Gabriel Keller

Alors que la liste toujours plus longue des victimes de conflits armés continue de rythmer l’actualité internationale de façon dramatique, la thématique de la guerre inspire plus que jamais les artistes contemporains qui dénoncent régulièrement les violences perpétrées envers les populations civiles et tentent de diffuser au travers de leurs œuvres des messages d’apaisement ou engagés et antimilitaristes. Certains s’autorisent également un détour par l’histoire, à l’image du multi-instrumentiste britannique Robin Armstrong, plus connu sous le nom de Cosmograf, qui évoquait les états d'âme d'un ancien pilote de la R.A.F. sur son dernier album paru l’année passée. Si l’épisode historique de la première puis de la seconde guerre mondiale a davantage fourni une inspiration aux groupes de metal, en particulier scandinaves, elle sert également la thématique générale du Français Gabriel Keller qui livre un second concept-album témoignant de la barbarie de ce conflit, de la nécessaire résistance à l’oppression et du long chemin vers la paix et la réconciliation.

A l'image de son premier album qui se divisait en deux parties distinctes avec une première partie plus lumineuse et une seconde bien plus torturée, Gabriel Keller nous offre un nouveau diptyque avec une approche cette fois inversée, la seconde partie de l’album ouvrant la possibilité d’un espoir après des débuts plus sombres symbolisés par le démarrage sous la mitraille de "Why ?". Ce jeu sur les contrastes permet des variations d'intensité très bien amenées, alternant les mélodies chatoyantes et accrocheuses à l’instar de l’entrainante "Your Way" ou du refrain puissant de "Change" qui se mue en hymne fédérateur, avec des moments plus graves et épiques. Le titre "The Letter", en deux parties, démontre de ce point de vue toute la richesse et la densité de composition, avec un véritable soin apporté à l’écriture. La première partie donne ainsi à entendre une succession de ruptures et de changements de rythmes avec un jeu sur la dualité des sonorités de guitares électriques et acoustiques puis un break groovy sert des riffs pleins de reliefs qui s’évadent au travers d’un solo conclusif et de chœurs gracieux. La seconde partie, d’une durée de dix minutes, joue une carte plus progressive avec son introduction en apesanteur très floydienne qui amorce une tension rampante explosant finalement sur une partie plus typée metal-prog. Le chant d'Emy B toujours très expressif et vecteur d’émotions, vient déposer sur cet ensemble un thème mélodique particulièrement majestueux, comme sur le superbe titre "My Son", très lyrique et épris de sensibilité, magnifié par un solo final grandiose.

Le jeu à la six-cordes, parlons-en justement. Ce dernier est particulièrement séduisant, entre soli virtuoses, arpèges boisés et riffs chargés en sonorités métalliques. Le titre "The Guns Are Approaching" multiplie en ce sens les fulgurances, avec un toucher de guitare délicat servant dans un écrin une mélodie aérienne avant un crescendo dantesque porté par des chœurs enflammés. Les lignes de guitares exaltées de "No Surrender" servent également parfaitement le caractère épique du titre invoquant la résistance à l’oppression au travers des extraits de discours du Général de Gaulle et de Churchill.

Loin d’être en reste, les titres chantés en français sont particulièrement poignants, qu’il s’agisse du titre "Oppression", sa lourdeur asphyxiante basculant sur de somptueuses harmonies vocales féminines ou "Poussières éternelles", léger et très poétique, qui nous embarque sans difficultés dans ce voyage sonore. Pour terminer ce récit, "Mahaut" offre une bulle de douceur et de délicatesse qui résonne comme une conclusion plus positive et porteuse d’espérance face aux thématiques sombres traversées par l’album. Une faible mais persistante lueur d’espoir à laquelle on souhaite se raccrocher pour traverser la période actuelle…