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Critique d'album

The Residents


The Third Reich 'n Roll


(00/02/1976 - - Expérimental - Genre : Autres)
Produit par

1- Swastikas On Parade / 2- Hitler was a Vegetarian / 3- Satisfaction / 4- Loser ? Weed / 5- Beyond The Valley Of A Day In The Life / 6- Flying
Note de 3/5
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Note de 5.0/5 pour cet album
"Iconoclaste : personne qui détruit les images saintes et, par extension, les œuvres d’art - Dictionnaire"
Daniel, le 30/03/2023
( mots)

Mise en garde

Il vaut mieux être vraiment certain.e de son équilibre mental avant d’entamer l’écoute de The Third Reich ‘n Roll. L’œuvre est tellement "différente" qu’il est impossible de lui attribuer une note censée. Il ne peut y avoir de nuances devant l’art extrême. Le premier réflexe (logique) serait de lui coller un zéro pointé (ce qui est le but recherché par le collectif). A défaut, il reste la cote maximale pour saluer l’œuvre majeure d’un quatuor qui avait définitivement tout compris de la musique rock.

Probablement l’album que j’emporterais sur la fameuse "île déserte".

Attitude rock pré-historique

En 1910 à Montmartre, le merveilleux Roland Dorgelès pose le premier acte rock arty de l’Histoire. Il emprunte l’âne d’un tenancier de cabaret, lui attache un pinceau à la queue et lui présente des carottes. A chaque friandise, l’âne agite la queue et barbouille une toile blanche de peintures multicolores. L’œuvre, intitulée Et le soleil s’endormit sur l’Adriatique, est attribuée au peintre italien Joachim-Raphaël Boronali (1).

Présentée au Salon des Indépendants, la toile reçoit un accueil critique contrasté. De nombreux journalistes y voient la pierre angulaire d’un mouvement audacieux qui sera baptisé du nom d’Excessivisme. Avant que le canular ne soit dévoilé (constat d’huissier à l’appui). La toile, renommée Coucher de soleil sur l’Adriatique, sera vendue à un collectionneur au prix faramineux de 400 francs-or.

Retour aux affaires

Soixante ans après Dorgelès, The Residents (2) s’autoproclament "collectif rock arty". Ils échouent à San Francisco après un périple qui mériterait une chronique à lui seul, et enregistrent, en 1974, un premier album, Meet the Residents. La pochette, absolument iconique, est un pastiche barré de celle de Meet The Beatles de qui vous savez.

Totalement anonyme, le quatuor se trouve alors un slogan définitif : "Pourquoi nous détestons les Beatles". Il documente ensuite une théorie complotiste selon laquelle le rock aurait été tripatouillé durant les sixties pour favoriser le lavage généralisé des cerveaux de la jeunesse américaine. Au profit de la société de consommation capitalistique. Selon les tables anarchistes des Residents, cette innommable propaganda était orchestrée par les médias mainstream, devenus les gardiens d’un horrible camp de concentration au sein duquel les firmes de disques lobotomisaient les teenagers à grande échelle.

Le propos n’est pas aussi insensé qu’il y paraît dans la mesure où il est évident que la musique la plus populaire avait été "récupérée" par l’industrie pour être aseptisée (on pourrait écrire "javellisée") et que le bubblegum rock n’avait plus grand-chose à voir avec le rock’n’roll révolté et déviant des origines (3).

Dans leur délire, les musiciens se choisissent une tête de Turc, en la personne du présentateur Dick Wagstaff Clark (4) dont le show télévisé, American Bandstand, était diffusé à l’échelon national par la chaîne ABC. Du haut de son piédestal, Dick Clark est indéboulonnable. Il a survécu à tout, même au scandale "Payola" (5).

Par conséquent, The Residents entendent placer la barre très haut. Leur deuxième album va tracer un parallèle politisé (forcément au centième degré) entre le show-business rock et le tristement célèbre régime nazi.

Créée par le studio Porno/Grafics, la pochette de The Third Reich ‘n Roll (6) marie le rouge et le noir pour mettre en scène notre Dick Clark, tout sourire, affublé d’un uniforme nazi et armé d’une carotte (dont la présence n’est pas innocente). L’arrière-plan présente des figurants, tous déguisés en jeunes Adolf, mimant les danseurs qui formaient l’habituel décor humain d’American Bandstand. Pour compléter le tableau, il y a évidemment des swastikas dans tous les coins.

