue. Il n’y a pas beaucoup de riggers ce qui oblige à multiplier les chantiers. Un rigger fatigué s’est endormi sur la poutre, est tombé, mais il ne se souvient de rien et travaille encore (la légende dit que celui qui l’a vu tomber, par contre, a arrêté …). Mais question sécurité, il y a encore plein de choses à mettre en place, le métier n’existe pas en Belgique donc il y a un vide réglementaire. La plus vieille légende belge du rigging montait avec ses santiags et sa Chimay bleue dans la main … Il faut dire que le métier attitre des profils un peu rock’n’roll, cela dit nous avons tous été d’une certaine façon de bons braconniers, à nous de devenir d’excellent gardes-chasses comme on dit chez nous…


Peux-tu nous expliquer l’histoire du collectif, les raisons de sa création, son fonctionnement, le nombre de membres … ?


Black Hand Crew est une entreprise mais elle fonctionne dans sa gestion au maximum comme un collectif. Raph est "le patron" de BHC mais le concept de la main noire est un délire avec son acolyte Banban. Pour l’histoire Raph a commencé le rigging il y a 12 ans avec son look original (veste à clou, crête de toute les couleurs et une dizaine de piercing au visage), son franc-parler bien à lui qui fait qu’on l’aime ou qu’on le déteste d’ailleurs - y’a pas de détours avec lui, ce qui ne plait pas à tout le monde. Dans le milieu on le surnomme "la crasse". A l’époque il est recruté par John de Artistic Rigging, un vrai padre pour lui, qui n’hésite pas une seconde à reprendre les clients quand on critique son "punk". John allait jusqu’à répondre aux clients déboussolés par Raph : "C’est des riggers que je fournis, pas des secrétaires...". Grace à John, son soutien et sa patience aussi, car il fallait le gérer, Raph a fini par se faire une place. C’est assez dur d’entrer dans le milieu, il faut être coopté, la formation est en interne avec quelqu’un qui te prend sous son aile. Pour Raph, c’était John bien entendu. Deux ans plus tard, c’est l’arrivée de Banban dans Artistic Rigging mais aussi celle de Nicoskate et bien d’autres qui sont toujours présents aujourd’hui. Banban c’est un peu le jumeau de la Crasse (Raph) : crête aux couleurs vives, tatouages et piercing à gogo. La seule différence, c’est que Banban aime le motif léopard et Raph le tartan. Autant dire que les deux forment très vite un duo de choc pour le meilleur et pour le pire. Ensemble, ils bossent bien et beaucoup - ça c’est le meilleur, et pour le pire ils sont comme deux personnages de cartoon se marrant à leurs propres blagues (qui ne font rire qu’eux d’ailleurs). Le concept de la main noire est né de leurs délires, celui d’apposer leurs mains pleines de graisses à moteurs sur les murs des salles de spectacles en Belgique. Ils ont commencé à laisser leur marque. C’est à ce moment qu’ils inventent le surnom : le Black Hand Crew, en référence aux mains noires  à cause des moteurs, qui les distinguent un peu des autres professions du spectacle.


Lors du COVID, John a dû stopper Artistic Rigging et Raph met neuf mois pour toucher des aides tandis qu’Alban n’a rien. Ils essayent de s’activer pour s’en sortir, et finalement, Raph décide de monter sa propre boite. Il demande à Alban s’il lui autorise de l’appeler Black Hand Crew, et c’est sous ce nom qu’elle voit le jour en septembre 2021. Aujourd’hui, l’entreprise rassemble une vingtaine de freelance et 6 à 8 temps plein. Cette année, on a fait environ 250 évènements, dont des expositions et des salons, et même des festivals importants comme le Lollapalooza à Paris.


