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Critique d'album

The Velvet Underground


White Light/White Heat (45th Anniversary Super Deluxe Edition)


(13/12/2013 - Polydor - Rock décadent et visionnaire - Genre : Rock)
Produit par

1- White Light/White Heat / 2- The Gift / 3- Lady Godiva's Operation / 4- Here She Comes Now / 5- I Heard Her Call My Name / 6- Sister Ray / 7- I Heard Her Call My Name (Alternate Take) / 8- Guess I'm Falling In Love (Instrumental Version) / 9- Temptation Inside Your Heart / 10- Stephanie Says / 11- Hey Mr. Rain (Version 1) / 12- Hey Mr. Rain (Version 2) / 13- Beginning To See The Light (Early Version) / 1- White Light/White Heat (Mono Version) / 2- The Gift (Mono Version) / 3- Lady Godiva's Operation (Mono Version) / 4- Here She Comes Now (Mono Version) / 5- I Heard Her Call My Name (Mono Version) / 6- Sister Ray (Mono Version) / 7- White Light/White Heat (Mono Single Mix) / 8- Here She Comes Now (Mono Single Mix) / 9- The Gift (Vocal Version) / 10- The Gift (Instrumental) / 1- Booker T. (Live in NYC / 1967) / 2- I'm Not A Young Man Anymore (Live in NYC / 1967) / 3- Guess I'm Falling In Love (Live in NYC / 1967) / 4- I'm Waiting For My Man (Live in NYC / 1967) / 5- Run Run Run (Live in NYC / 1967) / 6- Sister Ray (Live in NYC / 1967) / 7- The Gift (Live in NYC / 1967)
Note de 4/5
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Note de 4.5/5 pour cet album
"Pourquoi White Light/White Heat a-t-il encore aujourd'hui un tel statut ?"
Pierre D, le 06/01/2014
( mots)

On l'aura compris car on nous l'a assez rabâché : Lou Reed est mort le 27 octobre 2013. S'en est suivi un concert de louanges tout à fait de circonstances et loin de nous l'idée de dire du mal d'un mort ou de l'émotion qu'un tel événement peut susciter. Sur son œuvre par contre, on se permettra d'émettre quelques réserves. Au détour d'une discographie dithyrambique rédigée par Jérôme Soligny dans Rock & Folk on apprend que Lou Reed n'a fait que des bons disques ! Ce n'est pourtant pas jouer les pisse-froids que de rappeler que sur les 25 albums studio sortis en près de 45 ans de carrière (sans compter les live et diverses collaborations) on en gardera une dizaine à tout casser. Un peu comme avec Bob Dylan finalement, qui a produit l'essentiel de son œuvre (celle qui compte en tous cas) durant les 7 années qui séparent The Freewheelin' Bob Dylan (1963) et Nashville Skyline (1969). Pourtant, là où il est de bon ton de railler Dylan, ses errances et ses plaintives protest-songs, l'article paru dans Rock & Folk montre que Lou Reed est aujourd'hui encore vénéré par des générations de critiques et de musiciens et peu de voix s'élèvent pour souligner les multiples médiocrités qui ont jalonné son long parcours musical. Pourquoi cela ?

L'armure en kevlar qui protège la crédibilité de Lou Reed a un nom : The Velvet Underground. On ne reviendra pas sur la place inédite que le groupe occupe au panthéon du rock indépendant (cf. cet article publié sur Inside Rock) et l'on s'attardera plutôt sur le cas du 2e album du Velvet aujourd'hui réédité, White Light/White Heat. L'inaugural The Velvet Underground & Nico tirait sa force et son caractère singulier du fait qu'il ne réalisait jamais son potentiel et demeurait le cul entre deux chaises, incapable d'être réellement expérimental ou totalement rock 'n' roll. White Light/White Heat fait fi de ces hésitations et fonce tête baissée dans le bruitisme et l'agression sonore. Mais est-ce bien le cas ? Car le problème avec le Velvet Underground c'est qu'il a tant gagné d'adeptes depuis sa disparition qu'il est devenu compliqué de trouver un discours raisonné et surtout nouveau sur son œuvre. Pour rappel, voici la doxa concernant White Light/White Heat : il s'agit d'un album "noir et terrifiant" enregistré en 3 jours avec les amplis à fond ; "libéré de toute contrainte artistique" ; un disque "dangereux", "toxique", "vénéneux" qui "repousse les limites du rock".

