Slowdive
Slowdive
Produit par Neil Halstead
1- Slomo / 2- Star Roving / 3- Don't Know Why / 4- Sugar for the Pill / 5- Everyone Knows / 6- No Longer Making Time / 7- Go Get It / 8- Falling Ashes
En tant que fan de Slowdive ou simplement d’amateur de shoegaze, on ne peut que se réjouir de l’accueil extrêmement positif accordé un peu partout à ce disque éponyme. Déjà parce qu’il est toujours agréable de voir que des artistes quasi légendaires peuvent encore trouver un nouvel élan plus de 20 ans après leur très modeste heure de gloire, mais surtout parce que les 5 anglais étaient à l’époque constamment roulés dans la boue par les critiques, et ce de façon particulièrement injuste. Plusieurs raisons à cela : d’abord l’essor du grunge puis de la britpop, qui firent tous deux passer les musiciens shoegaze pour des intellectuels pédants et prétentieux snobant la spontanéité à l’essence de ces deux mouvements, mais également le fameux Loveless de My Bloody Valentine, tellement abouti artistiquement qu’il dégoûta presque les journalistes de toute tentative musicale semblable pour le reste de la décennie. C’est dans ce contexte hostile qu’un auteur du Melody Maker ira même jusqu’à écrire en 1994 à propos de Souvlaki "Je préférerais m’étouffer dans un bol de porridge plutôt que de devoir écouter ce truc une deuxième fois" ce qui prête évidemment à sourire puisque l’album en question est maintenant quasi-unanimement désigné comme l’un des meilleurs disques de shoegaze de tous les temps (à très juste titre). Aujourd’hui, le genre ne souffre plus de ces comparaisons malveillantes, ce qui lui permet d’être enfin apprécié à sa juste valeur pour finalement s’attirer les faveurs d’un jeune public oisif en pop rêveuse sursaturée, avec en prime quelques prestigieuses apparitions cinématographiques (on pense notamment à la bande son du Lost In Translation de Sofia Coppola). Ainsi, Slowdive n’a jamais vu autant de monde à ses concerts que depuis leur reformation en 2014, eux qui jouaient dans des salles presque vides lors de leurs dernières tournées en 1996. Cet engouement les a donc finalement motivés à sérieusement se remettre au travail pour donner un successeur à l’excellent Pygmalion. Et le résultat dépasse clairement toutes nos espérances.
Mais quelles attentes pour un groupe à la discographie irréprochable comme Slowdive ? L’auteur de ces lignes n’était même pas né que le groupe n’existait déjà plus, et on connaît la difficulté de retrouver l’alchimie créatrice entre plusieurs individus après autant de temps (jurisprudence Pixies). Ceci dit, Rachel Goswell et Neil Halstead étaient restés proches artistiquement jusqu’en 2008 – date du dernier opus de leur agréable projet folk Mojave 3 – ce qui n’est pas anecdotique vu qu’il s’agit là des deux éléments moteurs de Slowdive, et ce depuis le premier EP éponyme. L’obstacle principal serait donc finalement plutôt d’ordre technique : de The Verve à Lush en passant par Ride, une grande partie des albums de shoegaze de l’époque ont très mal vieilli, se situant parfois même à la limite de l’écoutable. Il s’agit donc dans l’idéal de se réapproprier les outils de production d’aujourd’hui tout en restant fidèle à ce qui fait l’identité de ce style musical, soit une superposition de distorsion, de larsen et d’effets en tout genre au ciment d’un mur de guitare tourbillonnant, surplombé par des lignes vocales lumineuses mais étrangement impalpables. Plus facile à dire qu’à faire visiblement, lorsque l’on voit ce que donne Weather Diaries quand Andy Bell et Mark Gardener tentent de concilier ces deux aspects.
