The Strokes
The New Abnormal
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1- The Adults Are Talking / 2- Selfless / 3- Brooklyn Bridge to Chorus / 4- Bad Decisions / 5- Eternal Summer / 6- At The Door / 7- Why Are Sunday's So Depressing / 8- Not the Same Anymore / 9- Ode to the Mets / 10- Digital Booklet: The New Abnormal
Entre absence et réapparition. Ces allers et retours font partie de l’histoire de The Strokes depuis la dernière décennie. Chacun des membres vogue sur son projet parallèle et le groupe se retrouve le temps d’un enregistrement, et de quelques concerts quand Julian Casablancas en a l’envie. On est loin des productions à une allure de stakhanovistes, il n’empêche que la presse se stupéfait toujours autant que le groupe ne soit pas dissout. Mais entre la quête de gros sous et le besoin (non-blâmable) qu’à Casablancas de réapparaitre sur le devant de la scène, la nouvelle décennie ne sera pas celle de la fin. The New Abnormal ne sera certainement, ni le point qui clôt l’histoire, ni la romance qui marquerait la fin avec regrets et nostalgie.
Nostalgie… Ce nom qui résonne avec insistance à l’évocation des Strokes. Il est d’ailleurs intéressant de constater que les derniers concerts du groupe ne soient bâtis qu’autour des trois premiers albums, comme si Angles et Comedown Machine étaient tombés dans les limbes des productions de Julian Casablancas. Au fond, est ce que vous leur en voulez de faire abstraction des titres de ces deux derniers, quand vous pouvez vous délecter, en concert, des hits de First Impressions Of Earth, d’une petite moitié d’Is This It, le tout parsemé des pépites de Room On Fire ? Attention, les deux dernières productions des Strokes ne sont pas à mettre aux oubliettes, elles comprennent de superbes morceaux, que ce soit -par exemple- “Undercover of Darkness” pour l’un et “Slow Animals” pour l’autre. Mais la vraie magie du quintet se situe bien dans son passé, dans l’énergie nonchalante des mélodies de son chanteur à la juste concordance entre mélancolie et force, sublimée par deux guitares se répondant à l’intérieur d’un discours léché, bien soutenu par la rondeur gracieuse de la section rythmique.
Alors, ne boudons pas notre plaisir quand on peut se repaître à nouveau de ce charme à travers ce nouvel album.
Car oui, en l’espace de deux titres, le temps de neuf minutes, les Strokes ont ravivé l’enchantement : deux morceaux aux échos d’un glorieux passé, mais produits avec la force du présent, avec toute la maestria de Julian Casablancas et de l’alchimie des cinq artistes. Ces ingrédients mêmes qui ont valu au groupe des éloges tant méritées. L’album démarre et l'envoûtement réapparaît. “The Adults Are Talking” a cette saveur qu’on n’avait plus goûtée depuis trop longtemps chez les New-Yorkais. On y retrouve ce jeu si caractéristique de question réponse entre l’Epiphone Rivieira orange de Nick Valensi et la Stratocaster blanche de Albert Hammond Jr : la combinaison indispensable à la genèse de l’expression stroskienne, comme l’aube a besoin du crépuscule pour construire une journée. Derrière, la basse de Nikolai Fraiture et la batterie de Fabrizio Moretti apportent le clair et l’obscur, donnant vie à l’ensemble qui n’attend plus qu’être caressé par la virtuosité de Casablancas. Ce dernier déverse toute sa mélancolie noyée dans le verre de la désinvolture, s’accordant scrupuleusement sur la mélodie et la tonalité de la guitare à l’intérieur du refrain, ponctuant sa performance d’une magnifique poussée vocale dans les aigus, tout à fait à propos ici. Second instant de magnétisme avec “Ode To The Mets”, dans un registre qui sied parfaitement au quintet qui nous avait présenté cette facette si pertinente il y a neuf ans avec “Life Is Simple In The Moonlight”. La piste de clôture de The New Abnormal, est un instant savoureux de morosité dans lequel on voyage, guidé par la puissance vocale du leader des Strokes sur fond de nappes de synthé. Notre pérégrination s’achève dans un outro majestueux, où le silence se transforme en un rugissement assourdissant, douloureux et honteux (“So pardon the silence that you’re hearningls, turnin’ into a deafening, painful, shameful roarI”). Le titre contient ce qui allait devenir un « mème » après que le groupe ait joué pour la première fois le titre avec ce “drums please Fab’” demandé par Casablancas et conservé donc dans la version studio. Une forme de sincérité qui fonctionne bien mieux que les éclats de rire captés et conservés lors de l’enregistrement du précédent album.
Voilà, pour les instants de grâce ce sera tout. Pour le reste, The New Abnormal ne diffère pas de ses deux prédécesseurs : il est marqué du sceau et des exubérances de Julian Casablancas. Il y a bien “Bad Decisions” convenant à un registre qu’on attend plus chez les Strokes mais plombé par un classicisme trop flagrant, et d’une incontestable absence d’originalité. Après un très beau départ, “Selfless” est dénaturé par les fléaux de Casa : le falsetto, et l’abondance du synthétiseur façon eighties. Ce dernier se taille la part du lion dans le premier single “At The Door”, évitant de justesse l’assommage en bonne et due forme grâce à un refrain plutôt bien fichu. L’instrument qui ne quitte plus le leader des Strokes depuis son escapade solo en 2009 vient polluer “Brooklyn Bridge To Chorus” qui, comme par hasard, devient vraiment intéressant quand cette tache grasse décide de s’effacer.
Les calamités de Julian Casablancas atteignent leur point de non-retour sur “Eternal Summer” et “Why Are Sunday’s So Depressing”. Ces deux-là se tirent la bourre pour savoir lequel aura la palme de l’ode à l’inutilité, au disgracieux et au mauvais gout. Ce registre qui, malheureusement, accompagne inévitablement les albums des Strokes depuis que leur leader à fait de son groupe le fief de son règne sans partage.
En fin de compte “Le Nouvel Inhabituel” de The Strokes, c’est ça : des merveilles comme seul le quintet est capable de nous en fournir, où l’on jouit de ces douceurs faites de désinvolture et de mélancolie. Mais pas question de trop en donner. Ces instants exquis, il convient de les apprécier dans leur rareté. Ce n’est pas faute d’avoir été prévenu, cette réalité était énoncée clairement dès le premier morceau : “don ‘t go there cause you’ll never return” (“ne va pas là car tu n’en reviendras pas”). Car Julian Casablancas a d’autres choses à dire, des pulsions créatrices à partager et tant pis si elles dérangent car de gré ou de force, il nous les fera avaler.
On se retrouvera quand le leader des Strokes l’aura décidé, et il y a fort à parier que la ritournelle sera la même : entre contemplation et désolation.