Nous voilà bien avancés. D'abord les limites du rock en question ont beaucoup bougé depuis 1968 et il est étonnant de trouver cette expression accolée à un disque plus de 40 ans après sa sortie. En outre les conditions d'enregistrement d'un album n'ajoutent rien à sa valeur artistique. Au mieux elles constituent une somme d'anecdotes amusantes, au pire elles font perdre de vue ce qui fait la qualité de l'album en question (au hasard, la musique qu'il contient). Enfin un disque n'est jamais "dangereux" ou "subversif". Le terrorisme international est dangereux, la conduite en état d'ivresse aussi, et il y a peu de chances pour que les gens responsables de tels maux écoutent White Light/White Heat tous les jours, et quand bien même ils le feraient, ça n'ajoute aucune valeur à leur comportement ou au disque du Velvet. Alors on arrête avec les fantasmes de puceaux.

Ceci posé, demeure la question : pourquoi White Light/White Heat a-t-il encore aujourd'hui un tel statut ? Des œuvres plus radicales ont vu le jour depuis sa sortie, tant sur le plan sonore qu'au niveau des thèmes abordés dans des paroles de chanson rock. Difficile (et déprimant) de croire que la place de ce disque comme monument d'avant-gardisme rock n'est assurée que par la paresse intellectuelle des critiques et journalistes qui se contenteraient de colporter la même légende depuis 45 ans. On ose également espérer que les musiciens écoutent réellement les enregistrements du Velvet Underground avant de parler de l'influence du groupe sur leur musique. Dans ce cas, comment se fait-il que White Light/White Heat demeure un traumatisme toujours vivace pour un grand nombre de personnes qui l'écoutent de nos jours ?

Le son est effectivement crade et on veut bien croire que Lou Reed, John Cale, Sterling Morrison et Moe Tucker ont enregistré ce disque en abîmant leurs amplis après avoir poussé le volume à fond. Mais encore une fois, les conditions d'enregistrement n'entrent pas en ligne de compte pour définir la valeur artistique. Plus étonnant par contre est le fait que l'enregistrement en question est tout à fait audible. White Light/White Heat est souvent décrit comme une fuite en avant vers la radicalité sonore, pourtant chaque chanson est tout à fait distincte des autres et l'ensemble dénote une maîtrise évidente plutôt qu'un affranchissement des contraintes artistiques. À l'inverse, The Velvet Underground & Nico, supposé faire le grand écart entre rock 'n' roll et musique concrète, s'achève sur un "European Son" proprement imbitable voyant le groupe verser dans l'auto-indulgence la plus crasse sous couvert d'expérimentation. On admettra donc que White Light/White Heat constitue un tout cohérent qui actualise le potentiel aperçu sur The Velvet Underground & Nico pour tenter de créer une musique rock d'avant-garde.

Voilà pour l'adéquation entre l'intention et le résultat en 1968. Qu'en est-il aujourd'hui ? À première vue pas grand-chose de très impressionnant. En lieu et place d'une musique "originale" et "abrasive" on découvre avec étonnement la platitude sonore des chansons. De l'absence de groove de "White Light/White Heat" aux distorsions rachitiques de "Lady Godiva's Operation", ça demeure plutôt mou du slip. On voit bien sur "I Heard Her Call My Name" ce qui a pu séduire et fonder l'esthétique Shoegazing de The Jesus And Mary Chain : une chanson à la structure tout à fait classique que des larsens éreintants percent de part en part. OK pour la nouveauté il y a 40 ans mais force est de constater qu'on a fait plus intéressant depuis.