Mais c’est pourtant ce qu’accomplissent les irlandais avec brio ici. Phoniquement très loin des tentatives récentes de My Bloody Valentine avec M b V (trop froid et abrasif pour convaincre tous les fans de Loveless), ce disque éponyme réussi à faire le pont entre le Slowdive que tout le monde aime et ce qui se fait actuellement en matière de dream pop avec des groupes comme Beach House : les différents effets utilisés (en particulier la réverbération) y sont donc bien plus fins et maîtrisés qu’auparavant, tandis que les textures s’en retrouvent densifiées par de nombreux effets numériques pour un ensemble globalement très riche. A l’image de ce "Slomo" qui ouvre l’album sur une introduction sublime et très bien pensée, nous révélant petit à petit les différents ingrédients qui serviront de base au morceau, et plus largement à l’album : basse ronde, clavier dense et brumeux, batterie large au son pénétrant mais surtout guitares bleutées s’entremêlant dans cet écho immortel propre aux amoureux de delay et de réverbération. On est ainsi enveloppé de douceur et de mélancolie dès le commencement, signe que le groupe n’a rien perdu de son intensité. D’un point de vue vocal, l’évolution est flagrante mais positive. Sans doute transformée par sa carrière folk, la voix de Neil Halstead a évidemment perdu en nonchalance, mais se trouve finalement bien plus vibrante qu’auparavant et peut se permettre de concurrencer Goswell sur les notes les plus aiguës. Ces deux énergies s’assemblent d’ailleurs toujours aussi bien malgré le temps passé, et le champ des possibles s’en voit même agrandit comme le prouvent ces harmonies vocales de toute beauté qui témoignent de leur progression technique pendant cette longue pause.
"My love and I go, it’s a curious woe, like dreamers at night, awake but not yet". Le spleen adolescent de Slowdive est toujours de mise, prêt à réveiller nos préoccupations les plus naïves comme si l’on avait encore 16 ans – mais il se matérialise différemment, de façon moins bruyante qu’il n’a pu le faire. Halstead et Goswell ont toujours vu plus loin que le shoegaze comme horizon musical. Souvlaki peut être considéré comme un disque de dream pop au sens large tant le mur de guitare se trouve rarement au centre des compositions, tandis que Pygmalion partait complètement dans la direction opposée avec des structures bien plus proches du post-rock et de l’ambient. Ce disque éponyme conserve cette ouverture stylistique : on surprend ainsi quelques accents new wave dans le chant et les claviers de "Sugar For The Pill", et on repense aux longs morceaux hypnotiques de Pygmalion sur "Falling Ashes" qui conclut le disque sur une houle tranquille de sons mystérieux, caressée par quelques notes de piano dont la douce texture nous rappelle les plus belles productions de John Fox et de Harold Budd. Mais le shoegaze est encore bien là, et ce sont surtout ces atmosphères brumeuses caractéristiques du genre qui définissent les couleurs de l’album. "Star Roving" remplit très bien sa fonction de single principal, tant il réussit à nous renvoyer une image concise du Slowdive de 2017 tout en se montrant suffisamment percutant et accessible pour ouvrir les portes de l’album à n’importe qui, mais c’est surtout le diptyque formé par "Everybody Knows" et "Don’t Know Why" qui se démarque de l’ensemble. Sous un tempo un peu plus rapide, ces deux morceaux contiennent les plus beaux moments du disque avec ces sompteuses tempêtes de guitares tourmentées qui magnifient sans peine le léger souffle de Goswell, aussi fragile que pénétrant. Il ne manque qu'une petite touche d’originalité (voire de spontanéité) pour convaincre les plus sceptiques, mais la vivacité émotionnelle de ces composition suffit à faire oublier toutes les pires tentatives de comparaison avec les créations passées du groupe.
Slowdive n’a donc ni le goût, ni la forme d’un album de reformation classique dont l’intérêt se résumerai purement et simplement à sa portée nostalgique. On passe d’un titre à l’autre sans remarquer que le groupe émerge tout juste d’un sommeil discographique de plus de 20 ans tant ce nouveau son élaboré pour l'occasion colle à merveille à l’univers du groupe. Malgré tout, dans une perspective froide et distante, on pourrait reprocher au disque un certain manque d'originalité dans les compositions : sans être dénuées d'intelligence ou de personnalité, nous sommes forcés d'admettre que Slowdive s'est surtout contenté de réactualiser un ensemble de manières qui ont fait leur réputation – ou plus largement celle du shoegaze – sans véritablement chercher à les dépasser. Il serait pourtant idiot de s'arrêter là dessus et de bouder notre plaisir puisque l'on tient là sans doute l'un des meilleurs de shoegaze depuis des années. Comme le chantent les deux irlandais sur "No Longer Making Time" : "Forever we'll be, together we breathe".