Il y a toujours un côté militant, même si on génère de l’argent, le but de Raph est de faire bouffer tout le monde, pas de vision capitaliste. Ce n’est pas « le management » le plus facile mais on essaye de faire au mieux. On va sans doute un peu trimer pour développer la boite en mettant l’accent sur certaines valeurs mais c’est notre choix. Quand je demande à Raph ce qu’il souhaite pour lui et le crew, il répond : "Laisser une trace dans le rigging belge, rien à foutre d’avoir une piscine". Je rigole car si dans 10 ans, tu découvres une photo de nous sur FB dans une grosse piscine, envoie-moi cette interview en nous insultant. Bref, on est à l’abri de rien dans la vie, nous deviendrons un jour peut-être de vrais connards mais j’espère que nos camarades poseront des bombes dans la piscine pour nous réveiller et revenir au projet comme nous le percevons aujourd’hui… C’est-à-dire attentif à l’humain, à l’esprit du crew, à l’importance de chacun dans ce projet. Raph dit souvent : "J’ai le meilleur de chaque catégorie", alors comme dans une famille c’est parfois le bordel mais c’est ça le CREW… des passionnés qui vivent les choses à 100%, on bosse à fond, on s’engueule, on rigole, on s’amuse, on se tatoue des débilités, on se réconforte dans les moments difficiles, on s’insulte (pour rire), on se pousse mutuellement dans nos limites mais au final on partage toujours des trucs. Derrière ce joyeux bordel, il y a des combats sérieux je te rassure, on cogite beaucoup pour des rémunérations correctes, la place des femmes dans le rigging car la profession est très masculine, on essaye de faire en sorte que le rigging soit plus inclusif. Y’a peu de temps, Raph a entendu une remarque sexiste sur une riggeuse du crew, vous devinez la suite... Ce technicien a eu droit à la répartie de Crasse. Lors de recrutement, nous sommes clairs sur nos valeurs - pas de fachos, pas de machos… Banban porte sa veste à fourrure léopard, Raph porte du rose et Oriane est plus forte que certains mecs. En plus d’être riggeuse, elle est trapéziste, cette double compétence l’a amenée à donner des formations en accroche aux circassiens. Elle a le soutien du crew pour développer ce projet.  Faire un Fuck aux préjugés, quant à l’esprit de famille, c’est un héritage que l’on doit à John.


Alban et Raph ont été des "braconniers" dans le métier, ils ont pratiqué dans des conditions rock’n’roll mais ils sont beaucoup plus attentifs aux conditions dans lesquelles le métier se pratique. Tout en gardant l’esprit punk bien sûr (notre slogan est "Your shit, our problem") : on maintient la bonne ambiance, la convivialité et on cultive la communauté. Un de nos plus beaux cadeaux est une photo de main noire reçue de la part d’un rigger de Argentina Rigging Crew, des histoires comme ça, ça ne s’oublie pas.


Quel est votre statut professionnel ? La profession est-elle reconnue ? Y’a-t-il des différences entre la  France et la Belgique à ce niveau ?


Il n’y pas de statut, on est dans une commission partiaire du métal car il y a des poutres métalliques, c’est assez absurde. En France, il y a une certification, Alban et Raph ont été certifiés en France


Raph est devenu formateur, il fait des initiations organisées par l’ATPS 5 association des techniciens du spectacle, cela dure quelques jours mais c’est loin d’être quelque chose de solide, c’est davantage une façon de s’ouvrir à un plus grand public. On a encore du taf mais nous avons le soutien précieux de l’ATPS.


Pour devenir rigger, il faut d’abord savoir que ça existe, avoir un contact dans un monde de durs à cuire, et vouloir faire un métier difficile et speed. La résistance au stress est très importante.


Vient-on vers cette profession par goût pour la musique ou plutôt par goût pour les métiers "extrêmes" ? Un peu les deux peut-être …


Souvent, les riggers ont été roadies, et ils prennent connaissance du métier lors des évènements. Il faut aimer la hauteur, et c’est vrai que le côté « dockers » du spectacle peut donner envie d’intégrer ce milieu. Ce n’est pas forcément par goût musical, plus par interconnaissance.


On n’est pas des grands fans d’Indochine, mais il paraît que vous avez travaillé sur un gros chantier assez impressionnant pour eux ?


Nicola Sirkis est très attaché au tarif unique des places, tout en voulant que chaque spectateur voie la même chose. Il a donc fait développer une tour centrale en Belgique avec des écrans et des sorties son (il aurait été inspiré par une tour de refroidissement aperçue sur place), et l’installation s’est faite en lien avec PRG France, une des plus grosses boites d’événementiel du monde. La tour nécessitait un Chef avec 6 riggers dont trois du Black Hand Crew, pour une tournée qui passait par cinq stades.


On nous a proposé le contrat 6 mois après que la boite était montée, et il fallait payer tous les employés pendant toute la tournée sachant que le client a 60 jours pour payer. On s’est posé de nombreuses questions de trésorerie, aucune banque ne voulant nous prêter d’argent, car nous n’avions pas une année comptable. On a fini par décider de prendre le contrat. Sur ce chantier, les riggers devaient mettre toutes les dalles d’écran sur la tour.