Cela constitue peut-être un élément de réponse à l'interrogation initiale : la question de l'antériorité étant primordiale dans la mythologie rock où s'inscrit entièrement l’œuvre du Velvet Underground, le titre de précurseur est d'une importance capitale. The Velvet Underground était effectivement le premier groupe à pratiquer cette musique entièrement grésillante et saturée faisant explicitement appel aux préceptes des musiques d'avant-garde (John Cage, LaMonte Young). Le traumatisme causé par l’œuvre de Reed et consorts ne peut donc être appréhendé qu'en prenant en compte le fait qu'ils étaient les premiers. Ainsi, génération après génération, les journalistes et musiciens se trouvent ébahis devant ce monolithe originel dont les limites artistiques s'estompent devant son caractère liminaire. Il en va de White Light/White Heat comme il en va des peintures de Paolo Uccello à la Renaissance : on peut louer la prouesse technique et les avancées artistiques effectuées par le peintre (notamment concernant la perspective) tout en notant les imperfections qui seront corrigées par les générations suivantes.

De certaines limites de White Light/White Heat une partie des groupes des années 80 feront d'ailleurs une école, celle du lo-fi. Les enregistrements volontairement sales et tremblotants de ce courant trouvent une part de leur origine dans le mixage déstabilisant de "White Light/White Heat" ou "Here She Comes Now". Le disque tient dans un équilibre précaire entre l'encéphalogramme plat des rythmes de Moe Tucker la batteuse sous Lexomil et la tension induite par le crépitement électrique permanent des trois autres. À côté des perfections sonores de l'époque (Pet Sounds, Sgt. Pepper's Lonely Hearts Club Band...), White Light/White Heat personnifie l'apathie enregistrée dans un garage. On peut trouver ça osé, touchant ou franchement misérable et ennuyeux. Dans tous les cas, le secret de la longévité de White Light/White Heat à la place qui est la sienne réside en partie dans le fait que d'une part il ouvre des possibilités inédites et d'autre part il présente des limites techniques évidentes (au moins de la part des musiciens), permettant une inspiration sans cesse renouvelée chez ses auditeurs.

Il faut dire que le ton blasé du contenu de l'album n'est pas aidé par les bêlements de chèvre arthritique poussés par Lou Reed. L'auto-proclamé Rock 'n' Roll Animal n'a pas encore dégoisé son parlé-chanté qui trouvera un aboutissement sur son album solo Transformer. En attendant il semble déjà fatigué et paraît se foutre royalement des histoires qu'il raconte. Et quelles histoires ! On touche ici à un point des plus épineux concernant le Velvet Underground et l'appréciation phénoménale de son œuvre : la drogue. Qu'il s'agisse des thèmes abordés par les chansons, du rôle que l'environnement intoxiqué de la Factory d'Andy Warhol a pu jouer dans la carrière du groupe ou de la mythologie construite par ses admirateurs, la consommation de drogues dures est difficilement dissociable de tout récit touchant au Velvet Underground. Il faut pourtant bien opérer une distinction pour examiner raisonnablement le disque.

En effet, la valeur du Velvet Underground n'a rien à voir avec l'usage que ses membres ont pu faire de différentes substances. Il suffit d'écouter les démos de Lou Reed et Moe Tucker pour se rendre à l'évidence : les chansons du Velvet Underground ne sont devenues ce qu'elles sont qu'à force de travail et d'acharnement. Point de magie du smack ou de flash créatif d'héroïnomane. Dès lors, on se cogne totalement de savoir que "Sister Ray" était le nom que Lou Reed donnait à sa seringue. Il conviendrait peut-être plutôt de remarquer à quel point l'orgue de John Cale assume à lui seul la charge mélodique du titre au sein d'un canevas d'accords somme toute très convenu, d'autant qu'une partie de "Sister Ray" ne comprend en tout et pour tout qu'un seul accord. Sur le plan des mélodies on est loin du caractère totalement surprenant des titres des Kinks ou de David Bowie. Les gens du Velvet sont des classicistes marqués par le rock 'n' roll de Chuck Berry et le doo-wop, et qui donnent dans un titre comme "The Gift" leur version décharnée et grattée à l'os du blues cher à Lou Reed. Les albums qui suivront le départ de John Cale le prouvent, avec lui s'en sont allées les velléités expérimentales du groupe.

