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Critique d'album

Dashiell Hedayat


Obsolete


(00/11/1971 - Shandar - Psyche/Prog - Genre : Rock)
Produit par Bernard Lenoir

1- Chrysler (Rose) / 2- Fille de l'ombre / 3- Long Song For Zelda / 4- Cielo Drive /17
Note de 5/5
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Note de 4.5/5 pour cet album
"La transcendance psychédélique dressée au statut de culte."
Jules, le 14/08/2021
( mots)

Après un premier essai à succès en 2016, Replica Records réédite à nouveau l’album essentiel (et unique) de Dashiell Hedayat, Obsolete, en adoptant le cartonnage gaufré de l’édition originale. L’occasion de revenir sur cet album culte.


Hérouville, 1971. En plein essor du mouvement progressif né il y a quelques années de l’autre côté de la Manche, c’est dans ce studio mythique que fut enregistré un album aussi virtuose que chamboulé, aussi tendre que torturé et aussi culte qu’injustement oublié. Ces qualificatifs sont en réalité intimement liés à la personnalité complexe de celui qui en fut à l’origine, un caméléon du nom de Dashiell Hedayat (Daniel Théron, de son vrai nom), entre autres pseudonymes dont il avait pris, avec malice, l’habitude de s’affubler et dont "Jack-Alain Léger" était celui qui avait fait sa renommée littéraire. 


Car si à côté de la musique, cet OVNI culturel avait commencé en rédigeant quelques papiers dans les colonnes de Rock&Folk, c’est bien sa carrière d’écrivain qui le fit éclore, notamment à la suite de la publication de Monsignore, best-seller qui fut adapté au cinéma américain et fera sa fortune. Mais le succès littéraire et le bruit de la monnaie sonnante et trébuchante n’auront pas suffi à camoufler le mal qui le rongeait depuis l’enfance. Dashiell était en effet sujet à la maniaco-dépression (ou bipolarité), maladie qui lui permit d’accoucher d’œuvres singulières et virtuoses mais qui le poussa, aussi, à se défenestrer du haut du 8ème étage de son immeuble le 17 juillet 2013.


Son âme d’auteur-compositeur-interprète avait déjà pu s’exprimer lorsqu’est sorti dans les bacs son premier album en 1969, La Devanture Des Ivresses (sous le pseudonyme de Melmoth) récompensé du Prix de l’Académie Charles Cros aux côtés, notamment, de Pink Floyd et leur album Ummagumma. L’écoute de cet album teinté de jazz, de guitares acoustiques et de cuivres nous transportait déjà à Canterbury où l’école de prog rock du même nom en était à ses balbutiements (Gong, Soft Machine, etc…). Les textes, mêlés de poésie et de délires acidulés, formaient avec la musique un ensemble cohérent dans son excentricité, bien que parfois décousu.


Venons-en à l’objet du délit, Obsolete. Pour ce deuxième et dernier album, Dashiell Hedayat a fait appel à Gong, le groupe phare de la scène progressive de Canterbury mené par Daevid Allen et qui enregistrait au même moment, également à Hérouville, leur Camembert Electrique. Cette œuvre est une ode à l’époque qui l’a vu naître, celle des hippies, des beatniks, des cigarettes aromatisées et des papiers buvards humides. Coupons-nous du monde réel l’espace d’un instant et entrons dans ce qui s’apparente à une initiation à la transcendance psychédélique.


Après la prise, l’euphorie fait partie des premiers effets. Et ça ce sent. Dès les premières notes de "Chrysler (Rose)", première partie de la pièce "Eh, Mushroom, Will You Mush My Room ?", les guitares wah-wah et le rythme répétitif entrecoupés de saxophone (typique de l’école de Canterbury) nous amènent, pour de bon cette fois, outre-Manche. Ce morceau est certainement le plus culte de l’album, pour ses paroles délirantes à n’en pas douter. "J’ai une Chrysler tout au fond de la cour, elle ne peut plus rouler mais c’est là que je fais l’amour." Hedayat nous invite dans son univers décalé et nous compte ses ébats (vécus ou non, qu’importe ?) sur la banquette arrière de sa Chrysler rose en compagnie de Sally qui confond la virilité de son acolyte avec le levier de vitesse. Sa voix est singulière. S’épuisant au fil de la chanson, quelque peu nasillarde, et emprunte d’une forme de timidité, ce qui fait également le sucre de ce morceau car sans être parfaitement juste, elle demeure tout à fait agréable à écouter. Le buvard est absorbé, les sensations de folie que l’auditeur ressent font écho au discours fantasque de Dashiell. Les arrangements et la production n’ont, finalement, pas pris une ride et sont tout à fait corrects pour l’époque (je suis encore traumatisé par la production désastreuse du Cimetière des Arlequins des belfortains Ange). La fin du morceau s’assombrit, l’auditeur s’enlise, proche de la somnolence…


Le morceau "Fille de l’ombre", deuxième partie de la face A de l’album, qui se veut davantage être un intermède, est quant à lui différent. Passée l’euphorie des paroles hilarantes du précédent titre, l’auditeur perçoit des bruitages d’eau qui se déverse, poursuivis par le son d’une guitare grinçante et des cris féminins dont on ne sait s’ils s’apparentent à des gémissements d’effroi ou de jouissance. Le morceau est anecdotique, sans réel intérêt et sert de transition vers le trip virtuose que constitue la suite.