Sans être fans d’Indochine, les riggers en ont un souvenir exceptionnel. Après chaque concert lors du démontage le public venait les saluer, les remercier, c’est une belle communauté de fans dont certains ont même envoyé des messages ! Nous avons rédigé un article sur notre blog et certains messages de fans sont visibles. C’est notre façon de les remercier car ils nous suivent encore aujourd’hui sur les réseaux sociaux. C’était beaucoup d’émotions.


Vous pouvez nous raconter de gros événements de ce type qui vous ont marqués ? Et peut-être nous donner des groupes avec qui vous rêveriez de travailler, que ce soit par goûts musicaux ou par l’ambition technique derrière leurs installations ?


Rammstein évidemment ! Raph, Banban et Nico l’ont déjà fait avant la fondation de Black Hand Crew, Le rêve pour notre cooz (notre rigger-artificier) est de faire toute sa tournée. L’ambition technique et les installations pyrotechniques rendent le défi exaltant. Cette année, on a travaillé pour les Rolling Stones, The Cure, Back Street Boys, Orelsan à La Défense, une énorme salle. Il y a aussi eu Machine Head, Evanescence, Placebo, Kendrick Lamar en Suisse. On rêverait de faire le Hellfest, refaire le Lollapalooza où on a eu un très bon accueil, un bon contact avec les riggers français, c’était très pro. Et puis historiquement, les Belges et les Français aiment s’envoyer des vannes mutuelles et c’est toujours drôle.


Comment ça se passe avec les artistes ? Vous les croisez ? Sont-ils respectueux de votre travail ?


On les croise obligatoirement, on mange parfois ensemble, mais on évite de les déranger, de prendre des photos. Un jour, Jamel Debbouze lance à Raph qui ne s’y attend pas "Salut poto et merci", et vient lui serrer la main. Certains sont imbuvables mais d’autres sont très agréables. Cette année Vianney et Stromae ont remercié les riggers devant le public.  


Pour finir, tribune libre : un message à faire passer, un petit mot ?


D’abord aux riggers qui lisent ce papier : Welcome ! On adorerait venir vous voir pour apprendre d’autres techniques mais également vous recevoir. Ça arrive déjà mais on aimerait que ça puisse se développer. Quant au public, levez les yeux, même si on est parfois difficiles à voir. Être rigger, c’est une vie, une philosophie, on passe ses journées sur certains événements parfois de 4h du matin à 4h du matin le lendemain, en faisant de la route. Mais 5 minutes avant la fin du concert, t’es déjà sur les côtés et tu vois la foule applaudir, et tu te dis "putain j’ai bossé pour ça", c’est la plus belle récompense qui fait qu’on recommence.


Enfin qu’ils recommencent … Car je ne suis pas riggeuse, il est temps de dévoiler qui je suis… Je suis leur plus grande fan, mon surnom c’est Bobone, j’aide à la construction du projet BHC, je les écoute, je cogite et je propose… Je râle aussi quand ils achètent trop de glaces à ne plus savoir les justifier, j’ai l’impression parfois de m’occuper de 25 Didier Super, je n’ai pas vraiment de rôle défini mais je sais que je les admire… Les riggers (et pas que ceux du BHC) ont tous quelque chose en plus (ou en moins), ils sont tous à part. Ce sont des hommes et des femmes passionnés. Dans une salle au milieu d’autres techniciens, on les reconnait, c’est un peu les Badboys du spectacle.


À John, Raph, Banban, Nicoskate, David, Loïc, Doudou, Papy Bart, Oriane, Manoe, Émilie, Aaron, Yves, Ghilain, Fabrice, Papybabine, Cooz, JD, Seb, Amaury, Quentin, Timmy, Louise, Fab, Vince, Félix… et toutes les mains noires d’ici et d’ailleurs car le crew n’a pas de frontière.


Merci d’avoir illuminé les plafonds par cette interview.


Le site de Black Hand Crew Accueil - Black Hand Crew Rigging (bhc-rigging.com)


Crédit Photo : Black Hand Crew Rigging

Commentaires
Gengibre, le 27/01/2023 à 17:25
Que buena nota amigo me gustaría conocerlos soy aprendiz de guatemala
Xtoph, le 23/01/2023 à 18:48
Black Hand Crew.. Your shit is turning into "stars in our eyes" at every gig..