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Critique d'album

Jean-Louis Murat


Le Moujik Et Sa Femme


(28/03/2002 - Scarlett Editions/Delabel Editions - - Genre : Rock)
Produit par

1- L'Amour Qui Passe / 2- L'Au-Delà / 3- Foule Romaine / 4- Hombre / 5- Libellule / 6- Baby Carni Bird / 7- Ceux De Mycènes / 8- Molly / 9- Le Monde Intérieur / 10- Vaison-La-Romaine / 11- Le Tremplin
Note de 4/5
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Note de 4.0/5 pour cet album
"Le dernier album de rock de Jean-Louis Murat avant la neurasthénie."
Pierre D, le 07/04/2011
( mots)

Jean-Louis Murat, le stakhanoviste de la chanson française. L'ouvrier Alekseï Grigorievitch Stakhanov avait, selon la propagande soviétique, accompli 14 fois la norme dans l'extraction de charbon le 31 août 1935. Il fit ensuite des études et entra au ministère de l'industrie houillère avant de devenir député au Soviet suprême. Une reconnaissance en somme. A l'inverse, la contribution de Jean-Louis Murat au rock français n'a pas vraiment reçu la gratitude qui aurait pu lui être due. Lui qui édite au moins un album par an depuis Vénus en 1993 s'est fait lâcher par ses maisons de disques à plusieurs reprises malgré un certain succès public pendant quelques temps mais qui aujourd'hui semble s'être estompé au point que Murat envisage de ne plus faire de disque en son nom (en même temps, sortir en double album vinyle en 2003 ça tient de la pathologie sérieuse). C'est triste pour certains mais le reste du monde s'en fiche.

Pourquoi s'intéresser au Moujik Et Sa Femme (2002) au milieu de la production pléthorique de Murat dans les années 2000 (11 albums, on en connaît peu capables de s'aligner là-dessus) ? Parce qu'il s'agit peut-être de son seul album de la décennie qui peut avoir sa place dans un webzine rock. On a beau aimer le bonhomme, son humeur de chien (comme un Lou Reed français), son côté grincheux vaguement réac et romantique, il n'empêche qu'on s'ennuie un peu chez lui depuis quelques temps. Non pas que les disques soient mauvais : A Bird On a Poire aborde la vignette pop légère de bien belle manière, Mockba reste intéressant malgré sa longueur et Tristan est un fidèle reflet de l'amour de Murat pour une langue française surannée. Mais tout cela semble quand même plutôt dénué de guitares mordantes, d'envolées et de fun, des choses que Mustango en 1999 avait parfaitement synthétisées. L'âge expliquant peut-être cela (Murat est né en 1952), toujours est-il que l'artiste semble souvent céder à ses penchants neurasthéniques ces dernières années.

Le Moujik Et Sa Femme fait au contraire place à diverses embardées sans se laisser envahir par les balades chiantes comme la pluie qui sont un peu devenues la spécialité de Murat depuis quelques années. "Baby Carni Bird" débute comme un folk défoncé envoyant quelques vers d'anthologie ("Eh frère regarde c'te nouvelle, c'est-y pas un truc énorme ? Si tu veux bien vivr' dans une poubelle y t'refont une bite en or") quand soudain une guitare ultra saturée hurle des stridences jouissives, lançant le morceau sur des rails répétitifs et hypnotiques, sans réel refrain, laissant place à ses délires instrumentaux et textuels. Le texte en question est à peu près incompréhensible, comme tous ceux de l'album. Certains y ont vu des allusions à la télé-réalité ou aux attentats du 11 septembre 2001, pourquoi pas. En fait on s'en fout, le véritable apport de Murat se trouve plutôt dans l'adaptation de la langue française à la pop, une gageure de toujours pour les auteurs et interprètes (problèmes de rythmique, d'accents toniques). Serge Gainsbourg avait résolu cela en découpant sans régularité les phrases et les syllabes. Murat adopte une autre démarche et adapte son chant plutôt que ses vers. Il joue sur le rythme et la sonorité des phrases en modulant et déformant les mots, rejoignant en cela une forme d'écriture très américaine. Sa diction se fait musicale, privilégiant le son au sens. En résulte que l'auditeur n'est jamais pris à parti, forcé d'écouter un texte dont il se contrefiche peut-être. Certains déploreront un chant tendant vers le marmonnement, toujours est-il que Murat évite d'alourdir ses mélodies avec un débit mitraillette collant mal avec la langue employée qui navigue entre l'argot ("J'ai dit quoi un mec qu'à perdu ses cheumes qu'a la berline toute inondée") et la retenue chaste ("Tu me veux dans la démesure, que je gicle une eau noire, que je crève dans l'armure par la haine des dieux").

C'est de cette manière qu'il parvient à faire tenir "Hombre", pièce de psychédélisme glandeur avec arrivée progressive de claviers et de cuivres et rappelant "Fearless" de Pink Floyd. Les nombreuses incursions de cuivres viennent d'ailleurs parfois relever des morceaux qui s'égarent ("Molly"). On entend sur ce disque de vraies guitares, pas trois accords acoustiques tournant en boucle durant 40 minutes ("L'Au-delà", "Ceux de Mycènes") et on y trouve de vraies lignes de basse ("Foule Romaine"), fait assez rare en France pour être signalé. Un des sommets de l'album est sans doute "Le Tremplin" final: la batterie est tribale, la guitare funky sans en faire trop et les chœurs souhaitent la bienvenue ("Johnny, welcome home") mais ont quelque chose d'inquiétant sans qu'on sache réellement pourquoi.

Cet album représente une certaine idée du rock joué par un Français. Pas d'humour cynique (Jacques Dutronc), de tentative d'hybridation Doors/Jacques Brel (Noir Désir) ou de power pop anglophone (Dogs), plutôt une vision d'esthète vaguement dépravé et surtout mélancolique, une humeur qui manque un peu ces derniers temps.

Commentaires
jazzaj, le 16/08/2022 à 17:24
Et bien 11 ans après sa publication, voici que je lis une critique tout à fait juste sur un fort bel album dont je ne me lasse pas depuis sa sortie et qui mérite en effet de figurer au panthéon du rock français