Car désormais, place à la poésie, à l’enchantement, à la beauté crue et reposante. Avec "Long Song For Zelda", nous voilà dans un cocon, isolés du monde réel, celui qui indiffère la plupart d’entre nous et qui torture l’interprète. La guitare de Allen nous ferait presque nous enfoncer dans la plus douce et profonde léthargie. Le temps s’est arrêté. Il ne reste que la guitare acoustique, la guitare wah-wah et la batterie de Pip Pyle qui se chevauchent habilement aux côtés d’une voix nonchalante. Les paroles prennent alors tout leur sens "Je ne sais même plus si je pense." Le narrateur non plus, il semble avoir perdu tout repère, toute rationalité, nous plongeant dans le souvenir d’une femme aimée qu’il semble avoir égarée sans jamais vouloir l’oublier. Il nous prend par la main pour que nous l’accompagnions dans son trip nostalgique dont les vapeurs acidulées viendraient presque caresser les narines de l’auditeur devenu hagard. Nous sommes au cœur de l’expérience. Une expérience sensorielle dont on ne veut plus sortir. Au fil des notes et des accords, son discours se veut de plus en plus décousu, et le souvenir de cette femme le fait sombrer progressivement dans une ode lyrique, dans le délire, allant jusqu’à se transformer en canidé, aboyant, dans la plus claire des hallucinations. La pochette de l’album nous avait pourtant prévenu "Warning : this record must be played as loud as possible, must be heard as stoned as impossible" On perçoit ensuite, au loin, le saxophone de Didier Malherbe qui vient se poser sur cet ensemble bluesy au tempo ralenti pour mieux nous emporter sans espoir (ni désir !) de retour. Ce blues psychédélique semble interminable, infernal et torturé. Pourtant, il se termine en nous paraissant trop court, paradisiaque et apaisé.


Passées l’euphorie, la transition vers la transcendance et la transcendance elle-même, la face B d’Obsolete est toute autre. Avec "Cielo Drive /17" plus de légèreté ni d’ignorance. Plus d’hilarité ou de lyrisme. L’auditeur est sorti de sa léthargie par un rythme entêtant et répétitif joué à la guitare, lequel est agrémenté en son début par quelques cymbales. Dashiell quitte le rêve pour s’enfoncer doucement dans le cauchemar. C’est l’heure de la descente. Il n’y a plus de lucidité, plus de repères. Le rythme ne nous quitte plus. Le saxophone désorganisé de Malherbe est revenu, bien moins apaisant au même titre que les sons envoutants que l’on entend au loin, familiers à ceux déjà entendus sur A Saucerful Of Secrets de Pink Floyd en 1968… Le narrateur ne conte plus le souvenir d’un véhicule rose ou celui d’un amour évaporé, il distille des mots et phrases qui sont l’expression naturelle et spontanée de l’état dans lequel il se trouve, une paranoïa et un délire intenses. Est-il mal, est-il bien ? Nul ne le sait. Reste que le rythme est toujours là, plus loin certes, et qu’il ne nous quitte plus. C’est au tour d’une guitare au style un peu heavy de faire son entrée. Celle-ci amène une cohérence musicale supplémentaire (et inédite jusqu’alors), comme un aventurier égaré qui retrouve son chemin dans une jungle terrifiante. Les notes grinçantes de la guitare ne sont pour autant pas de nature à nous rassurer. L’ambiance se veut toujours stressante et oppressante. Le rythme initial finit par revenir, toujours accompagné de cymbales, plus discrètes. Dashiell parle moins. Mais il revient, d’un coup, dans un crescendo de hurlements apeurés qui nous donnent la véritable impression que les murs se referment sur lui jusqu’à finir, en un cri d’épuisement, sur une douce mélodie. C’est la fin du cauchemar, c’est la fin de l’expérience. La dernière partie de cette face B de plus de 20 minutes consiste en une composition timide, abîmée, et emprunte d’une grande fragilité qui tranche avec les instants que l’on vient de quitter avec effroi. "La pluie tombe avec la nuit, canapé où je repose…" Il s’agit des seules paroles que l’on distingue à peu près clairement, le reste n’étant constitué que de fredonnements reprenant la mélodie si agréable, toujours accompagnée par des bruitages inquiétants mais désormais familiers. Le tout s’estompe dans un fade out qui nous aidera à sortir progressivement de l’univers dans lequel nous avons été plongés durant près de 40 minutes. La tempête est passée sur la ville, les nuages noirs et fatigués laissent apparemment place à une éclaircie bienvenue dont on espère, tant que l’on redoute, qu’elle nous sortira de ces visions oniriques, sucrées et acidulées. 


Au sortir de cet album, l’auditeur cherchera à retrouver ses repères. Peut-être qu’il n’aura pas eu le courage de s’aventurer au-delà de "Chrysler (Rose)" tant cet album peut être, objectivement, difficile d’accès. Percer les subtilités et les atouts de ce disque est un effort de long terme pour lequel plusieurs écoutes seront nécessaires. Quoi qu’il en soit, malgré son trépas, Dashiell Hedayat aura marqué au fer rouge le paysage musical français en livrant une œuvre onirique, perçante, fragile et tout bonnement indispensable pour quiconque croit encore au pouvoir sensoriel de la musique.

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