Pearl Jam
Gigaton
Produit par Josh Evans
1- Who Ever Said / 2- Superblood Wolfmoon / 3- Dance Of The Clairvoyants / 4- Quick Escape / 5- Alright / 6- Seven O'Clock / 7- Never Destination / 8- Take the Long Way / 9- Buckle Up / 10- Comes Then Goes / 11- Retrograde / 12- River Cross
Si tout le monde connaît l’adage “qui aime bien châtie bien”, il semblerait que certains fans aient du mal à laisser leur formation fétiche se faire vertement critiquer, quand bien même elle n’aurait à l’évidence pas réellement cherché à se surpasser. Qu’on ne s’y trompe pas : Pearl Jam est un grand groupe, l’un des meilleurs à avoir émergé durant la décennie 90, une formation techniquement solide, artistiquement intègre et qui peut de surcroît compter sur un chanteur d’exception, mais un groupe qui a eu un peu trop tendance à vivre sur ses acquis durant les vingt dernières années. D’aucuns auront pu se contenter des corrects Lightning Bolt, Backspacer, Riot Act et autre PJ (on peut même y ajouter un ou deux disques au passage) tandis que d’autres auront conspué le quintette de Seattle pour son évidente paresse. Rétrospectivement, et à l’écoute de ce Gigaton assez inespéré, ces derniers n’avaient pas tort, même si l’horizon Ten - Vs - Vitalogy paraît encore bien loin.
Qu’est-ce qui change ici ? Déjà sept années se sont écoulés depuis Lightning Bolt, ce qui a laissé le temps à la machine de Seattle de faire refroidir son moteur. Sept longues années durant lesquelles, fait assez étonnant, ni Eddie Vedder, ni Stone Gossard, ni Mike McCready n’ont rien réalisé de leur côté. Seuls Jeff Ament et Matt Cameron se sont fendus d’un petit disque solo il y a deux ans de cela (séparément, of course), ce dernier ayant dû abandonner par la force des choses son poste de cogneur en chef chez Soundgarden après la disparition tragique de Chris Cornell en 2017. Une période de pause quasi complète, donc, marquée par le décès brutal d’un ami proche, durant laquelle les cinq hommes ont eu l’occasion de remettre les pendules à l’heure et, sans doute, de retrouver leur mordant et leur inspiration. Deuxième particularité de ce Gigaton, le disque est produit par un certain Josh Evans dont il s’agit du premier crédit à ce poste. Un inconnu ? Pas vraiment, l’homme ayant déjà collaboré à plusieurs reprises avec Pearl Jam : c’est leur technicien de guitare et de claviers depuis un peu plus de dix ans, et l’homme a également accompagné la résurrection technique et sonore de Soundgarden durant leur bref retour en grâce. Un choix plutôt judicieux, donc, et en tout cas nettement plus pertinent que de s’être de nouveau confronté à leur compère Brendan O’Brien qui ne leur avait rien apporté de bon au cours de leurs dernières collaborations.
Évacuons tout de suite LE point qui fâche. Pearl Jam, sur ses cinq - six derniers albums, a toujours eu tendance à se complaire dans le remplissage, alternant très bons morceaux et productions mineures tout juste bonnes à justifier une durée d’écoute et un prix d’achat convenables pour chaque disque incriminé. La tendance, malheureusement, ne disparaît pas totalement ici, et c’est d’autant plus incompréhensible qu’avec douze titres et cinquante-sept minutes au compteur, Gigaton se pose comme le disque le plus long des natifs de Seattle. Dès lors, pourquoi empiler quatre balades (quatre !) en fin de playlist quand une voire deux auraient suffi ? Le disque se conclut ainsi sur vingt minutes finalement assez dispensables et qui surtout desservent son corps. À choisir, il aurait uniquement fallu garder “Come Then Goes”, superbe blues acoustique, pudique, tout en retenue, le plus réussi du lot. “River Cross” ne démérite pas non plus avec son orgue triste et ses percussions votives : le titre ferait à lui tout seul une conclusion correcte, mais à choisir... Pour le reste, le dépouillé “Buckle Up” ne casse pas trois pattes à un canard, avec même quelques choix d’arrangements douteux, quand “Retrograde”, au tempo plus soutenu, ne dépasse pas le cadre de l’exercice classic rock convenu, pas déplaisant pris isolément mais sans aucun intérêt à ce stade de l’album. Quel dommage.
Quel dommage, car sur les quarante premières minutes du disque, Pearl Jam réalise un sans faute, et en toute honnêteté, cela faisait des décennies qu’on n’avait plus entendu la bande à Gossard et Ament sonner à ce niveau-là. L’entame de Gigaton, en l’occurrence, ne souffre d’aucune critique. On retrouve dès “Who Ever Said” le savoir-faire et les appétences hard blues du quintette, survolées par la classe d’Eddie Vedder, concerné, revêche, aux nuances vocales riches de chaleur et d’émotion. Un titre d’intro efficace qui, pour autant, ne laisse pas encore présager de la qualité de ce qui suit. “Superwolf Bloodmoon” monte le niveau d’un cran, riff mordant, rythmique soutenue, hargne contenue qui croît lentement, un morceau superbe qui tire pleinement profit de la locomotive Vedder et qui, de surcroît, s’autorise un solo de Mike McCready absolument magnifique, la très grande classe ! Plus loin, “Quick Escape” retrouve la qualité du Pearl Jam d’antan, avec cette force dans les cordes, cette batterie cognée, cette pugnacité, cette verve dans le chant et la mélodie, on se dit que Rival Sons aurait sans doute pu composer un titre pareil avant de se rendre compte que PJ, sur ce terrain, fait bien plus que tenir la dragée haute à ses petits frères, c’est dire comme cette pièce est savoureuse. Sans atteindre tout à fait ce sommet, “Never Destination” et surtout le colossal “Take The Long Way” (haletant et gorgé de soli à la wah wah) relancent agréablement les hostilités après un cœur de disque plus calme. Chaque titre laisse éclater la qualité du collectif et se permet de surcroît quelques digressions qui relancent à chaque fois l’intérêt. Dans un registre plus calme, “It’s Alright”, certes standard, se trouve bien à sa place pour tempérer toute cette énergie, quand le “Seven O’ Clock” qui lui fait suite se fait plus psychédélique avec ses claviers évanescents qui font un bel écrin à une formule guitare-voix qui marche au poil, merci encore à Eddie Vedder de ne jamais lâcher le train en marche, de relancer, de happer, d’alpaguer l’auditeur.
Et puis surprise, voilà que les mastodontes de Seattle osent enfin sortir des sentiers battus et prendre des risques. Et ça paye. Intrigant et atypique, le single “Dance Of The Clairvoyants”, chargé de jouer les éclaireurs bien en amont de la sortie du disque, convainc sans peine avec sa rythmique dansante et son côté funky : on gage que le morceau fera un malheur en live. Voilà où l’on veut voir Pearl Jam aller à l’avenir, qu’ils puissent laisser leurs acquis derrière eux et avancer, explorer, se renouveler, se remettre en question. Gigaton offre au moins cela, du neuf au-delà même de la qualité, sans compter qu’il permet à la bande d’écumer une fois de plus les scènes du monde entier. Coronavirus oblige, leur venue à Longchamp en Juillet a été annulée, mais rendez-vous est d’ores et déjà pris pour 2021 au même endroit, dix ans presque jour pour jour après leur dernier passage en France (c’était au Main Square Festival d’Arras) : un rendez-vous à ne pas manquer !