↓ MENU
Accueil
Première écoute
Albums
Concerts
Cinéma
DVD
Livres
Dossiers
Interviews
Festivals
Actualités
Médias
Agenda concerts
Sorties d'albums
The Wall
Sélection
Photos
Webcasts
Chroniques § Dossiers § Infos § Bonus
X

Newsletter Albumrock


Restez informé des dernières publications, inscrivez-vous à notre newsletter bimensuelle.
Critique d'album

Deafheaven


Sunbather


(11/06/2013 - Deathwish - Blackgaze - Genre : Hard / Métal)
Produit par Jack Shirley

1- Dream House / 2- Irresistible / 3- Sunbather / 4- Please Remember / 5- Vertigo / 6- Windows / 7- The Pecan Tree
Note de 5/5
Vous aussi, notez cet album ! (4 votes)
Consultez le barème de la colonne de droite et donnez votre note à cet album
Note de 4.5/5 pour cet album
"Et si l'avenir du shoegaze se jouait du côté des musiques extrêmes ?"
Valentin, le 29/01/2018
( mots)




Si le shoegaze en tant que genre à part entière n’avait plus vraiment d’actualité jusqu’à très récemment, il faut tout de même mentionner qu’il a été intimement lié à l’une des controverses les plus irritantes ayant bousculé le monde du metal ces dernières années. Deafheaven, formation américaine de blackgaze, a en effet commis l’affront suprême de percer au-delà de la sphère confidentielle du black metal – à laquelle le groupe était rattaché par défaut (et par excès, on le verra plus tard) – tout en blasphémant allégrement sur une partie des codes de cette même scène avec un Sunbather très apprécié par Pitchfork et consorts. Des codes en majeure partie purement esthétiques : jetez donc un coup d’œil au somptueux rose de cette pochette douce et aéré, puis essayez d’imaginer ensuite la réaction d’un fan de Mayhem ou d’Immortal devant cette pure incarnation de la sérénité, réaction d'autant plus forte que les américains ont véritablement atteint une couverture médiatique inimaginable pour un groupe de ce type. Sunbather a ainsi calmement profité du titre de l'album le mieux noté de toute l’année 2013 sur Metacritic, ainsi que celui du meilleur disque de metal extrême de tous les temps, toujours selon la méthode d’agrégation de critiques de la plateforme. Rien que ça.


Les multiples reproches ou accusations de trahisons ont également eu pour objet la musique en elle-même, et c'est évidemment le point le plus intéressant : soi-disant que les créations de Deafheaven ne seraient pas assez violentes, pas assez puissantes, pas assez bruyantes pour rentrer dans les canons du black metal voire même du metal en général. Pas assez bruyantes, vraiment ? Essayez donc de faire écouter les premières minutes de "Dream House" à quelqu’un d’extérieur à la question, puis regardez-le droit dans les yeux et affirmez-lui avec force et conviction que "Deafheaven, sérieusement, c’est pas du metal – non non, c’est beaucoup trop gentil et lisse pour ça". S’il vous croit encore sain d’esprit après cette expérience, c’est que vous avez de très bons amis. Prenez bien soin d’eux. Parce que Deafheaven ne sera, pour beaucoup, qu’un groupe de metal extrême de plus, dont il est impossible de comprendre les paroles et dont les musiciens – en particulier le batteur – se contentent de jouer le plus fort ou le plus vite possible, sans aucun souci de mélodie ou de musicalité. En somme : "C’est du bruit, pas de la musique". Sauf que c'est forcément un peu plus compliqué et qu'il y a tout de même un peu de vrai dans les remarques moquées plus haut.


Hunched over in apathetic grief with a disregard for
Steps except the one taken back. Perched
Up on a rope crafted in smoke / a sword
Wielding death that buried your hope


Non, Deafheaven n’est pas un groupe de black metal, et ce même si une écoute rapide de quelques titres astucieusement choisis peut facilement vous faire croire l’inverse. Leur premier album Road Of Judah ne signifiait que partiellement cette nuance, mais à partir du moment où elle fut soulignée par le public et les critiques comme l’attrait principal de la musique de George Clarke et Kerry McCoy, elle s’est imposée comme le point d’orgue du développement de leur identité, et ce dès l’opus suivant. On trouve donc bien dans ce Sunbather une façon de hurler caractéristique du genre ainsi que les "blast beats" propres à la musique extrême, mais le groupe américain se distingue très largement de ce domaine de par la variété de ses instrumentations, qui piochent bien sûr dans le black metal mais surtout dans le post-rock et le shoegaze, sans qu’aucun de ces aspects ne prenne l’avantage sur un autre. Les guitares brumeuses cohabitent ainsi avec les cascades d’écho et de réverbération transpirant le spleen du post-rock, le tout évoluant sur un fond noir impénétrable, endurcit par l’anxiété palpable des musiciens.