De classicisme il est encore question dans les textes de Lou Reed. Face aux explorations de Bob Dylan, Reed se cramponne vaille que vaille à des modèles comme le maître du roman policier Raymond Chandler. Sa science est dans le détail, c'est pourquoi "Sister Ray", qui se veut l'équivalent rock du free jazz d'Ornette Coleman, n'est pas ce que le New-yorkais a produit de plus intéressant sur White Light/White Heat. On concédera au titre l'hypnotisme que suscitent son rythme et sa psalmodie mais quel rythme n'est pas hypnotique lorsqu'il est joué presque sans variation pendant 17 minutes et 27 secondes ? Il y a sans doute plus à trouver dans la cruauté de "The Gift", une nouvelle de Lou Reed récitées d'une voix blanche par John Cale où l'humour noir et la précision maniaque de l'auteur font des merveilles. On trouve donc dans les textes du Velvet Underground la même qualité que dans ceux des Kinks, à savoir l'étude froide, détaillée et minutieuse de personnages, caractères et situations. Cela dit, à la différence de Lou Reed, Ray Davies se refuse à juger ses personnages.

L'intérêt de White Light/White Heat ne réside donc assurément pas dans la vie des membres du Velvet Underground ni dans son avant-gardisme en soi et encore moins dans ce qu'il aurait de "dangereux". Quelques éléments de réponse ont été donnés plus haut et il en existe sans doute bien d'autres. À notre connaissance, nul n'a jamais changé ses pratiques sexuelles après avoir écouté les comptines sadomasochistes de "Venus In Furs" ou l'opération transsexuelle ratée de "Lady Godiva's Operation".

Quant à la réédition du disque à proprement parler, elle est un rêve de fan. Outre l'album remasterisé en version mono et stéréo, la 45th Anniversary Deluxe Edition comprend des titres plus ou moins inédits éparpillés sur diverses compilations et éditions ici regroupés. On trouve des versions alternatives de "White Light/White Heat", "Here She Comes Now" ou "I Heard Her Call My Name" mais surtout des versions instrumentale et vocale de "The Gift" permettant d'écouter séparément le récit conté par John Cale et la composition stridente du groupe (peut-être la version la plus intéressante). Il faut ajouter à cela des titres qui seront enregistrés sur les disques ultérieurs du Velvet : "Temptation Inside Your Heart", "Stephanie Says", "Beginning To See The Light". Ces choses n'intéresseront sans doute que les fans les plus obsessionnels mais c'est bien à eux que s'adresse cette édition extrêmement riche. Le Live at the Gymnasium de New York datant du 30 avril 1967 bénéficie d'une qualité sonore assez remarquable, tant au regard de la prise de son généralement médiocre de ce genre de live inédit (cf. la pléthorique discographie live pirate d'Iggy Pop) que par rapport à un groupe qui a enregistré son 2e album studio aussi fort que possible. C'est une nouvelle fois l'occasion de mesurer à quel point la musique du Velvet est ancrée dans un classicisme rock 'n' roll uniquement (mais tellement?) bousculé par les interventions de John Cale et les textes de Lou Reed. Du blues ("Booker T."), du presque boogie ("Guess I'm Falling In Love") et la cruelle absence de l'orgue magique de Cale sur "Sister Ray", voilà finalement ce qu'on entend sur ce live à l'intérêt historique indéniable.

Des structures rock 'n' roll basiques perturbées par les impulsions expérimentales de John Cale, des textes peaufinés par Lou Reed, voilà peut-être ce qu'est le Velvet Underground. Quant à savoir ce qui séduit chez ce groupe depuis plus de 40 ans, on espère qu'il ne s'agit pas que de petits frissons de l'interdit perpétués par des journalistes paresseux. Il y a des choses tout à fait remarquables sur White Light/White Heat mais y a-t-il de quoi expliquer ce traumatisme sans cesse renouvelé ?

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