The Helicopter of The Holy Ghost
Afters
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1- Slow Down / 2- Difficult Song / 3- Tony Got a Car / 4- A Little Longer / 5- Hangar Lane Gyratory System; 4.44am / 6- I Will Never Hurt / 7- End of Loneliness / 8- You Too / 9- I Didn't
Non, "l'hélicoptère du fantôme sacré" n'est pas le résultat truculent d'un cadavre exquis mais bien le nom de l'un des derniers venus sur le label Kscope, fer de lance des musiques post-progressives. Un choix d'écurie assez surprenant d'ailleurs, car l'album en question partage finalement peu de traits communs avec ce type de musique, si ce n'est une vague accointance avec l'école de Canterbury et ses émoluments jazz-rock.
Il faut dire que The Helicopter of the Holy Ghost est un groupe un peu particulier, un oiseau rare, qui cache derrière son envol une histoire un peu singulière. Tel un Phoenix renaissant de ses cendres, Afters symbolise la résurrection musicale de Billy Reeves, fondateur du groupe Theaudience au milieu des années 90, qui avait notamment lancé la carrière de la chanteuse Sophie Ellis-Bextor. Après leur dissolution, Billy Reeves avait signé un accord avec Sony en 2000 pour le lancement d'un nouveau groupe baptisé Yours, mais avait été victime d'un terrible accident de voiture le plongeant dans un coma de deux semaines. Hospitalisé pendant plus d'un an, le Britannique avait été frappé d'amnésie et une grande partie de son passé était devenue floue, à commencer par sa vie de musicien. Il s'était alors reconverti en journaliste et radiodiffuseur jusqu'en 2017, date à laquelle son frère lui rapporte deux mini-disques de démos oubliés et récupérés dans l'épave de la voiture des années auparavant.
Des esquisses de morceaux qui n'évoquent pas le moindre souvenir à Billy Reeves, comme si elles avaient été écrites par une autre personne, et dont il entreprend la restauration avec une ribambelle de collaborateurs prestigieux dont Simon Raymonde de Cocteau Twins, Dale Davis du groupe d’Amy Winehouse, Andy Lewis du groupe de Paul Weller, Smiley de Joe Strummer Mescalaros et Thomas Anderson de Gazpacho. Mais au centre du projet, on retrouve surtout la voix chaude de Mark Morriss, chanteur de Bluenotes, le toucher soyeux de Crayola Lectern au piano et la guitare discrète de Mark Peters du groupe Engineers.
Que vaut alors le retour à la vie de ces souvenirs un temps abandonnés ?
Le superbe morceau d’ouverture "Slow Down" pose d'abord le tempo mélancolique de l'album. Des accords de piano à la tonalité dramatique subliment la voix chaude et enveloppante du chanteur de Bluenotes et accompagnent des arrangement d'une grande subtilité : délicats arpèges de guitare en écho, nappe d'orgue cathédrale et cordes gracieuses. Un titre qui nous invite bel et bien à prendre le temps de savourer chaque note feutrée de cet album et d'apprécier la beauté morose de "A Little Longer" et "End of Loneliness" avant de se laisser emporter par le tourbillon sonore de "I Will Never Hurt" et sa section de cordes et de cuivres débridée. On notera au passage sur ce dernier morceau la reprise inspirée de l'opus 28 n°4 de Chopin en introduction (un air célèbre déjà repris à sa sauce par Serge Gainsbourg sur "Jane B").
Un album qui livre également des titres un peu plus expérimentaux où le traumatisme de l'accident apparaît en filigrane, d'abord avec "Tony Got A Car" et ses airs de Beatles période psychédélique, qui s'efface lentement vers un paysage sonore minimaliste constitué au loin d'une basse qui déambule et d'un piano qui dérive lentement vers le néant. Ensuite, sur l'instrumental mystérieux "Hangar Lane Gyratory System 4.44am" et ses sonorités discordantes mi-oniriques mi-inquiétantes qui pourraient s'apparenter à la bande son du coma de Billy Reeves.
La vraie force de ce saut dans le passé tient toutefois aux mélodies irrésistibles qui jalonnent le disque comme ce "Difficult Song" doux-amer et d'une simplicité désarmante, qui narre avec déchirement une histoire d'amour émaillée de regrets et parfaitement interprété avec toute la retenue nécessaire par Mark Morriss, entre pudeur et justesse. A l'heure où les chanteurs cherchent toujours plus à pousser leurs organes vers des vocalises improbables, le Britannique démontre qu'il n'a pas besoin d'en faire des caisses pour transmettre des émotions nappées d'une troublante sincérité. Et que dire de la chanson "You Too", au bas mot somptueuse et sublimée par un solo des plus réussis (Mark Peters se trouve bien plus convaincant à la 6 cordes sur ce titre que sur l'ensemble de la discographie de Engineers, soit dit en passant...). Peut-être le meilleur morceau de cet album, et c'est peu dire.
On refermera délicatement la porte d'Afters avec le conclusif et rêveur "I Didn't", sa belle orchestration de cordes délicates et son tempo qui s’accélère une dernière fois comme pour mettre de la distance avec les souvenirs que l'on entraperçoit encore dans le rétroviseur. Difficile de dire si ce premier album aura une suite tant il correspond au projet personnel d'un homme de se réapproprier une partie de son passé en lui revêtant des atours neufs. En tout état de cause, on souhaite ardemment qu'une ou deux cassettes de plus aient pu être sauvées de l'accident et qu'elles attendent patiemment leur heure pour être exposées aux oreilles des mélomanes du monde entier, précieusement conservées par le frère de Billy Reeves. Si ce dernier nous entend...
A écouter : "Difficult Song" / "I Will Never Hurt" / "You Too"