Houle
Vous l’avez très certainement remarqué : depuis plus d’un an maintenant, le webzine accorde une place nettement plus conséquente aux musiques dites "extrêmes". Il faut dire que Julien - ou devrais-je plutôt dire Darth Julien - s’en est donné à cœur joie à travers une ribambelle de chroniques mettant en lumière des styles que nous n’avions jusqu’alors fait qu’effleurer sur Albumrock : death metal, black metal et post-metal en tête. Nous-mêmes n’avions pas vu venir cette bascule vers le côté obscur, pour le moins radicale (le bougre était jusqu’à présent plutôt du genre à disserter sur Green Day, Muse ou encore Deportivo...). Au fil des articles, nous avons ainsi découvert des formations disposant d’une palette technique, mélodique et émotionnelle d’une richesse insoupçonnée. Évidemment, l’adhésion ne se fait pas du jour au lendemain : le néophyte devra persévérer, passer outre certains aspects peu engageants de prime abord (chant guttural, blast beats), et habituer progressivement son oreille à une musique exigeante, parfois éprouvante, n’hésitant pas à emprunter des chemins plus sinueux et progressifs, afin d’en saisir pleinement toutes les subtilités.
Pour ma part, je m’aventure de plus en plus régulièrement vers cette branche du metal, même si je suis encore loin d’y adhérer complètement. Refusant de lâcher l’affaire et animé par une volonté d’ouverture d’esprit, je me suis donc laissé tenter par un concert événement 100 % black metal français, organisé à Paris au Petit Bain – une salle reconnue pour son éclectisme. À l’affiche, trois formations déjà plus ou moins bien établies sur la scène hexagonale : Abduction, Silhouette et Houle.
Il convient d’abord de saluer la pertinence de cette programmation, qui brille autant par sa cohérence - trois groupes à l’esthétique affirmée, privilégiant des textes en français - que par sa singularité, chacun développant un univers qui lui est propre. Autre élément, et non des moindres, qui m’a agréablement surpris : la mixité homme/femme observée tout au long de la soirée, tant au sein des groupes que dans le public. Si la parité est encore loin d’être atteinte, force est de constater qu’un genre musical aussi obscur bénéficie d’une présence féminine loin d’être anecdotique. Ajoutez à cela un Petit Bain affichant complet, et tous les ingrédients étaient réunis pour une soirée d’exception.
SILHOUETTE
Contrairement à ce que l’affiche pouvait laisser supposer, c’est Silhouette qui a ouvert les hostilités, livrant un set particulièrement maîtrisé et une prestation placée sous le signe de la sobriété, ponctuée de véritables coups d’éclat. Le premier album du combo montpelliérain – dont les mérites avaient déjà été vantés par Julien, toujours lui – m’avait plutôt séduit, notamment par son duo vocal féminin/masculin. Celui-ci instaure un contraste saisissant entre un chant féminin envoûtant et mystique, et un chant guttural réellement déchirant, provoquant une authentique sensation de montagnes russes émotionnelles, oscillant entre instants de relâchement contemplatif et fulgurances de pure frénésie.
Les compositions prennent d’ailleurs une tout autre ampleur en live : la section rythmique gagne en lourdeur, les chœurs se font encore plus transperçants de grâce, et l’approche mélancolique s’impose avec une intensité accrue. Seul bémol à signaler : une scène un peu trop étroite, qui peine à offrir aux six membres du groupe l’espace nécessaire pour incarner pleinement leur musique.
ABDUCTION
Je dois avouer que j’attendais de pied ferme la prestation d’Abduction, mené au chant par mon ami François Blanc, qui assurait avec ses compagnons la toute première série de concerts de l’histoire du groupe, à l’occasion de la sortie de son quatrième album. La soirée avait ainsi tout de l’exceptionnel pour la formation francilienne, fondée en 2006, qui avait su rameuter pour l’occasion une partie conséquente de sa fanbase. Abduction (à ne pas confondre avec l’homonyme britannique évoluant également dans le registre black metal) se distingue par une esthétique médiévale affirmée et par des concept albums puisant leur inspiration dans des événements historiques marquants, à l’image de celui consacré à Jeanne d’Arc. Le quartette a ainsi déroulé une large sélection de ses morceaux les plus emblématiques (dont sa fameuse reprise de "Allan" de Mylène Farmer), tout en accordant une attention particulière à l’immersion dans son univers : interludes composés d’extraits de vieux films, atmosphères soigneusement installées, et superbes respirations instrumentales sublimées par l’intervention d’un cinquième musicien au violoncelle.