La production du disque assurée par Jack Shirley soutient allègrement cette ambiguïté, puisqu'elle insiste finalement rarement sur la lourdeur des guitares ou des parties vocales, préférant ainsi un son à la fois aéré et percutant. Par bien des aspects, on a davantage l'impression d'écouter un disque de punk qu'un disque de metal, le rendu sonore se rapprochant davantage d'un Converge que d'un Emperor – et pour cause, on trouve énormément de productions d'artistes punk dans le catalogue de Jack Shirley, à commencer par les derniers opus de Jeff Rosenstock (le monde est petit). "Vertigo", très significatif de ces pluralités, démarre avec une série d’arpèges angoissants avant de bifurquer vers un développement mélancolique de toute beauté. Le batteur Daniel Tracy, impressionnant de maîtrise tout au long de Sunbather, réadapte avec brio son jeu très typé metal sur un environnement musical bien plus contemplatif, tandis que le guitariste Kerry McCoy impose ses qualités de mélodiste avec avec une longue série de larsens très bien exécutés. Ce morceau résume à lui seul toute la singularité de Deafheaven, et leur talent pour construire de longues pistes nuancées, imprévisibles – le solo de guitare à mi-chemin est étonnamment bienvenu – et émotionnellement engageantes. La rage et la colère restent évidemment au cœur du morceau, mais cette agitation est toujours tempérée par quelque chose, que cela soit une production limpide, une structure lunatique bien plus post-rock que black metal ou bien la présence de moments plus calmes, dont l'existence ne relève pas du simple gimmick mais bien d’une véritable science du rythme, du contraste.


Lost in the patterns of youth and the ghost of
Your aches comes back to haunt you. And
The forging of change makes no difference
Memories fly through the mask of your life
Shielding you from time. The years that
Birthed the shell that you gained


En plus de rendre l’ensemble plus digeste et accessible, ces quelques pauses renforcent alors largement la crédibilité de l’ensemble : la souffrance telle qu’on la perçoit dans les textes ne pouvait se résumer qu’à cette forme de violence pure et viscérale. Il y a là autant de mélancolie que de rancœur, autant de haine que de peine, autant de sentiments contradictoires mais complémentaires qui caractérisent tristement l’incapacité d’action de Clarke – autrement dit, sa bien réelle dépression. Ainsi, le cœur littéralement pulvérisé de "Please remember" (est-ce seulement une guitare ou bien un marteau-piqueur ?) n’aurait pas de sens s’il était privé du somptueux développement acoustique qui suit – on soulignera par ailleurs la pertinence des éléments post-rock invoqués. Même chose pour le piano et les souples arpèges de "Irresistible", qui permettent d’encaisser en douceur la gifle "Dream House", un morceau certes grisant mais qui, pour le coup, ne ménage pas ses effets, et dont la position en tête du tracklisting a de quoi tromper l’auditeur tant le reste se laisse écouter plus facilement, pour peu qu’on ne soit pas totalement hermétique à l’insaisissable frénésie de certaines parties du disque ainsi qu’aux hurlements de Clarke. Mais comme dans la pure tradition shoegaze, les parties vocales sont à moitié ensevelies derrières ces nuées de guitares épaisses et troubles, ce qui permet, encore une fois, d’aborder l’ensemble plus facilement qu’on le ferait avec un album de black metal "traditionnel".


I am my father’s son
I am no one
I cannot love
It’s in my blood


Sunbather se termine sur ce langage acerbe, hurlé à la fin de l'excellent "The Pecan Tree" qui constitue le dernier chef d’œuvre de ce disque. Après un démarrage sévère où les instruments restent prisonniers d'un rythme terriblement exigent, les guitares se libèrent et ouvrent le morceau aux grands espaces de la mélancolie, de la nostalgie et de toutes ces émotions délicates qui ne s'exprimaient que trop rarement sur les autres morceaux. Plus question de pudeur ou de retenue ici, la distorsion s'estompe pour donner vie aux vagues d'écho, de réverbération et même de piano : on pense alors beaucoup à des groupes comme Cult Of Luna ou Devil Sold His Soul, qui peuvent se permettre une plus grande liberté stylistique et émotionnelle de part leur appartenance au post-metal.


Il ne fait aucun doute que si Deafheaven a autant convaincu au-delà de ses espaces de prédilections, c’est déjà parce que l’idée d’associer toutes ces composantes est brillante. Certes, Deafheaven n’invente finalement pas grand-chose sur ce point – Burzum incluait déjà des éléments shoegaze dans sa musique en 1992, bâtissant ainsi les fondements d’un sous genre nommé backgaze qui sera par la suite sublimé par les français d’Alcest – mais il pratique sans doute ce numéro d’équilibriste avec bien plus de maîtrise et de souplesse que ses contemporains jouant de la même trinité. Il y a donc une certaine chance pour que vous puissiez finalement apprécier ce groupe qui parait si peu écoutable à première vue, surtout si vous n'êtes pas vraiment un grand fan de black metal à la base. En ce sens, Sunbather est peut-être une porte d'entrée idéale vers ces mondes un peu trop sombres – en tout cas, ce le fut pour votre serviteur. En dehors de ça, ce deuxième opus de Deafheaven reste un disque fort et intense, voire même déchirant par instants, dont on pourra seulement regretter qu'il ne soit pas encore un peu plus accessible dans le contexte des musiques extrêmes. Il s'agit d'un album important dont l'impact, s'il est encore un peu difficile a mesurer 5 ans plus tard, est évident et significatif, au moins d'un point de vue médiatique. Et à l'heure où le post-rock tourne en rond et ou le shoegaze plante à moitié son retour, on est tout à fait en droit de se demander si Deafheaven a finalement tracé le sillage idéal pour la survie de ces genres.


Morceaux conseillés : "Vertigo", "The Pecan Tree", "Please Remember"

Commentaires
Soyez le premier à réagir à cette publication !