Slut
Nothing Will Go Wrong
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1- Falling Down / 2- I Can Wait / 3- Time Is Not A Remedy / 4- Easy To Love / 5- Reminder / 6- Universal / 7- Something To Die For / 8- Blow Up / 9- One More Day / 10- No Flowers, Please
Pour un fan de rock né au tout début des années 90, l’entrée dans le XXI siècle ressemble à un âge d’or. Epoque bénie de l’indie rock où les sorties qualitatives pullulent. Pendant cinq ans, chaque mois s’accompagne d’une nouvelle pépite et il est quasiment impossible, à l’époque, de ne pas trouver son bonheur dans, au moins, l’un des 30 titres diffusés chaque dimanche soir dans l’émission L’indé 30 du Mouv’.
Evidemment le principal pourvoyeur de ces émissaires sonores est l’Angleterre. Après avoir trouvé avec The Libertines le parfait barrage au tsunami américain de The Strokes, on ne compte plus le nombre d’affluents dérivés de ce courant : de Arctic Monkeys à The Pigeons Detectives en passant par The Subways ou encore Kill The Young.
Comme si ce déluge musical ne suffisait pas, le pays de sa majesté va apposer deux nouveaux joyaux sur sa couronne : Sleeping With Ghosts de Placebo et Absolution de Muse. Deux diamants, sortis respectivement en 2003 et 2004 et qui brilleront massivement sur toute l’Europe. Devant cette prolifération, l’Angleterre confirmera, musicalement, son identité nationale insulaire, n’ouvrant que très peu, voire pas du tout, ses oreilles aux similaires émulations venues de l’Europe Continentale même si, à l’époque, tous étaient membres de la même Union Européenne.
Pourtant deux ans avant les deux mastodontes cités précédemment, un groupe venu d’Ingolstadt en Allemagne sortait un album dont on jurerait qu’il a été conçu dans le même pot que ses deux successeurs.
Un disque que l’on doit à un groupe appelé Slut.
La formation apparait en 1994 et se présente en un quintet dans lequel on retrouve : le chanteur/guitariste Christian Neuburger accompagné de son frère Matthias Neuburger à la batterie, du guitariste Rainer Schaller, Gerd Rosenacker pour la basse et enfin Rene Arbeithuber au clavier. Après deux exercices de différentes factures d’une indéniable saveur pop, les Bavarois reviennent en 2002 avec un disque dont le nom n’aurait pu mieux qualifier son contenu : Nothing Will Go Wrong.
Mais alors cette fameuse recette quelle est-elle ? Le chanteur de Placebo, Brian Molko, la résumait, en 2006, à la suite d’un concert acoustique donnée pour la chaîne W9, comme suit :
“Musicalement et dans l’esprit nous avons ce romantisme sombre… Je pense que les gens sont naturellement attirés par les choses qui sont sombres, qui sont un peu interdites. Et puis quand ils ne les vivent pas dans leur vie, ils sont naturellement attirés vers la musique qui a cette atmosphère-là. Et nous aussi nous sommes attirés par ça.”
Ce « romantisme sombre », défini par le leader du trio britannique, on le retrouve dès l’ouverture de l’album de Slut avec “Falling Down” qui voit un chanteur brisé jusqu’aux os, se demander ce qu’il fait ici (“Why am I here around. No one around. Been shattered to the bone”). Pourtant les cinq bavarois sont totalement à leur place et pertinents dans ce rock brut où la formule guitare, basse, batterie fonctionne impeccablement. Pour preuve, le single “Easy To Love”, reprend tous les apparats qui ont fait les plus belles heures du rock indépendant : une batterie à la rythmique tenaillante, des accords de guitare balancés à toute allure, une ligne de basse faisant office de pont avant l’explosion d’un entêtant refrain : un titre qui reste à ce jour le morceau le plus populaire du groupe.
C’est dans cette veine qu’on arrive sur “One More Day”, qu’on jurerait sorti d’un des trois premiers albums de Placebo tant on y retrouve ce jeu de guitare à la croche d’une précision chirurgicale qui a fait les si belles heures de la bande de Brian Molko.
Les références et similitudes sonores sont nombreuses quand on déroule Nothing Will Go Wrong. Il est impossible de ne pas penser à Radiohead sur les premières notes de “I Can Wait”. Pourtant Slut nous rappelle que similitude ne rime pas forcément avec plagiat. Oui, il y a du Tom Yorke dans la voix Christian Neuburger et pourtant la caresse gracieuse de celle-ci pose la personnalité intrinsèque des Allemands sur chacune des compositions : tantôt perçante, tantôt émouvante, toujours prenante. Une palette des émotions délivrées vocalement qui atteint son apogée sur le titre “Time Is Not Remedy”, peut-être le meilleur titre de cet album s’il fallait n’en choisir qu’un seul. Slut est également capable en musique, sur “Reminder” , de proposer un nuancier émotif avec son passage piano-voix d’une beauté troublante, encadrant la rage d’un énorme riff où les guitares et la basse ne font qu’un dans une alliance entièrement dédiée à la puissance. Une science du riff heavy qui n’est pas sans rappeler celle de Muse, période Absolution, à l’écoute des titres “Time Is Not A Remedy” et surtout “Blow Up”. Un registre qui fera s’étonner la presse Allemande sur la capacité du groupe à faire « du bruit » (bien piètre choix de mots). S’il fallait définitivement s’en convaincre, les Bavarois pouvaient renvoyer le chaland écouter “Universal” et son énergie furieusement punk où la mélodie de chant devient un jeu de question-réponse schizophrénique entre Christian Neuburger et Rene Arbeithuber : “We’re hungry. Though we have to eat… We’re angry. Though we’re looking sweet” (“Nous avons faim. Bien qu’il nous faille manger… Nous sommes en colère. Bien que nous ayons l’air doux”).
Dans cet album les seuls regrets se trouvent dans les titres les plus calmes : “No Flowers, Please” et surtout “Something To Die For”. Ce dernier tombe très rapidement dans le pathos en manquant cruellement de chair. Il aurait mérité quelques arrangements de production faits de cordes comme Slut s’en habillait sur ses précédents efforts, mais les Allemands se le sont interdit pour cet album et grand bien leur en a pris en regard de la qualité d’ensemble de ce Nothing Will Go Wrong.
Cet album de Slut fait partie de ceux où, dès les premières notes, on comprend rapidement que l’on touche là à quelque chose d’exceptionnel. Nothing Will Go Wrong transperce rapidement la conscience de l’auditeur en déversant sa nature mélancolique portée par une voix chargée en émotions qui épouse impeccablement le registre du rock indépendant. Par sa couleur musicale, ce disque renvoie à une autre époque où la place du rock était toute autre que celle occupée en 2020. Une période dorée pour nous, inconditionnels de ce style, et qui rappelle à l’auteur de ces lignes pourquoi il a voulu écrire pour Albumrock.