Si le groupe a parfois semblé manquer d’assurance sur scène - la faute notamment à quelques soucis de retours de son - la prestation n’en est pas moins apparue des plus convaincantes, et l’on espère qu’elle encouragera Abduction à renouveler l’expérience scénique à l’occasion d’un prochain album.
HOULE
Si les deux premiers groupes à fouler la scène ont tous deux assuré, il ne fait aucun doute que le climax de la soirée se nomme Houle. Ce jeune groupe parisien est devenu, en l’espace de deux ans à peine – après un EP remarqué et un premier album paru en 2024 – l’un des fers de lance du black metal sur la scène française. Fort d’une bonne centaine de concerts à son actif et de prestations remarquées au Motocultor comme au Hellfest, Houle gravite les échelons à une vitesse sidérante.
Comme son nom l’indique, Houle nous invite à prendre le large et à affronter de multiples dangers. Les cinq membres du groupe font leur entrée dans la pénombre, s’éclairant à la lueur d’une lanterne. Tous vêtus de tenues de marins – imperméables et marinières (on est finalement bien loin de certains clichés visuels du genre) – ils entonnent a cappella un chant marin, rassemblés au centre de la scène, avant de prendre progressivement place. Le voile maintenu depuis le début de la soirée se lève alors, révélant une scénographie riche en détails plus ou moins tape-à-l’œil (on comprend désormais pourquoi les groupes précédents semblaient à l’étroit), dominée notamment par deux énormes goélands empalés sur des hallebardes de plusieurs mètres de haut. Un sacrilège visuel qui annonce d’emblée un voyage maritime des plus tumultueux.
Jusqu’ici relativement discipliné, le public est littéralement déchiré par les premiers riffs furieux de Houle, transformant la fosse en un véritable champ de bataille. Le groupe est mené par une chanteuse à l’improbable palette vocale, alternant chant guttural d’une rare percussion, phases parlées aux accents incantatoires et cris stridents situés quelque part entre le pig squeal et le cri de Nazgûl. Une sirène démoniaque, bien décidée à entraîner dans les abysses tous ceux qui oseront s’aventurer sur son territoire.
Au-delà de ces salves de frénésie salvatrice, j’ai été sincèrement impressionné par l’ampleur de la proposition artistique. Houle dévoile un répertoire bien plus vaste qu’il n’y paraît, capable aussi bien de riffs carnassiers taillés pour déchaîner la foule que d’instants d’accalmie propices à la contemplation, sans hésiter à s’aventurer vers des sections instrumentales résolument progressives. La fête est d’ailleurs ponctuellement rejointe par des membres de Silhouette et d’Abduction, venus renforcer cette communion scénique.
Si je prendrai le temps d’apprivoiser Houle à travers ses enregistrements studio, je dois bien reconnaître que les Parisiens m’ont d’ores et déjà impressionné par leur énergie brute et leur aisance scénique.
-----------------------
Je ressors de la soirée à la fois fasciné et éreinté, mes oreilles n’étant manifestement pas prêtes à encaisser une décharge sonore d’une telle ampleur sur plus de trois heures de concert. Je suis encore loin de pouvoir affirmer que j’écouterai du black metal au quotidien, mais force est de constater que le genre exige bien plus d’attention que je n’étais initialement disposé à lui accorder, rendant par la même occasion l’appellation de "metal extrême" quelque peu réductrice.
La France peut-elle devenir une terre véritablement fertile pour le metal sous toutes ses formes ? Cela prendra sans doute du temps, mais à en juger par la soirée, les premières graines ont d’ores et déjà largement germé.
Setlist :
SILHOUETTE :
En attente de la setlist
ABDUCTION :
1. Battue par les flots jamais ne sombre
2. Dans La Galerie des Glaces
3. La chevauchée de la Loire
4. Foi en ses murs jusqu'aux rats
5. Carnets sur récifs
6. Les Heures impatientes
7. Allan (Mylène Farmer cover)
HOULE :
1. Au loin la tempête
2. Sous l'astre noir
3. Mère nocturne
4. La danse du rocher
5. Sur les braises du foyer
6. La dernière traversée
7. Le continent
8. Sel, sang et gerçures
9. Née des Embruns