Les deux seuls titres, "Swastikas On Parade" et "Hitler Was A Vegetarian" (7), occupent chacune des faces du 33 tours.

The Residents parviennent à compiler pas moins de 29 reprises sur ce malheureux vinyle. Le point commun entre les 29 chansons est que toutes les versions originales ont fait les beaux jours des charts américains. Dans un mashup foutraque (parfois "chanté" en allemand), la play-list fait se caramboler The Beach Boys, America, Lulu, The Box Tops, James Brown, The Doors, Them, Ohio Express, ? And The Mysterians, …, sans parler des Beatles et des Rolling Stones.

Les titres sont réinterprétés par le collectif (et quelques amis), non pas comme les entendent généralement les auditeurs lobotomisés mais comme ils sonnent réellement dans leur absolue et hideuse réalité. Sans filtre. Sans gimmick. Sans guimauve. Sans le sourire de Dick Clark.

Parasitée par des bruitages agressifs ou obscènes, la musique rock commerciale est distordue, massacrée, désossée, privée de mélodie, ralentie, accélérée et réduite à une caricature indigente et repoussante.

Bienvenue de l’autre côté du miroir…

Il faut avoir l’esprit ouvert (et – forcément – non encore lobotomisé) pour écouter l’album d’une traite. Les premières tentatives sont extrêmement éreintantes (8). Puis, vient le moment (9) où l’esprit parvient à décrypter le message. Et là, tout devient ravissement jusqu’au point d’orgue de l’opus, le grand final de "Hitler Was A Vegetarian", qui mixe brillamment "Hey Jude" (10) des Beatles et "Sympathy For The Devil" des Rolling Stones (11). A ce stade, tout ce qui devait être dit est dit.

Devant tant de beauté, il ne reste au Soleil de Boronali qu’à aller se coucher une fois encore. Cette fois, ce ne sera plus sur l’Adriatique mais sur l’Océan Pacifique. Quand la brume déserte les hauteurs de San Francisco, le crépuscule est un spectacle à ce point beau qu’on pourrait le croire peint par la queue d’un âne…

(1) Le nom Boronali est construit au départ des syllabes d’Aliboron, un sobriquet que, par dérision, l’on donnait volontiers aux ânes depuis l’invention par Buridan de son fameux paradoxe.  

(2) Comme les quatre gugusses "ne s’appelaient pas", le rare courrier qui leur parvenait était souvent rédigé "à l’attention des résidents de cet immeuble".

(3) Un exemple marquant de javellisation est le rachat du catalogue Sun par la firme RCA qui a conduit à la castration immédiate d’Elvis The Pelvis.

(4) Dick Wagstaff Clark est le modèle américain sur lequel ont été créés en France des créatures humanoïdes médiatiques comme Jacques Martin ou Michel Drucker.

(5) Les firmes de disques payaient richement le présentateur pour qu’il diffuse les disques de leurs poulains. Le système était habile : Dick Clark était régulièrement crédité en qualité de d’auteur de chansons à succès et percevait des royalties sur des œuvres qu’il n’avait en réalité pas écrites. Ceci laisse à penser que les charts américains sont une absolue supercherie qui représente les seuls choix de l’industrie et non les coups de cœur du public.

(6) La pochette sera bien entendu censurée aux Etats-Unis et en Allemagne (où elle est toujours interdite). The Residents ont contourné la censure avec leur humour anarchiste : des stickers portant le terme "Censored" ont été collés sur tous les éléments du visuel qui pouvaient évoquer le nazisme. La pochette allemande (devenue "Kollektor") était entièrement couverte de stickers…

(7) L’énigme de la carotte qui surprend sur l’artwork est enfin élucidée.

(8) La face B est un peu plus abordable que son recto, raison pour laquelle je conseille aux aventuriers et aventurières soniques d’écouter l’album à l’envers.

(9) Dans le même ordre d’idées, il est difficile d’appréhender immédiatement certaines créations de John Zorn, Frank Zappa, Public Image Limited ou Captain Beefheart.

(10) Pour rester dans le parfait bon goût.

(11) The Residents réserveront un sort particulier aux Rolling Stones en sortant en single la version définitive de "Satisfaction" (avec, à la guitare, leur pote londonien Philip Lithman, alias Snakefinger). La version collector en vinyle doré reste mon 45 tours favori, talonné par la relecture du même titre par les rétro-darwiniens de Devo. 

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