Kiss
Hotter Than Hell
Produit par
1- Got To Choose / 2- Strange Ways / 3- Goin' Blind / 4- Hotter Than Hell / 5- Let Me Go, Rock 'N Roll / 6- Parasite / 7- All The Way / 8- Watchin' You / 9- Mainline / 10- Comin' Home
Starchild – Demon – Spaceman – Catman (Episode 2)
Parfois, il gèle en Enfer…
Un groupe dispose de toute une vie pour penser et enregistrer son premier album. Puis sa toute puissante maison de disques lui accorde seulement quelques jours pour donner vie au deuxième… Classique.
La route est douloureuse si tu veux faire du rock’n’roll !
En ces temps immémoriaux, ce sont les ventes de disques qui financent les tournées, lesquelles incitent les fans à acheter les disques qui financent les tournées, ... Cercle vertueux. Mais épuisant.
La dématérialisation de la musique a brutalement renversé la vapeur. Au mitan des seventies, il en coûtait seulement 6,00 € pour aller voir un groupe phare dans une grande salle. Cinquante années plus tard, c’est (presque) le même tarif pour une vilaine bière tiède dans un gobelet en plastique. L’inflation a bon dos.
Après la sortie de son premier effort, en février 1974, Kiss est parti en tournée, dépensant sans compter une petite fortune qui n’existait pas chez Casablanca. Le rêve n’a pas duré parce que le premier album ne s’est pas vendu. Et il a fallu rentrer au pays dans l’espoir de regarnir une tirelire qui commençait à sonner creux.
Comme tous les musiciens musclés, les masqués sont bien évidemment revenus avec quelques souvenirs caricaturaux du Japon dans leurs valises. On retrouvera l’essentiel de cette imagerie de pacotille dans tous les recoins de la pochette à venir.
Ce retour précipité en studio n’est pas vraiment glorieux. Le même duo de tâcherons a été recruté pour produire le nouvel effort mais, cette fois, Kiss doit quitter New-York pour s’expatrier à Los Angeles. C’est une autre planète. Bien plus loin que le Japon. Texas Chainsaw Massacre est à l’affiche des cinémas de banlieue. Histoire de planter le décor.
Et, à peine arrivé, Paul Stanley se fait piquer sa guitare préférée. Il reviendra plus tard avec le groupe pour détruire Anaheim. Vengeance !
En studio sur la côte Ouest, au 1616 Butler Avenue, ça se passe mal. Le groupe est clairement gouverné par une logique "marketing" naissante mais il lui manque de toute évidence une direction musicale. Il n’y a personne – pas le moindre mentor qui distingue un accord de La d’un accord Mi – pour canaliser l’énergie de feu, de foudre et de sang qui anime les quatre masqués.
Et, plus problématique encore, il n’y a pas beaucoup de titres à enregistrer. A l’exception de deux ou trois reliques des sessions de février 1974 et de quelques textes qui traînent dans les poches des uns et des autres…
Au départ de la loi de Boyle & Mariotte (l’abbé, pas Steve), un étudiant en chimie de l’Université de Nanterre a brillamment démontré pourquoi il gelait fermement en Enfer. Kiss, malgré ses efforts et malgré un titre très ambitieux, entretient le paradigme et ne parvient pas à faire décoller la température. Ou à peine. Pas de quoi rissoler un steak végan sur un coin de gazinière.
Parmi de nombreuses platitudes, il n’émerge que quelques rares futurs classiques live (la plage titulaire, "Let Me Go Rock’n’Roll", "Parasite", …). Et deux morceaux notablement différents. "Goin’ Blind" est une composition de Gene Simmons, écrite en mode mineur, qui conte, de façon maladroite et cryptée, la difficulté de vivre à deux. Au creux de la face B, "Comin’ Home" vaut par sa joyeuse envolée de guitares lyriques (il y a même un ambitieux changement de ton) qui extirpe miraculeusement le titre de la pesanteur généralisée.
Même s’il n’est pas mis en évidence dans le mixage final, Peter Criss s’investit du début à la fin. Précis, pointu, maniaque jusque dans la cowbell, au point que son drumming (dont les roulements sonnent en hommage à l’adresse de ses idoles jazz) s’écarte souvent des codes rock du moment. Et on en revient au manque de guidance dont souffre le quatuor. Chacun opère aux confins de ses propres manies. Peter Criss ne s’aventurera plus jamais aussi loin. Au début, parce qu’il lui a bien fallu épouser la norme. Ensuite, parce qu’il va être rapidement submergé par la drogue et l’alcool (sans compter les accidents de voiture). Le Catman s’affirme aussi comme chanteur. Et l’on trouve déjà ici (sur le très moyen "Mainline") certains ferments de son futur premier album solo.
Pour sa part, Ace Frehley évolue seul, en orbite autour d’une planète inconnue (invisible depuis la Terre). Il alterne les phrasés foireux puis les instants de pure grâce décomplexée. Sans limite. Loin de tout. Et surtout loin des académies. Parce que le rock a – malheureusement – aussi ses académies.
Pour emballer le tout, la pochette est d’une laideur saisissante. Son élaboration a pourtant été confiée au créateur du très kitsch double EP Magical Mystery Tour (The Beatles) puis du fort classieux double LP Exile On Main Street (The Rolling Stones). Pour Kiss, l’ouvrage de John Van Hamersveld est illisible, moche et truffé de citations japonaises approximatives…
Il ne subsiste aujourd’hui de ce désastre que le joli symbole "chikara" ("puissance") que l’on retrouve encore sur les costumes de scène d’Eric Singer.
Hotter Than Hell se vendra encore moins bien que Kiss qui était déjà un échec commercial. Comme son prédécesseur, il ne deviendra disque d’or qu’après l’explosion du premier album live.
Le groupe quitte aussitôt Los Angeles pour repartir en tournée.
Plus chaud que l’Enfer !